Par sa nature même, le travail indépendant est moins sécurisant que l’activité salariée. Il est également pour cette raison moins propice à l’émergence naturelle d’un sentiment d’appartenance à une communauté de travailleurs.
Pourtant, c’est bien ce sentiment qu’il faut aujourd’hui développer. Après le Plan Indépendants du précédent Gouvernement entré en vigueur en début d’année, l’heure est donc au renforcement des liens entre les membres d’une communauté qui s’ignore pour l’instant. L’occasion également de grossir les rangs des indépendants pour retrouver enfin le plein-emploi et faire de la France une nation de fiers entrepreneurs.
Rendre l’activité indépendante accessible à tous
Les près de quatre millions de travailleurs indépendants actuels constituent un atout indéniable pour notre économie, stimulant cette dernière grâce à des emplois à forte valeur ajoutée. Nous ne pouvons toutefois oublier que certains de nos partenaires européens entreprennent davantage que nous. Les indépendants représentent en effet seulement 11,4 % de la population active française, alors que cette proportion s’établit en moyenne à 14,3 % dans l’Union européenne. Pensons à l’Espagne (15,6 %), à l’Italie (21,7 %) ou encore à la Grèce (30 %) qui font mieux que nous(1), le dernier exemple étant par là même la preuve de l’utilité du travail indépendant dans la relance économique d’un pays en crise. Après la sécurisation de l’aventure entrepreneuriale opérée par le Plan Indépendants, la nouvelle étape doit donc être l’incitation au recours à l’indépendance pour exercer son activité !
La première action, la plus structurante d’entre toutes, consisterait à passer de la logique actuelle de statuts à une logique individualisée dans la définition des parcours professionnels. Ce nouveau cadre a été implémenté en Lettonie, comme en fait état le rapport de l’OCDE publié en 2019 sur sa stratégie pour l’emploi(2). Partant, le travailleur n’est plus la variable d’ajustement de la gestion administrative du travail, car c’est bien l’administration qui s’adapte au travailleur. Ce dernier dispose alors d’un guichet unique pour traiter ses demandes, qu’il soit salarié ou indépendant. De même, la passerelle entre salariat et entrepreneuriat est facilitée par un compte personnel unifié et comportant des droits portables entre les différents régimes de sécurité sociale. Enfin, cette souplesse encourage l’activité indépendante exercée à titre secondaire, pour se constituer un revenu complémentaire tous les mois, à côté de son emploi salarié. Une telle réforme pourrait par ailleurs emboîter le pas de la future réforme de Pôle emploi en France Travail.
Des moyens existants peuvent également être employés, à condition de les renforcer au préalable. Alors que la phase d’élaboration du Plan Indépendants avait montré que le travail indépendant reste aujourd’hui majoritairement une affaire d’hommes (63 %(3)), des formes d’emploi hybrides ouvrent l’entrepreneuriat aux femmes. Tel est le cas du portage salarial : 54 % des salariés portés sont des femmes, d’après le Baromètre 2021 de la Fédération des entreprises de portage salarial(4). Il s’agit alors de démocratiser le portage, 60 % des travailleurs français se trouvant aujourd’hui exclus de ce dispositif hybride associant à la fois la pleine capacité d’entreprendre et la protection du salariat classique. Enfin, le plus vieux moyen à la disposition de l’État, la fiscalité, pourrait contribuer à l’essor et à la sécurisation des nouvelles formes d’entrepreneuriat. Citons l’exemple de notre voisin belge ayant institué en 2016 un taux minoré d’impôt sur le revenu (10 % au lieu de 33 %) pour les travailleurs des plateformes déclarant moins de 5 000 euros de revenu par an(5), que nous pourrions rapidement adopter.
