Devons-nous nous préparer à une crise monétaire de grande envergure ?

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Par Jacques Gravereau Publié le 3 mars 2014 à 5h00

Pour sortir de la crise financière massive de 2008, les autorités de la plupart des grands pays ont lâché les vannes de la dépense publique pour lubrifier les économies, que ce soit aux Etats-Unis, en Europe et même en Chine. Les banques centrales ont fait de même, au premier chef la FED américaine, mais aussi la banque de Chine en 2009, la banque d’Angleterre en 2011 et la banque du Japon en 2013.

Pour un bénéfice à court terme – la relance incontestable de la croissance – elles ont fabriqué des monceaux de liquidités, accélérant une tendance laxiste qui existait depuis la fin des années 90, soit par des politiques monétaires expansionnistes (injection de 85 milliards de dollars par mois depuis deux ans par la FED), soit par des achats d’actifs financiers en devises (accroissement en 2013 de 500 milliards de dollars des réserves de change de la Chine).

Voilà le fond de l’affaire : un excès massif de liquidités est la fabrique même d’une crise financière, comme nous le savons depuis 200 ans.

La réunion du G20 des financiers à Sydney, fin février, a mis le projecteur sur un effondrement récent des monnaies de 9 de ses membres «émergents», à l’exception notable de la Chine. Depuis le début de 2014, ces devises (Roupie, Real, Rouble, Livre turque etc…) ont décroché de 10 %. Et l’on agite le spectre d’une nouvelle panique, sur fond de croissance morose (moins de 3 % en 2013 pour les pays émergents, sauf une Chine à +7,7 %). Sur une année pleine, la chute de ces monnaies est en moyenne de -15 %.

Mais le « tapering » de la FED américaine en est la cause principale : la décision prise par Ben Bernanke et après lui Janet Yellen de réduire les injections monétaires massives (à 65 milliards de dollars «seulement» le mois dernier) a provoqué un reflux massif des capitaux mondiaux vers les Etats-Unis, en anticipation d’une remontée des taux d’intérêts (et donc des rémunérations du capital) en Amérique. Au passage, cette tempête monétaire «émergente» met à nu le besoin urgent de réformes économiques de fond dans nombre de grands pays (Inde, Brésil, Russie, Turquie…). Mais la chute des monnaies émergentes ne provoquera pas de crise mondiale. C’est un mouvement pendulaire, certes important, pas un cataclysme.

L’Europe, quant à elle, est à contre-cycle. L’Euro s’est encore apprécié de +6 % en un an face au dollar, rognant un peu plus la compétitivité extérieure du continent. Contrairement au reste du monde, la masse monétaire de l’Euro (M3) s’est contractée, également depuis un an. Est-ce de la vertu de la part de la BCE, que de ne pas céder à l’ambiance laxiste générale ? En réalité, l’Europe est dans un corner. Tous les signes d’une déflation durable sont là, et avec elle un scénario de reprise morose. Il se pourrait bien que s’ouvre pour l’Europe continentale la même perspective économique que celle du Japon des années 2000 : celle d’une «décennie perdue».

Jacques GRAVEREAU, co-auteur avec Jacques TRAUMAN de : « Les alchimistes de la confiance, une histoire des crises monétaires » (Eyrolles, 2013)

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Jacques Gravereau est un éminent expert des questions économiques et politiques liées à l’Asie. Fondateur de l’Institut HEC  Eurasia (www.hec.fr/eurasia), qui est un think-tank d’entreprises reconnu sur l’Asie et la mondialisation, il est   Professeur à HEC  et Professeur-invité en Chine et au Japon. Il a également  enseigné à Sciences-Po dans les années 90.  Il conseille les directions générales de grands groupes français et mène de nombreuses missions en relations avec l’Asie pour le gouvernement ou l’Union Européenne. Jacques Gravereau est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence, dont "Le Japon au vingtième siècle" (Seuil, 1990) et "L’Asie majeure" (Grasset, 2001). Docteur ès Sciences économiques, diplômé de HEC et de l’IHEDN.