Le choc énergétique libère les investissements de l’UE dans l’indépendance énergétique

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Par Stéphane Monier Modifié le 23 mars 2023 à 10h08
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77%Le nucléaire représente 77% de la production d'énergie électrique en France.

L'invasion de l'Ukraine par la Russie transforme la politique énergétique de l'Union européenne. Le bloc s'est engagé à réduire sa dépendance à l'égard des ressources russes et à accélérer le passage à des sources d'énergie alternatives. Cette initiative a des répercussions pour les entreprises actives dans les énergies renouvelables, la chaîne de valeur du gaz naturel liquéfié (GNL), le secteur des services publics et les métaux industriels.

L'Europe doit de toute urgence diversifier ses approvisionnements en énergie. En 2021, la Russie représentait 35% des importations de gaz de l'UE et environ 30% de celles de pétrole, en faisant le premier fournisseur de l'Union. Les ruptures d'approvisionnement en 2006, 2009 et l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 ont alarmé les responsables politiques européens. Cela n'a pas empêché les importations de gaz russe d'augmenter régulièrement. L'invasion de l'Ukraine a désormais fait grimper les prix, laissant l'Europe face à une facture énergétique qui représente environ 8% de son produit intérieur brut (PIB).

« Nous devons devenir indépendants du pétrole, du charbon et du gaz russes », a écrit Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. Le processus de diversification est en cours. Le 22 février, l'Allemagne a suspendu l'approbation finale du gazoduc Nord Stream 2 qui relie la Russie à l'UE. Dernièrement, un rapport du 8 mars sur l'indépendance énergétique, intitulé « REPowerEU », expose l'ambition de l'UE de réduire de deux tiers ses importations de gaz en provenance de Russie d'ici un an. Cela rendrait la région indépendante « bien avant 2030. »
La Russie exportait entre 170 et 190 milliards de mètres cubes (Mmc) de gaz naturel par an vers l'UE avant 2020. Au total, le plan vise à retirer l'équivalent de 155 Mmc de combustibles fossiles russes de son réseau énergétique, pour une valeur d'environ 310 milliards d'euros. Ce montant équivaut à près de 2% du PIB européen, mais représente près d'un quart de l'économie russe.

Ce plan a des répercussions pour l'ensemble des marchés de l'énergie. L'Allemagne envisage maintenant de redémarrer des centrales au charbon, tandis que la Belgique a reporté l'abandon progressif de l'énergie nucléaire.

L'amélioration de l'efficacité énergétique des logements pourrait permettre d'économiser 14 Mmc, et 4 Mmc supplémentaires grâce à l'installation de panneaux photovoltaïques et de pompes à chaleur. L'UE souhaite obtenir 10 Mmc supplémentaires via d'autres sources d'approvisionnement par gazoduc, et l'équivalent de 23,5 Mmc supplémentaires via de nouvelles capacités d'énergie éolienne, solaire et de biométhane, outre le stockage d'hydrogène renouvelable.

Offre limitée de gaz naturel

L'évolution la plus importante concerne le GNL, pour lequel l'UE prévoit de remplacer la moitié de l'approvisionnement en gaz russe par d'autres sources. Les nouveaux investissements dans le GNL seront une bonne nouvelle pour les fournisseurs, les transporteurs et les entreprises participant à la construction des infrastructures. L'UE souhaite remplacer environ 50 Mmc de gaz russe par du GNL d'ici la fin de 2022.

Ce plan semble ambitieux. L'Agence internationale de l'énergie estime que les marchés mondiaux disposent de 20 Mmc supplémentaires. Avec une croissance de l'offre de GNL d'environ 5 à 6% par an, les prix sont voués à rester élevés jusqu'en 2023 car les acheteurs se disputeront des approvisionnements limités. Il faut s'attendre à ce que les Etats-Unis en particulier – qui ne représentent actuellement que 15% du marché mondial – en bénéficient de manière significative, de même que les fournisseurs d'Afrique et du Moyen-Orient. Le Qatar prévoit déjà d'accroître sa capacité d'exportation de GNL.
Le 20 mars, l'Allemagne a conclu un accord avec le Qatar pour importer du GNL. Cela permet aux entreprises énergétiques allemandes d'entamer des négociations avec le Qatar, sans préciser les volumes disponibles. Le Qatar a exporté 106 Mmc de GNL en 2020. L'Allemagne, qui ne dispose actuellement d'aucune installation permettant de transformer le GNL en gaz, vient d'approuver la construction de deux terminaux de ce type.

Transition verte

Le changement de politique de l'UE soutient également la transition vers l'énergie verte. Les coûts de l'énergie éolienne et solaire baissaient déjà rapidement avant le conflit et, comparés aux prix actuels du gaz, ils deviennent encore plus favorables.

