Epargne sans investissement ne vaut

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Par Jacques Bichot Modifié le 23 mars 2023 à 10h09
Comment Epargner Crise Argent
@shutter - © Economie Matin
130 MILLIARDS €Les Français ont économisé 130 milliards d'euros en 2020.

En cette période de l’année, les enfants ont bien le droit de croire au Père Noël ! Les adultes, en revanche, quand ils s’intéressent à l’économie et à ce qui se passe actuellement dans une grande partie du monde, se doivent de garder les pieds sur terre. C’est pourquoi il me faut doucher l’optimisme quelque peu béat manifesté par Philippe de Fontaine Vive, directeur de la Compagnie financière Richelieu, dans un point de vue publié par Les Echos du 15 décembre.

Le titre de ce papier est sans ambiguïté : « L’épargne abondante, une chance pour la France ». Si nous étions en période de croissance forte tirée par l’investissement, je me réjouirais de voir mes compatriotes confier des sommes importantes aux organismes qui empruntent pour investir. Malheureusement, l’épargne actuelle ne correspond que très partiellement au financement d’investissements. Elle résulte pour une bonne part du fait que les employeurs continuent, aidés par des apports en provenance de l’Etat, à payer comme s’ils produisaient normalement des travailleurs auxquels les circonstances, malheureusement, ne permettent pas d’être pleinement productifs.

Le sacrifice de la formation initiale

Prenons un exemple important, celui des enseignants. Ceux-ci ont pour fonction de développer les connaissances et les compétences d’enfants, d’adolescents et de jeunes, c’est-à-dire de co-produire du capital humain. Or les circonstances ne leur permettent pas d’être très efficaces : l’investissement dans la jeunesse est actuellement très inférieur à ce qu’il était avant la pandémie. Si la dépense est toujours la même, le résultat est moindre. Les fonctionnaires de l’Education nationale, rémunérés comme si la productivité de cette institution n’avait pas fortement décliné, ont de l’argent, mais comme les salles de spectacle et les librairies sont fermées, ainsi que les restaurants et tutti quanti, en moyenne les sommes qu’ils perçoivent s’accumulent sur leurs comptes. Ils épargnent, mais cela ne sert pas à investir.

Le drame de l’épargne sans investissement

L’épargne sans investissement n’est évidemment pas le fait des seuls enseignants. Une grande partie de la population est dans le même cas. Une distorsion tout-à-fait inhabituelle s’est instaurée entre l’épargne, particulièrement abondante, et l’investissement, raréfié.

Ce qui est intéressant dans l’épargne, ce n’est pas seulement, ni même principalement, qu’elle procure une sécurité à ceux qui en disposent ; c’est surtout qu’elle rend possible l’investissement. Quand se produit, comme actuellement, une dissociation entre l’épargne, plus abondante que d’ordinaire, et l’investissement, très amoindri, la situation est inquiétante. Le 15 octobre, Les Echos ne publiaient pas seulement l’article du directeur de la Financière Richelieu, mais aussi une pleine page, fort bien documentée, ayant pour titre : « Covid : la Banque de France anticipe un surcroît global d’épargne de 200 milliards ». Autrement dit, les « bas de laine » (les comptes d’épargne, les comptes à vue, les stocks de billets) se remplissent, mais sans que le potentiel productif du pays augmente. C’est même l’inverse qui se réalise, hélas, avec 760 000 emplois supprimés, et des perspectives de sérieuses difficultés pour remonter la pente.

Le sacrifice démagogique des entreprises

Ces difficultés, le directeur des études de la Banque de France les résume ainsi : « Le choc de la crise a été plus supporté par les entreprises que par les ménages ». Les fonds propres ont fondu, remplacés par des emprunts. Cela veut dire que l’épargne liquide des ménages s’est substituée, via le système bancaire, au financement de notre système productif sous forme de capitaux propres et de réserves. Comme le dit mon collègue Patrick Artus, « l’Etat a moins soutenu les entreprises en France que dans le reste de la zone euro », si bien que « la dégradation des bilans des entreprises due à la crise Covid va être plus grave en France que dans l’ensemble de la zone euro ». Se réjouir de cela est plutôt bizarre !

En fait, la vive progression de l’épargne des ménages français résulte d’une politique démagogique. La célèbre boutade « ils sont privés de tout, on ne peut pas en plus les priver d’argent » correspond bien à la politique suivie par Emmanuel Macron et son Gouvernement. Ils ont recouvert les plaies de cet onguent qu’est la « fiat monnaie », l’argent auquel ne correspond aucune richesse réelle. La vérité est que les Français détiennent 200 milliards d’euros qui sont de trop, car ces créances n’ont pas été créées pour investir, mais pour voiler la réalité – notre appauvrissement. Les emprunts massifs réalisés par les pouvoirs publics avec la collaboration de la BCE et de la BdF ont surtout financé le refus de voir la réalité en face : à savoir que la France s’est appauvrie. Ses dirigeants ont doré la pilule aux Français, ils leur ont permis d’accumuler des avoirs monétaires et quasi monétaires qui ne correspondent à aucune richesse véritable : ce n’est pas « une chance pour la France », comme le prétend Philippe de Fontaine Vive, mais un déni de réalité qui ne présage rien de bon pour l’avenir de notre pays

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.