Le 25 septembre 2022, les Italiens éliront leur nouveau gouvernement. Déclenchées par la démission du Premier ministre Mario Draghi, ces élections devraient amener au pouvoir une coalition de droite qui aura pour tâche de remédier au ralentissement économique, à l'inflation élevée et à la crise énergétique. Avec de tels enjeux, et tant que les incertitudes persistent quant aux postes clés, notamment en charge de l'économie et des finances, nous conservons une posture prudente sur les obligations d'Etat italien.
M. Draghi a pris ses fonctions en février 2021 avec pour mandat de gérer les programmes de vaccination contre le Covid et de superviser la répartition des fonds de relance de l'UE. L'ancien président de la Banque centrale européenne a démissionné de son poste en juillet et dirigera le gouvernement intérimaire jusqu'au scrutin. Si les sondages d'opinion s'avèrent exacts, Giorgia Meloni, qui dirige depuis 2014 le parti Fratelli d'Italia (Frères d'Italie FDI), dont les racines plongent dans l'extrême droite, remplacera M. Draghi.
Tout comme ses voisins, la troisième économie européenne est aux prises avec une inflation élevée, des prix de l'énergie record et une croissance au ralenti, tous liés à la guerre en Ukraine. Les prix à la consommation y ont augmenté de 8,4% en juillet comparativement à l'année précédente. Selon Eurostat, l'office statistique de l'UE, l'inflation a bondi dans la zone euro de 9,1% en août en rythme annuel, contre 8,9% en juillet. En août, le Fonds monétaire international (FMI) a estimé que l'économie italienne pourrait croître de 3% en 2022, avant de ralentir à 0,7% en 2023. L'inflation, les goulets d'étranglement au niveau de l'offre, la crise énergétique et les incertitudes politiques pourraient provoquer encore plus de dommages économiques. L'économie italienne n'a toujours pas retrouvé sa taille d'avant la grande crise financière de 2008. Elle affiche le deuxième ratio de dette publique/PIB le plus élevé dans le monde, qui avait atteint en 2020 un niveau record de 155,3%. En 2022, nous estimons que ce ratio devrait s'élever à 148% environ, soit le deuxième après le Japon au sein du G20, si l'on tient compte des dépenses budgétaires destinées à soutenir l'économie et les ménages.
La balance commerciale et la balance courante de l'Italie demeurent légèrement positives, malgré l'envolée des prix de l'énergie, ce qui fait que l'économie ne dépend pas des investissements directs étrangers. Reste que par rapport aux principales économies de l'UE que sont l'Allemagne et la France, l'Italie a enregistré une productivité plus faible, a moins investi dans son infrastructure numérique et a mis beaucoup de temps à adopter les nouvelles technologies. Le gouvernement italien a souligné la vulnérabilité du pays face au changement climatique, en particulier face à l'élévation du niveau de la mer, aux vagues de chaleur, à la sécheresse et aux glissements de terrain. L'Italie est également confrontée à un défi démographique, avec plus de 23% de sa population âgée de plus de 65 ans, soit la proportion la plus élevée de l'UE.
Réduire la dépendance, engagements budgétaires
La crise énergétique constitue la principale menace immédiate pour la croissance économique de l'Italie. Après la Hongrie, l'Italie est l'économie européenne la plus vulnérable aux pénuries de gaz naturel en provenance de Russie. L'Italie a réagi en remplissant ses réserves de gaz à plus de 83% de leur capacité début septembre, et en réduisant sa dépendance à l'égard des importations d'énergie russe. L'approvisionnement en gaz naturel russe est passé de 43% au total en 2020 à environ 25% aujourd'hui.
Afin d'amortir l'impact de la hausse des prix de l'énergie, l'Italie a adopté en 2022 un train de mesures de soutien aux entreprises et aux consommateurs d'une valeur de 50 milliards EUR. Une enveloppe supplémentaire de 13,5 milliards EUR attend l'approbation du Parlement. L'impôt exceptionnel sur les profits des entreprises du secteur de l'énergie, qui devait rapporter 10 milliards EUR, n'en a rapporté que 2 milliards pour le moment. Par ailleurs, les dépenses totales destinées à l'Italie dans le cadre du programme de relance « Next Generation EU » s'élèvent à 205 milliards EUR ; elles représentent la part la plus importante des dépenses post-pandémie de l'UE. Il s'agit d'un soutien considérable, surtout si on le compare à l'aide accordée aux autres pays du bloc.
Dans le meilleur scénario – une réponse coordonnée de l'UE à la crise énergétique – le FMI estime que l'arrêt des importations de gaz russe sur douze mois entraînerait une baisse de -0,6% du PIB italien. Dans le scénario négatif – absence de coordination, faible soutien politique – l'économie pourrait se contracter de -5,7% sur un an, selon la même étude. Les dépenses budgétaires déjà engagées par l'administration italienne actuelle réduiraient, selon nos estimations, l'impact économique de ce dernier scénario à -2,7% du PIB.
