Dow Kokam France fait partie de ces innombrables entreprises suspendues, impuissantes, au délibéré d’actionnaires étrangers. Dow Kokam, au fond, est symptomatique de l’incapacité de la France à faire fructifier ses investissements stratégiques.
A l’origine, Dow Kokam France était connue sous le nom de SVE (Société de Véhicules Electriques), intégralement détenue par le groupe Dassault. Pour créer cette entreprise spécialiste de l’intégration de systèmes de batteries destinés aux véhicules propres, le groupe industriel a déboursé quelque 70 millions d’euros. Il a d’ailleurs été assisté dans le développement de ce projet industriel stratégique par l’Etat qui a subventionné SVE-Dassault à hauteur de 10 millions d’euros via l’ADEME et le crédit d’impôt recherche.
En 2009, le fruit de cet investissement est cédé à Dow Kokam LLC, une société américaine fabriquant des accumulateurs, détenue à 67 % par Dow Chemicals et à 22 % par un fonds d’investissement américain. SVE-Dassault devient alors Dow Kokam France.
Mais pour la maison-mère américaine, c’est la perspective d’un échec qui se profile rapidement, jusqu’à faire l’objet d’une décision de cession par ses actionnaires compte tenu de nouvelles orientations stratégiques au niveau du groupe.
Dow Kokam France, pour sa part, devient orpheline : les Américains entendent la revendre séparément, compte tenu du capital technologique qu’elle a développé. En effet, la filiale française, qui n’a eu de cesse de faire fructifier l’héritage technologique que lui a légué Dassault en matière d’intégration système, dispose d’un produit extrêmement abouti depuis fin 2012. Mais celui-ci n’a été commercialisé que durant 6 mois, avant que la réorientation stratégique du groupe n’y mette un terme.
Un repreneur français sur les rangs ?
Une situation que le PDG de Dow Chemicals, Andrew Leveris, justifiait indirectement en ces termes dans une interview accordée au Monde, le 19 septembre dernier : « Franchement, pour une entreprise qui fabrique des produits de base à partir de pétrole ou de gaz, je ne vois pas comment investir en Europe peut se justifier. » Les salariés de Dow Kokam France, dans un communiqué du 7 octobre, estiment quant à eux qu’il s’agit d’un « gâchis de savoir-faire français » d’autant plus qu’en cas de liquidation « la propriété intellectuelle serait récupérée par la maison-mère américaine et l’Etat français supporterait le coût des licenciements ».
Plusieurs sources semblent indiquer qu’une solution alternative –et française – se profile en vue de la reprise de Dow Kokam France. C’est également ce que corroborent les informations en possession des salariés, qui indiquent dans leur communiqué qu’il reste « actuellement une offre de repise par une société française, spécialiste du secteur », et que cette offre serait « toujours en attente de réponse de la part de l’actionnaire ».
Une opportunité industrielle majeure, à l’aube du projet de loi sur la transition énergétique
Pour un « acteur spécialiste du secteur », du moins tel qu’il est présenté par les salariés de Dow Kokam France, l’opportunité de réaliser des synergies industrielles est immense : Dow Kokam France a investi 5 millions d’euros supplémentaires en 2010 pour se doter d’une unité de production démontrant « la capacité industrielle mondiale de Dow Kokam à produire des cellules et des packs à grande échelle ».
Cette capacité, qui permettrait d’équiper 5000 véhicules par an, s’intègre parfaitement dans la perspective d’un véritable projet industriel pour le pays reposant sur les technologies durables.
En effet les batteries lithium-ion, dont les applications sont nombreuses (véhicules électriques, stockage d’énergie solaire ou éolienne par exemple), constituent à ce jour « l’une des meilleures solutions pour alimenter en électricité les appareils nomades (appareil photo, téléphone mobile) ou les véhicules (voiture hybride, voiture électrique) », explique le site Futura Sciences. Les enjeux pour le tissu industriel français sont donc majeurs, et débordent largement du cadre de la seule production de batteries : il s’agit d’une technologie concourant à son indépendance stratégique et ce, dans plusieurs secteurs.
Pourtant selon les représentants des salariés de Dow Kokam France, « aucune des offres de reprise proposées n’a abouti jusqu’à maintenant ». Une situation que l’on comprend mal, sauf à considérer l’implication d’autres acteurs, plus au fait de ces enjeux industriels qu’il n’y paraît.
Téléscopage d’ambitions
Selon d’autres sources proches du dossier, le fonds d’investissement américain actionnaire de Dow Kokam se serait lui-même, term sheet déjà en poche, porté acquéreur de l’usine américaine. Seul problème: Dow Kokam France ne fait pas partie du package. En d’autres termes : en passant sous contrôle français, Dow Kokam France risquerait de contribuer à l’émergence d’un sérieux concurrent pour l’Américain.
Une situation que le fonds entend bien éviter, contre-proposition de rachat à l’appui, incluant cette fois-ci l’unité française. Un rachat dont les salariés craignent, rappelons-le, qu’il tourne à la liquidation immédiate la filiale française.
Objectivement, et bien que les ambitions prêtées au fonds d’investissement américain soient cavalières, elles n’en sont pas moins légitimes et stratégiquement fondées. Car le ticket d’entrée sur ce marché étant déjà élevé, une telle situation lui en fermerait définitivement les portes.
Dow Kokam a-t-il été évoqué lors de la rencontre qui eut lieu le 10 septembre entre Arnaud Montebourg et l’Australien Andrew N. Liveris, le patron de Dow Chemical ? Personne, pour l’heure, ne semble pouvoir y répondre. Pour autant, ce dossier communiqué aux autorités françaises soulève, pour la énième fois, une question de fond : l’Europe et la France sont-elles suffisamment armées contre les vélleités de sabordage économique ? La réponse, pour les personnels concernés, tient en ces chiffres : en un an seulement, les effectifs de Dow Kokam France « sont passés de 78 à 18 personnes et depuis 3 mois, précisent-ils, la production est arrêtée ».