Le poids de la dette pandémique

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Par Stéphane Monier Publié le 16 décembre 2020 à 12h52
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@shutter - © Economie Matin
363%Au troisième trimestre 2020, la dette représentait 363% du PIB mondial.

La pandémie de Covid-19 laissera de nombreuses cicatrices sur l'économie mondiale et sur nos sociétés. L'une des plus profondes sera le legs durable d'une dette publique et privée en augmentation. Le sauvetage des économies va-t-il générer une nouvelle crise financière et les investisseurs devraient-ils à nouveau prêter attention à la soutenabilité de la dette?

La dette mondiale a atteint plus de 272 000 milliards de dollars américains (USD) au cours du troisième trimestre 2020, soit 363% du PIB mondial. Un record. En pourcentage du PIB, l'endettement total a augmenté de plus de 42 points cette année par rapport à 2019, les gouvernements du monde entier s'étant battus pour soutenir leurs économies frappées de plein fouet par la pandémie. Sur ce total, la dette publique a progressé de plus de 16 points de pourcentage. La dette privée, composée de la dette des ménages et des sociétés non financières, a augmenté de 16 points, tandis que la dette des sociétés financières a gagné 10 points.

Est-ce la bonne perspective? Considérer la dette en pourcentage du PIB en exagère la hausse, du fait que les revenus des économies ont diminué au fur et à mesure que la pandémie fermait des secteurs. Les chiffres mondiaux occultent également d'importantes différences régionales. La dette des pays développés a ainsi augmenté de 12 700 milliards d'USD pour atteindre 196 300 milliards depuis fin 2019, ce qui équivaut à 432% de leur PIB.

Cependant, les États-Unis représentent près de la moitié de l'augmentation globale. Le pays enregistrera une hausse de la dette totale allant de 71 000 milliards d'USD fin 2019 à 80 000 milliards cette année, selon les prévisions de l'Institut de finance internationale (IIF). Au moment où nous publions ces lignes, les législateurs américains négocient un nouveau plan de relance de 908 milliards d'USD. En septembre 2020, la dette totale de la zone euro atteignait l'équivalent de 53 400 milliards d'USD, alors qu'elle s'était hissée à un niveau record de plus de 55 000 milliards de dollars au deuxième trimestre 2014.

Les marchés émergents aussi ont enregistré une augmentation de leur ratio dette publique/PIB, qui est passé de 222% à 248% fin septembre. En termes absolus, il s'agit d'une hausse de 2 400 milliards d'USD, résultant entièrement de l'endettement des sociétés chinoises non financières. Cependant, cette tendance s'inverse si l'on retire les données relatives à la Chine. Ainsi, grâce à l'affaiblissement du dollar, la dette totale des marchés émergents a passé de 31 000 milliards d'USD en fin 2019 à 29 300 milliards d'USD cette année.

Toutefois, l'IIF indique que la croissance des niveaux d'endettement cette année ralentit déjà et devrait se stabiliser en 2021, quand la reprise économique sera bien installée. En effet, une grande partie de l'augmentation en 2020 concerne les secteurs des administrations publiques et des sociétés non financières, suite à la réaction des autorités budgétaires face à la pandémie.

Le service de la dette

Ces niveaux d'endettement sont entièrement justifiables, voire inévitables, puisque les gouvernements essaient d'indemniser les entreprises et les citoyens face aux défis pandémiques. Heureusement, l'essentiel de la dette est actuellement soutenable grâce aux politiques monétaires accommodantes et aux taux d'intérêt extrêmement bas qui y sont associés. Cependant, cette accumulation inédite de dette reste fondamentalement insoutenable. Il est évident que les gouvernements voudront ralentir leurs emprunts dès la crise passée, et pourraient être contraints d'augmenter les impôts.

Dans les pays émergents, le service de la dette a augmenté en raison de la baisse des revenus malgré la faiblesse des taux d'intérêt. Toutefois, dans l'ensemble, les marchés émergents devraient pouvoir y faire face tout en gérant un ralentissement de la croissance économique.

En effet, 7 000 milliards d'USD de dette mondiale arrivent à échéance au cours de ces douze prochains mois dont environ 1 000 milliards de dollars sont libellés en USD. La Chine, qui représente un tiers de ce total, est en mesure de rembourser cette dette, tout comme les quatre autres pays les plus exposés à la dette libellée en dollars: les Émirats arabes unis, Hong Kong, Singapour et l'Arabie saoudite. Parmi les pays confrontés au défi du remboursement de la dette à court terme figurent la Turquie et l'Afrique du Sud, et nous surveillons les pays d'Amérique latine comme la Colombie et le Brésil.

La dette des économies les plus pauvres pourrait s'avérer plus dommageable. En octobre, le Groupe des 20 a accepté de suspendre le remboursement de la dette pendant six mois supplémentaires. L'accord inclut la Chine, qui représente 63% des 178 milliards de dollars de dette des pays les plus pauvres envers les pays du G20 en 2019.

Les niveaux d'endettement absolus négligent évidemment la question des conditions de financement. Une grande partie de la dette détenue est publique et donc soumise au contrôle des taux d'intérêt par les banques centrales, qui se sont largement engagées à les maintenir à un bas niveau.

Plus de dette, des investissements plus intelligents ?

La grande crise financière d'il y a une décennie a résulté des faiblesses du système financier. Or, ce n'est pas le cas de la crise actuelle provoquée par le Covid-19. La pandémie a souligné la fragilité de secteurs tels que la santé, la logistique, les communications ou l'éducation, suscitant une volonté générale de repenser les priorités en matière de dépenses publiques. Les pays reconnaissent qu'ils ont besoin de meilleures infrastructures et qu'ils doivent réduire les inégalités. Des objectifs qui peuvent être partiellement réalisés en investissant dans l'innovation.

De nombreuses économies, dont la Chine et les États-Unis, s'engagent désormais à atteindre des objectifs en matière de changement climatique, impliquant une refonte fondamentale de leurs modèles économiques post-Covid.

Dans un contexte de taux d'intérêt bas, la question cruciale n'est pas de savoir si la dette est soutenable, mais comment l'argent sera dépensé.

Alors que les économies se remettent de la pandémie, en ligne avec les campagnes de vaccination, l'attention se portera sur les dépenses consenties durant l'année 2020. Les investisseurs commenceront inévitablement à s'intéresser davantage à la question de savoir quels gouvernements pourront assumer ces investissements à long terme et à leurs conséquences sur le système financier mondial.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.