Soutien de la zone euro
À mesure que la crise énergétique s'installera et que la croissance ralentira, le taux directeur de la Banque centrale européenne devrait atteindre 1,5% d'ici fin 2022. La remontée des taux d'intérêt aura un impact sur la dette publique italienne à un moment donné; le pays détient 285 milliards EUR de dette venant à échéance avant fin 2023, et 228 milliards EUR supplémentaires venant à échéance en 2024.
Début août, Moody's Investors Service a abaissé sa perspective sur la dette souveraine de l'Italie de « stable » à « négative », tout en maintenant sa note à Baa3, en évoquant le ralentissement de la croissance, la hausse des coûts d'emprunt et, au niveau politique, « une discipline budgétaire potentiellement plus faible ».
Les incertitudes entourant l'approvisionnement en énergie, et les prix du gaz en particulier, ont induit une augmentation des rendements obligataires dans l'ensemble de l'UE. L'écart entre les rendements de la dette gouvernementale italienne et allemande à 10 ans atteint 225 points de base, avec les Bunds allemands à 1,76% et les emprunts italiens désormais au-dessus de 4%, leur plus haut niveau depuis neuf ans. Cet écart reste inférieur de moitié à celui observé il y a dix ans, lors de la crise de la dette européenne.
En juillet 2021, l'UE a lancé une émission obligataire à faible taux d'intérêt, ou programme de mutualisation de la dette, destiné à améliorer la solvabilité des États membres et à soutenir l'euro en permettant à la Commission européenne d'émettre de la dette au nom des États membres, avec le soutien de la BCE. En juin 2022, la BCE a franchi une étape supplémentaire en créant un instrument « anti-fragmentation » ou « instrument de protection de la transmission (IPT) », conçu pour éviter l'éclatement de la zone euro en veillant à l'efficacité de la politique monétaire au sein de chaque économie du bloc. L'IPT vient compléter les instruments qui permettent à la BCE d'acheter des obligations italiennes afin d'empêcher un creusement des spreads. Les marchés ont considéré l'IPT comme crédible, éliminant ainsi une partie des risques immédiats pour l'Italie.
Pragmatisme politique
Une coalition de trois partis de droite devrait émerger des élections. Auquel cas, le gouvernement serait composé des Frères d'Italie (FdI), de la Ligue du Nord (Lega Nord) de Matteo Salvini et de Forza Italia, dirigé par Silvio Berlusconi. Ces partis devraient remporter environ 45% des voix au total, ce qui leur donnerait une avance d'environ 20 points de pourcentage sur le centre-gauche et se traduirait par une majorité dans chacune des Chambres du Parlement.
L'équilibre entre les trois partis sera déterminant, compte tenu de leurs positions très différentes sur des sujets tels que la consolidation budgétaire ou leur posture vis-à-vis de l'UE et de l'OTAN. Dans ce scénario d'une large majorité pour le FdI, la coalition devrait former un gouvernement rapidement, avec des conflits potentiels sur la politique européenne au fil du temps. Dans le cas moins probable d'une victoire de Mme Meloni avec une faible majorité, la formation d'un gouvernement prendrait plus de temps.
Quelle que soit la composition exacte du prochain gouvernement, ce dernier bénéficiera d'un point de départ positif en matière de consolidation budgétaire, mise en place par l'administration Draghi. Jusqu'à présent, les mesures visant à atténuer la crise énergétique ont été financées sans déficit supplémentaire et grâce à une amélioration graduelle des recettes fiscales. Pour l'instant, la coalition de droite n'a pas détaillé comment elle entend financer ses propositions, telles que l'augmentation des pensions minimales, ce qui pourrait à son tour ralentir la consolidation budgétaire. Avec un soutien fiscal si dépendant de l'UE, nous nous attendons à ce que le nouveau gouvernement italien adopte une approche pragmatique de ses relations avec la Commission européenne, notamment en abandonnant l'euroscepticisme historique de l'extrême droite.
A court terme, la soutenabilité de la dette ne constitue pas un risque grâce à la maturité plus longue de la dette publique italienne mais la hausse des taux d'intérêt pèsera à plus long terme. L'éligibilité à l'IPT de la BCE et la volonté du gouvernement de respecter les critères du programme seront déterminantes. L'écart de rendement entre les obligations gouvernementales italiennes et les Bunds allemands sera donc très sensible à ces facteurs, mettant à l'épreuve les niveaux actuels dans les semaines à venir.
Cependant, si le gouvernement adopte une politique économique plus axée sur la protection des petites entreprises italiennes que sur les investissements dans les grandes industries, cela pourrait décourager les investissements directs étrangers. En l'absence d'une réelle clarté concernant les ambitions en matière de politique fiscale du nouveau gouvernement italien et les postes clés, notamment en charge des politiques économique et financière, nous restons prudents sur la dette souveraine italienne.