Un nécessaire nouveau New Deal

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Par Stéphane Monier Modifié le 13 octobre 2020 à 21h09
Etats Unis Salaire Minimum Dollars
@shutter - © Economie Matin
61%En avril 2020, le Fonds monétaire international (FMI) a prévu que le ratio des dépenses publiques de la France par rapport à son PIB passerait de 56% en 2018 à 61% en 2020.

Jusqu'au Covid-19, les dépenses publiques mondiales se sont stabilisées au cours des deux dernières décennies, plaçant les programmes d'éducation, les réseaux de transport et d'énergie et les systèmes de santé à la merci de besoins en constante évolution. La pandémie a mis en évidence les faiblesses de nos infrastructures publiques. Mais elle attire également l'attention sur des opportunités de placement générationnelles dans les décennies à venir.

La pandémie a montré que l'infrastructure économique actuelle, notamment dans le domaine des soins de santé, était insuffisante. Le moment est venu de faire évoluer la structure sociale de l'économie mondiale, créée il y a plus de 70 ans. Par exemple, le cadre social des États-Unis n'a pas été modifié de manière significative depuis sa création au lendemain de la Grande Dépression. Le New Deal initial a été mis en place à partir de 1933 et a coûté au gouvernement fédéral près de 6% du produit intérieur brut (PIB). En 1939, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, les dépenses avaient presque doublé.

La riposte fiscale et monétaire à la pandémie de Covid-19 change la donne. Le rôle de l'État en réponse à la demande en soins de santé, en soutien en matière de revenus et en subventions aux entreprises, ne cesse de croître, et un rôle étatique plus important pourrait bien devenir la nouvelle normalité.

Une nouvelle normalité

Les récents plans de relance destinés à faire face à l'impact économique de la pandémie, y compris les garanties de prêts et les facilités de crédit, éclipsent les « New Deals » historiques du fait que la part des dépenses publiques a augmenté. Cette année, ces dernières équivalent à environ 20% du PIB aux États-Unis, à plus de 30% en Allemagne et à 17% en France. Pour l'Union européenne dans son ensemble, le total des dépenses de relance fiscale, en plus des mesures de soutien nationales, s'élève à environ 5% du PIB (cf graphique ci-joint).

En avril de cette année, le Fonds monétaire international (FMI) a prévu que le ratio des dépenses publiques de la France par rapport à son PIB passerait de 56% en 2018 à 61% cette année, celui de l'Allemagne de 44% à 51%. Aux États-Unis, les dépenses augmenteront de 38% à plus de 41%, et en Suisse, de 33% à 37%.

L'UE a lancé une stratégie pluriannuelle de plusieurs milliards d'euros pour un avenir durable. En juillet 2020, l'UE a adopté un plan de relance fiscale d'un montant de 1850 milliards d'euros, entièrement lié à la réduction des émissions de carbone et à un engagement sur trois décennies en faveur d'une économie plus propre et d'une technologie innovante. Le bloc des 27 États membres s'est fixé pour objectif d'atteindre une économie neutre en carbone en 2050, en transformant l'énergie, les soins de santé, les transports et l'agriculture.

Sur les 750 milliards d'euros alloués à la relance post-pandémie, 390 milliards seront versés sous forme de subventions directes aux pays les plus touchés, l'Italie, l'Espagne et la France en tête. Le gouvernement français a annoncé un plan de relance de 100 milliards d'euros, qui comprend des initiatives en matière d'innovation, d'éducation et d'énergie verte, dont 40% seront financés par l'UE.

La Chine s'est engagée à investir 10'000 milliards de RMB (1'470 milliards de dollars) dans des projets d'infrastructure à faible émission de carbone, notamment un réseau ferroviaire à grande vitesse, des énergies propres et des technologies d'intelligence artificielle. La deuxième économie mondiale, qui émet plus d'un quart des émissions de gaz à effet de serre, prévoit d'être neutre en carbone d'ici 2060.

Investissements privés et publics

Les dépenses publiques sont souvent mal réparties. Le FMI estime qu'à l'échelle mondiale, les gouvernements ont consacré 6,3% du PIB mondial pour subventionner la consommation d'énergie. Un montant qui éclipse les 4,5% du PIB dédiés à l'éducation, selon la Banque mondiale. Les dépenses de formation permettent de réduire les inégalités à long terme et, grâce aux investissements publics dans les infrastructures numériques, les étudiants peuvent accéder à des cursus dans le monde entier.

