Le 22 mars 2012, Hillary Clinton, alors Secrétaire d'Etat américain, profitait de la Journée mondiale de l'Eau pour rendre public un rapport intitulé « Global Water Security ».
Ce document dévoilait pour la première fois les analyses de la Communauté nationale du renseignement américain sur les scenarios sécuritaires que le manque d'eau, ou, à l'inverse, des inondations majeures comme au Pakistan en 2010, vont induire pour des pays alliés des Etats-Unis ; impliquant potentiellement une réponse civilo-militaire de Washington.
Dans la foulée, le National Intelligence Council publiait également un rapport sur les tendances de fonds qui sont à̀ attendre d'ici 2030. Cette nouvelle publication prend notamment en compte les chiffres de l'OCDE qui prédisent qu'en 2050, 40 % de la population mondiale, soit 3,9 milliards de personnes, vivront dans des régions confrontées au stress hydrique et, qu'à cette date, la demande en eau aura augmenté́ de 55 % par rapport à̀ l'année 2000. Le nombre de personnes affectées par le stress hydrique aura également crû de 2,3 milliards par rapport au début du XXIe siècle.
La prise en compte du monde industriel
Parallèlement à ces instances de réflexion stratégique et de prospective, certaines grandes entreprises internationales tirent également la sonnette d'alarme. Lors de l'édition 2008 du World Forum à Davos, Peter Brabek-Letmathe, alors P-DG de Nestlé́, avait le premier appelé́ à la création d'une « coalition public-privé inédite et puissante », afin de répondre, de manière coordonnée et structurée, aux crises de l'eau qui se profilent. Il était accompagné en cela par les présidents et directeurs généraux de Coca-Cola Company, de Dow Chemicals et de Rio Tinto.
L'industrie agro-alimentaire et les activités minières, comme les entreprises chimiques, sont en effet parmi les plus concernées par le manque d'eau qu'elles peuvent rencontrer dans certains pays où elles opèrent. Ces groupes internationaux se doivent en conséquence d'adapter leur outil de production à ses contraintes naturelles et de faire en sorte que leur empreinte en eau soit la plus mince possible pour ne pas pénaliser encore plus les populations riveraines.
Sachant que le secteur minier est le deuxième secteur industriel le plus consommateur d'eau au monde (représentant l'équivalent annuel de la consommation domestique des Etats-Unis) et que 70% des projets des six plus importantes compagnies minières sont situés dans des zones en stress hydrique, un géant industriel comme Rio Tinto a pris dès 2005 l'initiative d'une politique interne visant à̀ étudier l'impact de ses activités sur les ressources en eau, et à en limiter la consommation notamment en introduisant des techniques de réutilisation d'eaux usées.
De son côté, Pepsi Cola a obtenu en 2012 le prestigieux Industry Award de la Semaine Internationale de l'Eau de Stockholm pour avoir su diminuer de 20 % la consommation d'eau de ses unités de production, soit 16 milliards de litres sur l'année 2011, comparée à 2006, année du lancement de sa démarche interne .
Même les entreprises du monde émergent s'y mettent, comme en témoigne le cas du groupe indien Tata qui a rendu public, lors d'édition 2013 de Semaine Internationale de l'Eau de Stockholm, son premier rapport concernant l'empreinte en eau de ses activités Tata Chemicals, Tata Motors, Tata Power et Tata Steel.
Mais ce sont également les investisseurs institutionnels qui viennent progressivement participer à cette prise de conscience et à ces actions collectives sur le manque d'eau. Si la haute finance s'intéresse ainsi à la question, c'est dire l'urgence de la situation.
Pour preuve, les déclarations du Norges Bank Investment Management (NBIM), qui gère les capitaux du Norwegian Government Pension Fund, soit plus de 500 milliards d'euros et l'un des plus gros fond d'investissement de la planète. Au même titre que cinq autres critères d'investissement éthiques (respect du droit des enfants, respect des actionnaires minoritaires...), le fond norvégien a ainsi annoncé, le 14 aout 2010, qu'il s'abstiendra désormais d'investir dans des sociétés qui n'ont pas de politique de gestion économe de la ressource en eau pour leur outil de production ; qui ne prennent pas en compte l'impact de leurs activités sur la qualité́ de l'eau ; ou qui ne font pas preuve de transparence dans leur reporting dédié à l'eau.
Une diagonale de la soif
Il est fondamental à agir de la sorte, et en particulier dans une zone étendue, que l'on peut qualifier de « diagonale de la soif ». Elle va de Gibraltar, aux confins septentrionaux de la Chine ; en passant par le monde arabo-musulman, ce que furent l'Empire perse et l'ancien Turkestan, puis, en suivant la muraille de Chine, pour nous amener jusqu'à Pékin.
La Chine, qui en octobre dernier selon le FMI, a ravi aux Etats-Unis le rang de première puissance économique de la planète, est en effet confrontée à un manque d'eau sur une partie de son territoire, et notamment dans le Nord du pays, où les niveaux de stress hydrique atteignent ceux de Djibouti ou de l'Algérie, avec 500 m3 d'eau par an et par habitant en termes de ressources.
La faute en revient principalement aux besoins en eau toujours plus importants de l'agriculture chinoise. En 2015, il est estimé que celle-ci représentera 57,5 % de la demande en eau douce consommée en Chine, avec 385 milliards de m3. Cette demande du secteur agricole sera encore de 420 milliards de m3 en 2030, représentant 50 % de la demande en eau de la Chine.
D'où l'objectif stratégique fixé par le Comité central du Parti Communiste Chinois, d'augmenter de 60 % l'efficacité́ des techniques d'irrigation à horizon 2030.
Quand celle-ci est combinée au savoir-faire des hommes, la technologie est en effet l'une des solutions les plus prometteuses pour répondre aux problèmes posés par le manque de ressources en eau.
Dans les zones, nombreuses, qui vont connaître - ou connaissent déjà - le prix de la rareté, techniciens et ingénieurs auront un rôle de plus en plus crucial à jouer pour rattraper des années de sous-investissement dans les infrastructures, ou encore d'absence de maintenance dans les usines de production et dans les réseaux de distribution d'eau, tout comme dans l'assainissement.
Dans ce contexte, l'école française de l'eau continuera assurément à exprimer son talent à l'international.
De Casablanca à Alger en Afrique du Nord, de Riyadh à La Mecque dans le Royaume d'Arabie Saoudite, en passant par les grandes villes chinoises, c'est quotidiennement que le savoir-faire et le savoir-être des techniciens et ingénieurs de sociétés françaises (Veolia, Suez Environnement, SAUR) se mettent au service des populations, assurent le service de l'eau au profit de sites industriels aux process toujours plus complexes, ou rendent les villes plus efficientes dans leur consommation d'eau.
Les experts de ces grands groupes, mais aussi ceux des sociétés d'ingénierie, répondront à l'avenir une nouvelle fois présents pour intervenir sur les nouveaux théâtres de crises qui s'annoncent : l'Iran, pays confronté à une situation intenable notamment pour une ville comme Téhéran et ses 8 millions d'habitants; l'Inde, dont la croissance sera freinée faute de partenariats public-privé exemplaires dans les infrastructures en eau et en assainissement ; la Chine toujours, vu le potentiel de marché que cette nation représente en matière de gestion des réseaux urbains, de traitement des sols et des rivières pollués, et de solutions alternatives comme le dessalement ou la réutilisation des eaux usées.