Les directions juridiques élargissent de plus en plus leur champ de compétences, à mesure que le phénomène numérique s’étend. Quitte à agiter le spectre d’une ubérisation du juriste ?
En juin dernier, se tenait dans les locaux du cabinet Gide, en partenariat avec le Cercle Montesquieu et l’AFJE la présentation des résultats de la 6e édition de la Cartographie des Directions Juridiques, dont le but est d’apporter un éclairage sur les évolutions de la fonction juridique dans les entreprises en France. Cette étude, qui a lieu tous les deux ans, a été mise en place entre le 6 et le 26 mars 2018 par LEXqi Conseil et a mobilisé 283 directeurs juridiques, représentant à eux seuls des équipes de 8 900 juristes partout à travers le monde, dont 4 400 rien qu’en France. « Cette enquête permet de mesurer l’avancée de la digitalisation dans les directions juridiques »1, explique Hélène Trink, fondatrice de LEXqi Conseil. Parmi les premières observations qui en découlent, une forte majorité de directeurs juridiques qui ont un périmètre géographique dépassant la France (à 70% d’entre eux), avec des missions qui concernent de plus en plus les données personnelles et la compliance (dans le sens de conformité).
« La direction juridique a indéniablement une place de plus en plus importante dans l’entreprise et dans le développement de cette dernière »1, ajoute François Pinon, administrateur de l’AFJE (Association Française des Juristes d’Entreprise). Même si le cabinet EY dans son Observatoire des directions juridiques 2017 pointe des difficultés de la part des directions juridiques pour atteindre une maturité digitale du fait de la rareté des profils recherchés. Surtout dans un contexte où les directeurs juridiques font face à de nouveaux enjeux numériques de plus en plus importants.
Le juridique face au numérique
Aujourd’hui, plus de 60% des entreprises ayant répondu à l’enquête, possèdent un Compliance officer, un juriste rattaché à la direction juridique et dont la fonction est de veiller à l’application des nouvelles obligations légales en matière de conformité. De même, depuis la mise en place le 25 mai dernier du Règlement Général sur la Protection des Données, 40% des entreprises ont nommé un data protection officer (ou DPO) et 50% prévoient de le faire prochainement. « La désignation d’un DPO est fortement encouragée par les différentes autorités de protection des données en Europe et ce, même si l’entreprise ne remplit pas les critères de nomination obligatoires »1, souligne Thierry Dor, associé au cabinet Gide.
Dans le dernier rapport de PwC sur la digitalisation de la fonction juridique et leurs priorités en 2018 on y apprend que les raisons qui motivent les entreprises à se transformer numériquement sont la mise en place d’outils pour dématérialiser les process, pour mieux collaborer et surtout pour se mettre en conformité.
Des réactions rapides, initiées déjà par la mise en application de la loi Sapin 2 en juin 2017 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, avec une mise en place de programmes de conformité anti-corruption dans 85% des entreprises dans les mois qui ont suivi. Et le pilotage de tels programmes est assuré à 70% des cas par la direction juridique. Le champ des nouveaux enjeux numériques est d’ailleurs de plus en plus vaste : 60% des entreprises qui ont répondu à l’enquête, se sont engagées dans un plan en conformité avec la loi relative au devoir de vigilance et 75% des directions juridiques travaillent sur des projets de digitalisation de la fonction juridique (gestion électronique des documents, e-learning juridique, signature électronique de documents, génération automatique de contrats…). Un chiffre porté à 78% d’ici 2020. ??
Toutefois, selon le rapport de PwC, 50% des directions juridiques estiment que leur maturité est faible sur les enjeux digitaux. 32% l’estiment moyenne et 18% qu’elles sont à un niveau avancé.
Juriste d’entreprise : du savoir à l’action ?
Yves Garagnon, CEO de DiliTrust rappelait à l’occasion d’une conférence sur les Legal Tech au Cercle Montesquieu que « la direction juridique n’est plus un pôle de savoir encyclopédique puisque ce savoir peut être traité par les technologies telles que le Big Data et l’intelligence artificielle, de manière (…) rapide et efficace ». Tout au contraire, ce qui est attendu du juriste est « non plus de savoir mais d’être un véritable acteur de l’entreprise » estime-t-il. Ainsi, la forte mobilisation de certaines directions juridiques se tournant vers des Legal Tech utilisant Big Data et IA n’est pas inquiétante pour la profession juridique selon lui.
Même son de cloche du côté de la commission des lois du Sénat qui a organisé sa première édition du forum parlementaire de la Legal Tech le 18 juin dernier, justement sur le thème de la technologie au service de la justice. « Même correctement conçus, les outils de justice prédictive ne peuvent pas remplacer le juge. Le juge-robot est un mythe, qui plus est un mythe contraire à nos principes les plus fondamentaux en matière d’organisation de la justice »2, a ainsi précisé le Sénateur Christophe Frassa représentant les Français établis hors de France. Des propos relayés sur le compte Twitter officiel du Sénat et qui visent à rassurer de nombreux juristes et directions juridiques. Car face à l’ampleur du phénomène numérique, le facteur humain ne sera jamais de trop… « La valeur ajoutée de la direction juridique est acquise et reconnue, comme en témoigne son positionnement ou encore l’extension continue de ses domaines d’action »3 a d’ailleurs souligné François Pinon.