Egarements économiques : le diagnostic de Jacques de Larosière

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Par Jacques Bichot Publié le 28 mai 2021 à 5h46
Quelle Retraite Pour Demain
447000 EUROSUn retraité en France perçoit en moyenne 447 000 euros de pensions

Ce grand banquier, qui fut notamment gouverneur de la Banque de France puis de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, vient de publier un livre au titre sévère : 40 ans d’égarements économiques. Cet ouvrage comporte également Quelques idées pour en sortir, comme le précise le sous-titre. La lecture de ces 200 pages, écrites dans un langage simple, et illustrées par des graphiques qui, souvent, nous en disent plus qu’un long discours, n’est pas du temps perdu.

Une croissance de moins en moins vigoureuse

Durant les « Trente Glorieuses », de la Libération à 1974, la croissance française a été forte : 5 % par an. Mais ensuite le rythme se ralentit, et depuis le début du troisième millénaire nous en sommes réduits à 1% par an. Notre excédent commercial est remplacé, à partir de 2005, par un déficit chronique et les dépenses de fonctionnement des administrations s’accroissent, financées de plus en plus par l’endettement. Résultat : aux « trente glorieuses » ont succédé les « trente piteuses ». La France a cessé d’être championne : « En 1975 la France figurait au 5e rang mondial pour le niveau de vie par habitant ; aujourd’hui, elle est au 26 e rang. » Et, depuis 2006, la balance commerciale française s’enfonce dans le déficit, tandis que la dette publique augmente, et dépasse le PIB en 2019 – avant l’arrivée de la pandémie Covid. Les marges bénéficiaires des entreprises françaises, en moyenne nettement inférieures à celles des entreprises de la zone euro, ne sont pas suffisantes pour financer correctement leurs investissements.

Un gros problème : les retraites

Au tournant du siècle, il y avait en France trois actifs pour entretenir un retraité. C’était déjà très lourd. Mais aujourd’hui la proportion est de deux actifs pour un retraité : « le système actuel n’est plus viable », constate logiquement J. de Larosière. D’autant, pourrait-on ajouter, que les retraités âgés qui terminent leur vie en EHPAD sont de plus en plus nombreux : 496 000 en 2009, et 595 000 en 2018, soit 2 % de plus chaque année. Quant au coût de cette formule, il a explosé : de 4,9 Md€ en 2008 il est passé à 8,6 Md€ en 2018, ce qui signifie un gros accroissement du coût par personne.

Il ne s’agit évidemment pas de « radiner » sur la façon de traiter les personnes âgées dépendantes, mais pour supporter cette dépense, il faut des cotisations ou des impôts, et comme ces prélèvements sont déjà bien trop lourds, il faudrait logiquement plus de cotisants, c’est-à-dire plus de personnes au travail. Or l’âge de la retraite, en France, démagogiquement abaissé de 65 ans à 60 ans en 1983, est très inférieur à celui de la plupart des pays développés, malgré son relèvement à 62 ans. Aux Etats-Unis l’âge « normal » de la retraite est 66 ans, en Italie 67 ans, et surtout de nombreux pays ont eu l’intelligence de programmer une augmentation progressive. Ainsi nos voisins allemands, qui en sont à 65 ans et 8 mois, monteront-ils à 67 ans en 2029 ; la Belgique, actuellement à 65 ans, a programmé une augmentation jusqu’à 67 ans également, en 2030 ; Le Danemark passera de 66 ans aujourd’hui à 68 ans en 2030. La France fait partie des « mauvais élèves » qui n’ont pas l’intelligence de prévoir « à froid », longtemps à l’avance, les mesures dont on sait pourtant bien qu’elles seront un jour absolument nécessaires.

Des salaires qui augmentent trop relativement à la productivité

La France est un cas paradoxal : l’augmentation des salaires dans les branches marchandes de l’économie a longtemps été supérieure à celle de la productivité. Ce mouvement semble avoir été stoppé, mais il n’a pas été inversé, si bien que les entreprises françaises se battent dans la concurrence internationale avec un handicap : ce n’est pas seulement vis-à-vis de la Chine que le travail y est trop cher, c’est aussi vis-à-vis de nos voisins allemands et de bien d’autres pays qui ont compris que la concurrence mondiale impose une certaine discipline salariale.

Les lois de 1998 et 2000 instaurant une réduction du temps de travail hebdomadaire de 39 heures à 35 heures constituent une autre forme d’augmentation des salaires, réalisée de façon politicienne dans une logique de partage du travail : Ses partisans s’imaginaient que cela permettrait de créer de nombreux emplois, conformément au slogan « travailler moins pour travailler tous ». En fait, l’entreprise France perdit en compétitivité. Et les finances publiques en pâtirent, car pour faire passer la pilule, effroyable pour les responsables d’entreprises – payer le même prix pour 35 heures de travail qu’auparavant pour 39 heures – les pouvoirs publics réduisirent les cotisations sociales dites « patronales », mettant ainsi la sécurité sociale en déficit.

Comment s’en sortir ?

La pandémie n’a évidemment pas arrangé les choses. Raison de plus pour engager des réformes, estime l’ancien Gouverneur de la Banque de France. Premièrement, il faudrait faire une place plus importante au principe de subsidiarité. Selon ce principe, il ne faut pas prendre toutes les décisions au sommet : « l’échelon supérieur est seulement responsable des missions que les autres collectivités ne peuvent pas remplir ». Autrement dit, abandonnons la manie française de légiférer pour quantité de problèmes qui peuvent être résolus au niveau de l’entreprise, ou de l’établissement scolaire, ou de l’hôpital. Les gouvernants veulent trop en faire, et trop donner une forme législative à leur action.

Le cas de l’hôpital a bien été traité par le professeur de médecine Michaël Peyromaure dans son ouvrage Hôpital, ce qu’on ne vous a jamais dit : « Progressivement, afin d’acquérir la maîtrise totale de l’organisation hospitalière, nos pouvoirs publics ont tout mis en œuvre pour abolir le pouvoir des chefs de service. (…) Ils ont fait appel à une armée de technocrates pour concevoir des normes et des règlements en tous genres. Puis, pour les faire respecter, en deux décennies ils ont installé à l’hôpital une administration pléthorique et puissante. (…) Chaque décision, aussi insignifiante soit-elle, doit remonter en haut de la pyramide pour être validée. »

Cet état d’esprit bureaucratique plombe bien d’autres organismes que les hôpitaux. La France a besoin que ses gouvernants en fassent beaucoup moins, laissent davantage de liberté aux responsables de terrain. Le principe de subsidiarité n’est certes pas, à lui seul, la solution à tous nos problèmes, mais l’excès de centralisation est un frein considérable au progrès et à la résolution des inévitables problèmes qui se posent à tous niveaux.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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