Les prix élevés des métaux industriels et de la main-d'œuvre, ainsi que les problèmes que connaissent les chaînes d'approvisionnement limitent les nouveaux projets de construction. Dans d'autres domaines, la crise impose un changement. L'Allemagne, par exemple, semble prête à assouplir ses restrictions sur l'aménagement de nouveaux parcs éoliens.

Dépenses d'infrastructure

Les nouveaux financements consacrés à l'énergie, et les nouvelles sources de financement, pourraient contribuer à faire face aux coûts élevés des infrastructures, notamment pour les membres de l'UE les moins fortunés. Comme par le passé, une crise s'avère être un catalyseur dans le bloc européen. Les 10 et 11 mars, les dirigeants européens ont étudié l'idée d'émettre des obligations pour financer les dépenses d'énergie et de défense. Un précédent a été établi durant la crise du Covid. En 2020, la Commission a émis des « obligations sociales », dont le produit a été reversé aux États membres pour les aider à financer leurs dispositifs de chômage partiel.

Les industries à forte intensité énergétique, telles que l'électrification et les infrastructures d'hydrogène renouvelable, attireront des dépenses, en plus du Pacte vert de l'UE et du fonds de relance Next Generation visant à stimuler la reprise post-pandémie. La France investit déjà dans la rénovation énergétique des bâtiments, l'Allemagne prévoit de consacrer des fonds à la mobilité électrique et l'Espagne aux transports publics, aux énergies renouvelables et aux réseaux intelligents.

Nucléaire ? Oui s'il vous plaît

Alors qu'aucune source d'énergie existante ni aucune mesure d'économie ne saurait compenser la perte totale des flux de gaz russe, une grande attention est accordée depuis l'invasion à l'énergie nucléaire en Europe. La nécessité de sevrer le continent du gaz russe a gelé les débats sur son avenir. En janvier, l'Union européenne a modifié sa classification des activités d'investissement pour inclure le nucléaire et le gaz dans la catégorie des « énergies vertes ».

Le nucléaire n'est pas une solution à court terme. La construction et la mise en service de nouvelles installations peuvent prendre jusqu'à dix ans. La production totale d'énergie nucléaire européenne représente actuellement l'équivalent en gaz de 90 Mmc, soit 23% de l'électricité européenne en 2019, dont environ la moitié produite par des sites français. Si le taux d'utilisation des centrales européennes augmentait et si les pays interrompaient leurs projets de fermetures de centrales, l'UE pourrait être en mesure de produire l'équivalent d'environ 13 Mmc d'énergie nucléaire supplémentaire.

Métaux industriels

L'électrification verte est également un élément clé du plan énergétique de l'UE, notamment pour le chauffage domestique qui représente plus de 40% de la consommation européenne de gaz. Le chauffage durable, les batteries industrielles, les onduleurs, les transformateurs et les câbles électriques bénéficieront tous des progrès technologiques réalisés dans le domaine des panneaux photovoltaïques, des pompes à chaleur aérothermiques et géothermiques, ainsi que des améliorations apportées aux « réseaux intelligents ».

Nous sommes depuis longtemps positifs vis-à-vis des métaux industriels et ces changements de politique vont stimuler la demande de cuivre et de nickel utilisés dans les batteries et l'électrification. Ils jouent un rôle essentiel dans la transition vers une énergie durable et offrent une couverture contre l'inflation.

Les actions des entreprises européennes du secteur des énergies renouvelables ont été parmi les premières à progresser depuis le conflit en Ukraine, soutenant les valorisations. Les investisseurs devront se montrer plus sélectifs et plus rigoureux à mesure que ces actions deviennent plus onéreuses. Cependant, face à la possibilité de dépenses publiques supplémentaires, nous anticipons des révisions à la hausse des bénéfices. Nous privilégions les développeurs actifs exclusivement dans l'énergie renouvelable et les producteurs de composants pour produits solaires et éoliens. Dans le domaine de l'énergie éolienne, les installations offshore connaissent une forte croissance et tendent à profiter aux fabricants de turbines de plus grande taille. Dans le domaine de l'énergie solaire, nous privilégions les nouvelles technologies de panneaux, notamment les nanomatériaux, ou les éléments qui peuvent être intégrées directement dans les toits et les fenêtres.

Nous restons neutres sur le secteur des services aux collectivités car même si les plans d'urgence de l'UE leur apporteront un certain soutien, ils demeurent confrontés à des gels de tarifs pour protéger les consommateurs des prix élevés de l'énergie et de la hausse des taux d'intérêt.

L'invasion de la Russie ne remodèle pas seulement la politique énergétique de l'Europe, mais aussi sa stratégie en matière de défense. Les dépenses publiques visant une plus grande indépendance militaire et énergétique, l'économiste français Jean Pisani-Ferry estime que la réponse budgétaire totale de l'Europe pourrait atteindre 175 milliards d'euros pour la seule année 2022. Ce qui permettrait de soutenir la croissance économique dans le sillage de la hausse des prix de l'énergie.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.