Quatre mois à la place d’un professeur de lycée juste avant le baccalauréat (3/4)

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Par Gilles Corbet Publié le 8 septembre 2013 à 4h13

13 heures de cours par semaine sur trois jours, exceptionnellement 15 heures sur quatre jours, plus souvent 10 heures en tenant compte des jours fériés, deux semaines de vacances toutes les six semaines.

Qualité : insomniaque

Bien qu’ayant aménagé une présence réduite à mon agence immobilière, la situation était compliquée :

- je n’avais pas la capacité d’apprendre longtemps à l’avance le cours que je découvrais et de le mémoriser suffisamment : je devais donc travailler le jour pour le lendemain.

- j’avais en moyenne besoin de trois heures de préparation pour dispenser une heure de cours magistral. Dans ces conditions, ma principale qualité résidait souvent dans ma capacité à me réveiller naturellement à 3 heures ou 4 heures du matin pour préparer un cours que je donnais à 8 heures.

- dans les premières semaines, je débutais l’enseignement des chapitres sans en connaître la fin, ce qui me valait de préciser, de compléter voire de rectifier mes propos au fur et à mesure de l’avancement du cours.

- Je trouvais en général les connaissances du livre insuffisamment structurées : elles ne correspondaient d’ailleurs pas au nouveau programme (le programme venait de changer, le livre correspondait à l’ancien programme), il fallait plutôt suivre les fiches Eduscol établies par le ministère et disponibles sur internet.

- Pour l’ensemble de mes cours, craie blanche sur tableau noir : la révolution numérique n’avait pas encore atteint la porte de ma classe.

Les semaines s’enchaînèrent sans que je réussisse à diminuer cette pression quotidienne.

Même les périodes de vacances scolaires n’étaient pas propices à un relâchement, je devais compenser dans mon activité professionnelle le temps que j’avais consacré à l’enseignement.

Demandez le programme

Le programme de terminale, composé de 5 chapitres de « science économique » (terme au singulier utilisé par le livre de référence), de 5 chapitres de sociologie et de 5 chapitres de « regards croisés », est très révélateur des tensions qui animent cet enseignement. L’économie et la sociologie se parlent peu, leurs connaissances se juxtaposent plus qu’elles ne se complètent. Les théories économiques dominantes se prétendent plus proches des sciences dites exactes par l’utilisation du langage et de la méthodologie mathématiques que des sciences humaines (et parfois inhumaines).

Contrairement à ce que laisse entendre sa dénomination, la partie « regards croisés » fonctionne quant à elle comme les deux feux déréglés d’une voiture dont chacun éclairerait les côtés de la route et non simultanément le centre.

Je découvrais même, lors de la présentation aux parents des futurs lycéens, que le ministère de l’Education Nationale avait pris soin de créer en seconde le choix entre deux « enseignements d’exploration » en économie distincts : les élèves doivent choisir entre des cours de Sciences Economiques et Sociales et des cours de Principes Fondamentaux de l’Economie et de la Gestion.

Compte tenu de la faible différence dans leurs contenus, la concurrence des enseignants des deux matières pour attirer les élèves dans leurs cours avait quelque chose de dérisoire.

Cette distinction ne semble se justifier que par la volonté politique de développer une orientation gestion plus favorable à l’entreprise et une orientation sociologie plus critique, à laquelle la controverse entre le nouveau président du MEDEF et l’association des professeurs de sciences économiques sur l’un des sujets du baccalauréat ES 2013 (« Vous montrerez de quelle manière les conflits sociaux peuvent être facteurs de cohésion sociale ») a fait écho.

L’équilibre entre économie et sociologie relève apparemment de la même logique.

Quant au programme de seconde, il est tout aussi caractéristique de cette juxtaposition de savoir sans recherche de cohérence entre les chapitres, où il s’agit seulement de se familiariser avec des notions économiques.

Une présentation ponctuelle des théories et des faits économiques récents des sociétés occidentales ne suffit pas à donner un cadre d’analyse cohérent qui manque singulièrement dans les programmes scolaires pour l’étude des spécificités de cette discipline et de sa place dans l’ensemble des savoirs.

Le fonctionnement de l’économie est perçu comme l’élément primordial du fonctionnement des sociétés occidentales dans la vision capitaliste libérale de la main invisible et du « money makes the world turn round », comme dans la vision étatiste de la production et de la régulation des marchés.

Au niveau systémique, dans sa version contemporaine de mondialisation de la production et des échanges (interdépendance des économies nationales, puissance des entreprises multinationales, diffusion planétaire des informations en un clic et 24 heures sur 24), la primauté de l’économique sur le politique s’affirme : les Etats sont financièrement dépendants des marchés financiers, les politiques des pouvoirs publics et des institutions internationales se fondent sur les prévisions des modèles macroéconomiques.

Devant la prédominance de l’économie réelle dans la société et la généralisation des principes de rationalité et de concurrence, les sciences économiques ont du mal à trouver une place correspondante dans le monde académique. Sans doute à cause des tentatives infructueuses pour fonder l’économie comme discipline autonome sur la base d'une méthodologie scientifique.

On peut même avancer le fait qu’elle souffre d’un certain discrédit depuis qu’on lui attribue une valeur prédictive. Quels économistes avaient envisagé la crise de 2008 et ses conséquences internationales ?

Le plus sûr allié des économistes en quête de reconnaissance semble être l’amnésie.

Comment assurer une meilleure compréhension de la signification des faits économiques et de leurs relations au niveau scolaire ?

