Dette publique : l’aveuglement collectif s’aggrave encore

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Par Marc Touati Publié le 5 juillet 2019 à 12h47
Aveuglement
@shutter - © Economie Matin

Sans surprise, la dette publique française a continué de progresser, encore et toujours. Au premier trimestre 2019, elle a ainsi atteint un nouveau sommet historique de 2 358,9 milliards d’euros. Elle représente désormais 99,6 % du PIB, soit 1,2 point de plus qu’au quatrième trimestre 2018, et surtout 35 points de plus qu’en 2007.

D’ici 2020, elle dépassera logiquement la barre symbolique des 100 %, qu’elle a d’ailleurs déjà atteinte au deuxième trimestre 2017 (à 100,8 % précisément). En dépit de ces niveaux stratosphériques, les taux d’intérêt des obligations de l’Etat français ont continué de baisser, devenant même négatifs jusqu’aux échéances de dix ans. Face à cette anomalie, de plus en plus de voix s’élèvent pour appeler à continuer d’augmenter la dette publique. L’argument est simple : puisque s’endetter ne coûte rien, autant en profiter et advienne que pourra ! D’ailleurs, le Japon n’est-il pas à près de 240 % de dette publique / PIB et personne ne s’en plaint !

A priori imparable, ce raisonnement oublie cependant l’essentiel : ce n’est pas parce que les taux d’intérêt sont bas que la dette baisse. Autrement dit, même si elle ne coûte pas cher, il faudra bien finir par la rembourser. Un argument de bon sens qui est pourtant de plus en plus oublié tant l’aveuglement collectif autour de la dette publique est grand.

C’est d’ailleurs bien là que réside le principal problème de la flambée de la dette : personne ne s’en inquiète vraiment. Certes, il faut reconnaître que rapporter le stock de dette publique au flux de création de richesses (c’est-à-dire le PIB) a peu de sens. En effet, que ce soit pour un ménage, une entreprise et a fortiori un État, il est normal que sa dette dépasse son revenu annuel, sinon il ne serait pas utile de s’endetter. De plus, la dette est souvent saine. Elle permet par exemple à un particulier d’acheter sa maison. S’il n’était pas possible de s’endetter, seuls des ménages très aisés seraient propriétaires. De même, une entreprise s’endette pour pouvoir investir et embaucher, de manière à se développer, gagner des parts de marché et générer du profit.

En revanche, ce qui est beaucoup plus problématique, c’est lorsque cette dette ne génère pas suffisamment de croissance, donc d’activité, de business ou encore de revenus, simplement pour assurer le paiement annuel des intérêts de la dette ou encore le remboursement du capital. Dans ce cas, pour assurer ce dernier, il faut encore augmenter son endettement, qui devient alors explosif et se transforme en surendettement. Pire, cette situation finit par obliger le surendetté à vendre ses actifs, son patrimoine immobilier, voire ses propres biens, avec, en bout de course, la faillite.

Le problème n’est donc pas la dette, mais la capacité de l’endetté à la rembourser, c’est-à-dire à la rendre supportable. On parle alors de soutenabilité de la dette. À ce titre, les ménages, les entreprises et les États sont logés à la même enseigne. Certes, dans la mesure où l’horizon temporel des États est bien plus étendu que celui des ménages et des entreprises, il serait possible de laisser croire qu’ils n’obéissent pas à cette règle de bon sens. Comme disait l’économiste Keynes : « à long terme, nous serons tous morts ». En revanche, les États perdureront. Au travers de cette analyse, certains ont cru déceler un blanc-seing pour pouvoir augmenter la dette publique indéfiniment. « Au diable l’avarice ! nous disent-ils. Que l’État s’endette ! Augmentons les dépenses et faisons confiance aux générations futures pour assurer le service après-vente ».

Ce comportement est évidemment irresponsable. D’abord pour les générations à venir, mais aussi pour celles qui doivent gérer l’explosion de la dette. Et c’est aujourd’hui notre cas. En effet, bien loin d’avoir contracté une dette soutenable, l’Etat français a dépensé sans compter, et surtout en toute inefficacité. Ainsi, en dépit de la faiblesse artificielle des taux d’intérêt des obligations d’Etat, la France ne parvient toujours pas à générer une croissance économique suffisamment forte pour assurer le paiement annuel de la charge d’intérêts de la dette publique. Et cela dure depuis plus de dix ans !

Depuis quelques semaines, l’augmentation du déficit public est même devenue invisible. Pourtant, sur les cinq premiers mois de 2019, le déficit budgétaire a atteint 83,9 milliards d’euros, soit 28,8 milliards de plus qu’il y a un an. Bien entendu, Bercy souligne que ce creusement est dû au prélèvement à la source, qui a évidemment bon dos. Mais la réalité est là : les dépenses publiques augmentent, les recettes fiscales stagnent et le déficit se creuse.

Sur l’ensemble de l’année 2019, avec une croissance économique d’environ 1,2 %, une pression fiscale toujours prohibitive (la plus élevée du monde), le maintien d’un taux de chômage proche de 9 % et une nouvelle augmentation des dépenses publiques, le déficit public français devrait retrouver la barre des 3,5 % du PIB. De la sorte, la dette publique dépassera très largement et durablement la barre des 100 % du PIB. La question reste simplement de savoir si les investisseurs continueront de se voiler la face ou s’ils utiliseront cet argument pour délaisser les obligations d’Etat, suscitant une hausse massive des taux longs et réactivant la crise de la dette.

Jusqu’à présent, et notamment grâce au soutien actif de la BCE, les marchés sont restés aveuglés, refusant d’admettre l’évidence et consacrant des taux d’intérêt de plus en plus bas. Certains ont même annoncé que l’augmentation de la dette publique n’empêchera pas les marchés de dormir. Peut-être, mais qu’adviendra-t-il lorsqu’ils finiront enfin par se réveiller ?! Rappelons-nous que cela a aussi été le cas pour les taux d’intérêt de la dette grecque de 2001 à 2010. Et, puis, un jour, les marchés et les investisseurs ont enfin ouvert les yeux et ces derniers ont flambé jusqu’à 40 %. Les taux français devraient évidemment éviter de tels sommets, mais une remontée aux alentours de 1,5 % paraît fort probable d’ici 2020.

Mais, chut ! il ne faut pas réveiller les marchés et les économistes bien-pensants. A l’évidence, le réveil sera particulièrement douloureux.

Article écrit par Marc Touati ici

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Marc Touati est économiste, auteur du "dictionnaire terrifant de la dette", paru aux Editions du Moment, Président du cabinet ACDEFI, Maître de conférences à Sciences Po Paris.  

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