Le Conseil d’Analyse Economique, qui a pour mission, auprès du Premier ministre, de confronter des points de vue et analyses afin d’éclairer les choix du Gouvernement vient de rendre une note intitulée « Repenser l’héritage ».
Cette note a pour postulat de proposer une répartition « plus juste » des richesses dans l’objectif de favoriser l’égalité des chances entre individus. Cela conduit à envisager une taxation des flux issus de l’héritage de manière différente, non sur les taux ou sur les assiettes de taxation, mais sur la philosophie même de la taxation de l’héritage.
Les écueils avancés par la note au titre des exemptions fiscales sont toutefois à nuancer. Le premier écueil qui porte sur le dispositif d’exonération partiel des transmissions d’entreprise est par exemple surprenant. En effet, ce dispositif connu sous le nom de « Dutreil », qui permet des réductions de l’assiette taxable, a pour objectif de favoriser la transmission des entreprises familiales dans un but de stabilité et d’emploi. Les bénéficiaires doivent d’ailleurs s’engager non seulement à diriger l’entreprise mais à la conserver pendant une durée de 6 ans.
L’objectif suivi par le législateur étant de pérenniser les entreprises afin d’éviter leur cession forcée pour le règlement des droits de succession. Il ne peut en ce sens être qualifié de niche fiscale, le dispositif répondant à un intérêt supérieur.
Le second écueil vise la fiscalité liée à l’assurance-vie. Ecueil à nuancer également, d’une part car les fonds placés en assurance-vie après l’âge de 70 ans répondent strictement à la même fiscalité que la fiscalité successorale, d’autre part car les fonds placés avant 70 ans restent taxés à des taux importants assez comparables à ceux que rencontrent les héritiers en ligne directe. L’assurance-vie permet des économies importantes lorsque le bénéficiaire n’est pas un descendant en ligne directe de l’assuré.
Le troisième écueil vise le démembrement de propriété, au terme duquel seule une partie de la valorisation du bien est taxée. Ecueil étonnant s’il en est, ce dispositif ne pouvant par nature s’appliquer qu’en cas de donation et non de succession, le donateur se réservant l’usufruit, c’est-à-dire la jouissance du bien, sa vie durant. Privé de la jouissance, le bien n’a pas la même valeur et se trouve en conséquence moindrement taxé.
Enfin, le quatrième écueil qui vise l’absence de taxation des plus-values latentes au moment des successions est peut-être le plus contestable juridiquement. En effet, à l’occasion d’une succession le bien est taxé au titre des droits de mutation pour sa valeur au jour du décès. Le bien transmis est dès lors soumis à l’impôt, mais à un impôt différent, les droits de mutation à titre gratuit, que l’impôts de plus-value. Cet impôt a des tranches marginales plus importantes (45%) que l’impôt de plus-values (34,5%) qui profite en outre d’abattements en raison des années de détention.
Au-delà de ces écueils contestables, il n’est pas inintéressant de s’interroger sur une nouvelle définition de la politique de l’héritage. En vue d’envisager une philosophie différente de la taxation du flux successoral, la note avance quatre recommandations :
- Envisager les flux successoraux perçus tout au long de la vie d’un contribuable et non comme actuellement sur une période de 15 années.
- Taxer ces flux successoraux perçus tout au long d’une vie au moyen d’un barème progressif, dépendant du montant des flux.
- Modifier l’assiette des droits de succession afin de supprimer purement et simplement les quatre écueils énoncés ci-dessus.
- Verser un capital « pour tous » à la majorité du contribuable.
Du point de vue du praticien, ces recommandations semblent manquer de profondeur de vue, en ce sens que ces recommandations aboutissent à augmenter nécessairement, par nature, quelle que soit l’importance des patrimoines, l’assiette et le taux de taxation en supprimant parallèlement, purement et simplement, l’ensemble des dispositifs encourageants la transmission.
Suppression compensée par la redistribution d’une somme d’argent à la majorité.
Cette politique n’envisage dès lors l’héritage que du point de vue purement financier, alors qu’il est important pour l’individu, dans sa construction humaine, d’hériter d’un patrimoine. L’héritage doit se comprendre comme une transmission, non pas financière, mais de valeurs, d’une histoire, d’affections, de souvenirs… La transmission à nos enfants, nos petits-enfants, aux générations futures n’est-elle pas de l’essence même de la vie, de son sens premier et profond ?
Le moment de l’héritage est un passage, douloureux, difficile, mais o combien nécessaire et important. Il accompagne la construction de l’individu, lui donne du sens et lui transmet une mission et une histoire. Il n’est ainsi pas raisonnable de casser le mécanisme de la transmission pour des raisons purement financières.
Toutefois, il reste intéressant de s’interroger sur la mécanique de l’héritage afin de le rendre plus juste dans une société en quête de justice sociale. En ce sens, pourquoi ne pas modifier la philosophie financière de l’héritage en découpant la donation du vivant de la succession.
La donation pourrait être encouragée par une politique fiscale attrayante (abattements, taux de taxation inférieurs, assiettes élargies…) en ce sens qu’elle assure la transmission nécessaire entre les générations plus tôt, au regard de l’allongement de la durée de vie, favorisant ainsi la dépense et l’alimentation de la machine économique par les générations plus jeunes, accomplissant ainsi la mécanique de transmission entre les générations.
A l’inverse, la succession pourrait subir une taxation plus lourde que la donation afin de tenir compte des politiques de redistribution et d’égalité des chances.
Ainsi encouragée, la transmission du vivant doit encourager la dépense et non la thésaurisation et la transmission entre générations.