Toutefois, les investissements dans la recherche et le développement (R&D) ne suivent pas le rythme croissant de ces besoins. En 2018, le total des dépenses privées et publiques des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) s'élevait à 2,4% de leurs PIB combinés. Au sein de cet échantillon, c'est Israël qui a dépensé le plus, soit près de 5% de son PIB, suivi par la Corée du Sud et Taïwan. Deux pays - la Corée du Sud et le Japon - se distinguent pour la participation du secteur privé aux dépenses de R&D, où elle représente près de 80% du total des investissements. À moins que les autres pays ne rattrapent leur retard, ces nations conserveront un avantage concurrentiel en termes d'égalité, d'innovation et de valeur de leur capital humain.

La participation du secteur privé à la création d'un avenir durable est certes déterminante, mais il existe des domaines où l'État peut avoir une incidence plus importante, du fait que certains projets bénéficient grandement de la collaboration entre les deux.

Par exemple, ce sont des partenariats public-privé qui ont récemment financé des projets d'infrastructure de transport tels que le tunnel routier de Silvertown au Royaume-Uni, sous la Tamise, un matériel roulant ferroviaire en Allemagne et l'autoroute A9 aux Pays-Bas. Ces partenariats ont également financé des projets de logements sociaux en Irlande, un campus scolaire à Vienne et un nouveau réseau à large bande dans les régions françaises de la Garonne et de l'Eure. Les partenariats avec l'État ouvrent la voie aux investissements privés. Cependant, le secteur privé n'est pas à même de financer la refonte complète de ces secteurs. Seuls les États-nations peuvent y parvenir, même si certains pays sont clairement mieux équipés pour atteindre efficacement les objectifs à long terme.

Abordable, certes, mais soutenable?

Le moment est bien choisi, car on peut bénéficier de financements bon marché. Lorsque les taux d'intérêt se montaient à 4%, des dépenses budgétaires de 80% du PIB semblaient raisonnables. Avec les taux d'intérêt actuels à zéro ou négatifs, ce seuil pourrait se rapprocher de 200% du PIB. Ce qui ne signifie pas nécessairement que ces dépenses soient soutenables, si elles sont mal gérées.

Cette semaine, le FMI a encouragé les gouvernements des pays riches à profiter de la faiblesse des taux d'intérêt pour investir dans l'amélioration des infrastructures et les technologies durables. Selon le Fonds, en augmentant les dépenses publiques de 1% du PIB, la confiance dans la reprise pourrait se traduire par une augmentation de 2,7% du PIB et stimuler les investissements privés de 10%, induisant une croissance des emplois de 1,2%.

Toutefois, le paysage fiscal doit évoluer de manière à réduire les inégalités, ce qui est un impératif pour un avenir durable. Aux États-Unis, le niveau des inégalités est désormais plus proche de ceux du Mexique et du Brésil que de celui des nations européennes. Les recherches menées pas les économistes Emmanuel Saez et Gabriel Zucman de l'Université de Berkeley en Californie indiquent que les classes moyennes américaines ont vu leur taux d'imposition moyen augmenter progressivement depuis 1950, tandis que pour les 0,01% les plus riches de la population américaine, les impôts ont diminué de décennie en décennie. Les Américains les plus fortunés paient aujourd'hui un pourcentage d'impôt sur le revenu inférieur à celui des 10% les plus pauvres.

Les pays ont la possibilité de réformer leurs modèles fiscaux et de promouvoir une économie plus robuste, plus résiliente et plus durable. La reprise post-Covid offre ainsi aux gouvernements et aux investisseurs privés l'opportunité de passer à une économie circulaire, efficiente, inclusive et propre[1] qui s'attaque aux inégalités et au changement climatique, stimulée par des dépenses publiques ciblées et des solutions multilatérales. En tant qu'investisseurs, nous suivons de près l'influence croissante des États au sein nos économies et cherchons à identifier les entreprises privées les mieux placées pour contribuer à un avenir durable.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.