Bâtir une véritable communauté des indépendants
L’incitation à devenir indépendant doit nécessairement s’accompagner de l’incitation à demeurer indépendant, dans la joie comme dans l’effort. La France compte certes des millions d’indépendants, mais la communauté qu’ils forment n’est pour le moment qu’embryonnaire. Or, ce n’est qu’avec ses pairs que l’on peut ressentir la fierté d’exercer sa profession ! Là encore, nous pouvons nous appuyer sur des dispositifs existants et des modèles extérieurs éprouvés.
Bien que calquer le modèle de protection sociale des salariés soit assurément une mauvaise idée, les indépendants acceptant au contraire la logique de responsabilité individuelle, cela n’empêche pas d’établir des formes localisées de solidarité professionnelle. A cette fin, nous pourrions par exemple nous inspirer des Pays-Bas et de leurs « broodfonds », ces « fonds de pension » institués par les entrepreneurs d’une même branche d’activité en dehors de toute intervention publique, alimentés par eux et servant des prestations temporaires aux adhérents en congé maladie. Témoignant du succès de cette solidarité, on compte environ 170 broodfonds actuellement, bien plus que nos communautés professionnelles nationales, lesquelles protègent d’ailleurs essentiellement les professions libérales et réglementées. Autre modèle, cette fois français : les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) et le statut d’entrepreneur-salarié qui leur est attaché pourraient être démocratisés. On en compte aujourd’hui 150 rassemblant 12 000 entrepreneurs bénéficiant d’un cadre sécurisé et collectif, entrepreneurs à l’extérieur et salariés au sein d’une même communauté économique(6).
Enfin et surtout, c’est par le dialogue permanent que naîtra une véritable communauté entrepreneuriale en France. Le rapport « Les nouvelles formes du travail indépendant » publié en 2017 par le Conseil économique, social et environnemental(7) le soulignait déjà à juste titre il y a cinq ans (préconisations 1 et 7 notamment). Ce dialogue sera d’abord social, l’État devant assumer le rôle d’arbitre de la représentativité des acteurs élus. Il reste beaucoup à faire au vu de la faible participation des travailleurs des plateformes de mobilité à leurs premières élections professionnelles… Ce dialogue devra être généralisé à l’ensemble des indépendants, mais aussi davantage mis en lumière par les pouvoirs publics, sans bien sûr tomber dans le travers d’un simple calque du dialogue social des salariés. Le dialogue sera ensuite institutionnel. La mosaïque des acteurs de l’économie et de l’emploi est très riche : État, régions, réseau des CCI et CMA, organisations professionnelles, experts-comptables, clubs d’entrepreneurs… Tous ces acteurs de terrain, publics et privés, devront se rassembler en réseaux locaux pour répondre efficacement et d’une même voix aux attentes des indépendants d’un même territoire et favoriser l’émergence de communautés locales d’entrepreneurs.
A côté des réformes de Pôle emploi et de l’assurance-chômage, l’incitation à lancer sa propre activité professionnelle figure plus que jamais dans le répertoire d’actions à la disposition de l’État pour atteindre, à nouveau et pour longtemps, le plein-emploi. Les entrepreneurs et les salariés en quête de changement y sont prêts, à charge pour le nouveau Gouvernement de les entendre !
1 https://www.insee.fr/fr/statistiques/4470890
2 OCDE (2019), Des emplois de qualité pour tous dans un monde du travail en mutation : La stratégie de l’OCDE pour l'emploi, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/4e6a92fa-fr : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/724def7a-fr/index.html?itemId=/content/component/724def7a-fr
3 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/covid19-soutien-entreprises/20210916_DP_Plan_independants.pdf
4 https://syndicatportagesalarial.fr/barometre-2021-du-portage-salarial/
5 OCDE (2019), Des emplois de qualité pour tous dans un monde du travail en mutation : La stratégie de l’OCDE pour l'emploi, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/4e6a92fa-fr : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/724def7a-fr/index.html?itemId=/content/component/724def7a-fr
6 https://www.les-scop.coop/les-cae
7 https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Rapports/2017/2017_25_travail_independant.pdf