L’enseignement de l’économie pourrait s’organiser dès le lycée autour de trois objectifs :

- clarifier les champs d’analyse de cette discipline, ses méthodes et ses limites

- intégrer dans un cadre structurant les savoirs qui sont dispensés

- initier les élèves à une réflexion sur ces savoirs en s’appuyant sur des apports pluridisciplinaires en philosophie, en statistiques, en sociologie, en politique et les habituer à porter un regard critique sur la discipline en traitant par exemple des questions suivantes :

En quoi l’économie est-elle une science, en quoi se rapproche-t-elle ou se différencie-t-elle des sciences dites exactes et des sciences humaines ?

En quoi l’analyse économique peut-elle avoir une valeur prédictive ?

En quoi l’économie politique est-elle fondée sur des principes idéologiques ?

En quoi la recherche de la signification des faits économiques et de leurs relations peut-elle relever d’une dimension ontologique ?

De toute évidence, pour cette première expérience, je n’avais pas les moyens de mes ambitions. J’étais insatisfait de limiter mon activité à la restitution approximative du programme ou de ce que j’en avais compris.

La théorie du cancre

La réflexion d’un élève de terminale dont la participation orale était excellente mais la production écrite assez moyenne m’avait interpellé : « Tous les professeurs me disent que mes devoirs écrits ne sont pas structurés mais personne ne me dit comment les structurer ».

Il ne suffisait effectivement pas de demander aux élèves de faire des efforts en les laissant se débrouiller par eux-mêmes, mais de leur apporter des méthodes pour progresser en leur expliquant leur utilité.

Chaque élève a des capacités pour apprendre et comprendre, mais tous ne peuvent le faire au même rythme. Ces différentiels nécessitent une gestion des cours spécifique à chaque classe difficile à mettre en œuvre.

Dès les premiers jours, j’avais ressenti une certaine tension dans ma relation avec les élèves de terminale, résultat d’une inquiétude sur le retard accumulé dans les cours mais aussi d’une volonté de tester les limites de mon autorité.

J’avais essayé de détendre l’atmosphère par la mémorisation rapide de leur identité. Je faisais l’appel par ordre alphabétique de leurs prénoms et, pendant les deux premières semaines, chacun ne manquait pas de me saluer à l’entrée et à la sortie du cours suivi d’un large sourire quand j’arrivais à replacer le bon prénom sur la bonne tête. Je n’ai appris leurs noms de famille qu’en remplissant les bulletins scolaires.

Ils faisaient preuve d’une motivation que je ne retrouvais pas dans les classes de seconde. L’enseignement doit faire l’objet d’un engagement réciproque : l’élève doit faire les efforts que nécessite cet apprentissage ; l’enseignant doit être en capacité de transmettre des savoirs qu’il maîtrise et de développer des pédagogies permettant à tous l’acquisition des connaissances.

Rien de tout cela n’était en place dans l’enseignement des classes de seconde : ni le comportement, ni le savoir, ni la méthode.

J’observais des enseignants d’économie désabusés par des élèves qui « n’en avaient rien à faire », recherchant dans des supports audiovisuels un moyen de fixer l’attention de ce public.

Le Conseil de Classe du second semestre de terminale ES me permit de mettre en perspective le débat enseignement versus éducation.

Le néo professeur principal (cette fonction avait été confiée en début d’année au professeur titulaire en arrêt-maladie) réclamait des avertissements à mentionner sur les bulletins scolaires pour les élèves qui ne faisaient pas d’efforts et dont les résultats étaient mauvais, un autre professeur était défavorable à cette demande, préférant les responsabiliser sans les sanctionner. La discussion porta rapidement sur un cas particulier.

Avant mon arrivée, le rôle du mauvais élève ayant des résultats faibles et s’investissant peu dans son activité scolaire avait été attribué à un jeune homme dans la classe de terminale : il était gentiment raillé par les autres élèves, réprimandé par les enseignants, et servait de faire valoir à l’administration pour valoriser les élèves aux résultats faibles qui manifestaient néanmoins des efforts pour améliorer leurs résultats.

Un peu provocateur, il avait expliqué au néo professeur principal lors d’un entretien qu’il le remerciait de s’intéresser à son cas mais que de toute façon il obtiendrait le bac.

Ceci nous valut lors du conseil de classe la lecture détaillée des notes et des appréciations désastreuses de son bulletin scolaire par le professeur vexé.

Pour ma part, j’estimais que cet élève méritait une attention particulière.

Nouveau professeur, nouveau comportement : au bout de quelques semaines, il s’était mis à jouer avec son statut antérieur de cancre en prenant avec un certain humour la posture du bon élève.

Souvent premier à entrer dans la classe, participation assez active au cours entrecoupée de quelques siestes, volonté affichée de répondre aux sollicitations de l’enseignant, notes encore faibles bien qu’il obtint la moyenne au dernier devoir sur table du 2ème trimestre et au baccalauréat blanc. Il était classé 30ème sur 31 dans le bulletin du 1er trimestre et faisait partie des élèves pour lesquels l’obtention du baccalauréat était très aléatoire.

Lors du conseil, je demandais une modification de l’appréciation générale particulièrement négative en faisant valoir ce changement de comportement encore modeste mais que je présentais comme significatif. Modification que j’obtenais de manière très marginale.

Le troisième trimestre ne confirma pas ses bonnes dispositions initiales, mais la réussite de cet élève devint pour moi un des enjeux des résultats du baccalauréat.

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Gilles Corbet est expert en immobilier. Il a écrit régulièrement dans le journal "Tout l'Immobilier", hebdomadaire genevois, sur les marchés immobiliers suisses et français (une dizaine d'articles).Il a ensuite été rédacteur et coordordinateur de l'étude sur "l'interdépendance des marchés immobiliers résidentiels sur le bassin franco-valdo-genevois" réalisée par l'Equipe de Recherche en Ingénieurie des Connaissances de l'Université de Lyon 2 et le Laboratoire d'Economie Appliquée de l'Université de Genève dans le cadre du programme européeen Interreg.