L'invasion russe de l'Ukraine marque le retour de la guerre de haute intensité en Europe et confronte la France à une menace directe : les moyens mobilisés dans la Loi de programmation militaire actuelle (2019-2025) ne seront pas suffisants pour y faire face.
En publiant aujourd'hui la note Défense française : ajuster nos efforts, l'Institut Montaigne actualise son premier rapport sur la défense publié en février 2021. Sous la présidence de l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve et Nicolas Baverez, avocat, économiste et contributeur sur les questions de défense à l'Institut Montaigne, le think tank appelle le gouvernement à repenser le cadre stratégique de notre sécurité et notre modèle d'armée. Alors que nous entrons dans une nouvelle ère stratégique mondiale, la résilience de notre nation est en jeu !
“Le conflit en Ukraine change la donne et rend inéluctable le repositionnement de la France, qui doit assumer sa vocation de puissance d'équilibre. Il est susceptible de relancer l'idée d'une autonomie stratégique européenne : la France doit prendre part à cette tâche en évitant une approche exclusive et en affirmant son leadership en matière de défense, primordial pour assurer son influence sur la scène internationale.”, explique Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre et coprésident du groupe de travail de l'Institut Montaigne à l'origine de la note.
“Le renouveau d'une menace existentielle sur sa sécurité oblige la France à repenser sa doctrine et son modèle d'armée. Il nous faut tout à la fois moderniser la dissuasion nucléaire et la réarticuler aux forces conventionnelles, nous préparer aux conflits de haute intensité, protéger le territoire et la population. L'heure n'est plus à la régénération de nos armées mais au réarmement. Il n'est pas seulement militaire mais national, impliquant une révision à la hausse des ressources humaines, des moyens financiers et des capacités industrielles consacrés à la défense. D'où la nécessité d'un nouveau Livre Blanc.”, souligne Nicolas Baverez, économiste, avocat et coprésident du groupe de travail de l'Institut Montaigne à l'origine de la note.
Le bouleversement du contexte stratégique
Les crises géopolitiques se sont multipliées depuis 2021 : le retrait des États-Unis d'Afghanistan, le retrait français du Mali, l'annonce du partenariat Aukus, l'invasion de l'Ukraine par la Russie… Cette multiplication d'événements montre bien que nous sommes entrés dans une nouvelle ère stratégique, distincte de celle de l'après guerre froide.
Conflit local aux conséquences mondiales, la guerre en Ukraine a entraîné un électrochoc en Europe et a notamment bouleversé les ambitions militaires de l'Allemagne. Ce nouveau contexte rend inéluctable le repositionnement stratégique de la France, avec une priorité accordée à la sécurité de l'Europe et de son voisinage.
La redéfinition du cadre de sécurité de la France
Face à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la France doit se tenir prête à un affrontement de haute intensité, multi-milieux (terre, mer, air et espace) et multi-champs (perceptions, cyber, électro-magnétique). Il convient pour cela d'ajuster son modèle d'armée et de préparer sa population et ses institutions.
Dans ce contexte, la dissuasion nucléaire demeure la garantie ultime de notre sécurité, dans un continuum avec les forces conventionnelles : la force nucléaire reste la clé de voûte de notre sécurité et la garantie de nos intérêts vitaux.
Le cadre de sécurité de la France ne pourra pas se passer de coordination avec nos alliés, en particulier européens. La guerre en Ukraine constitue en cela une opportunité de relancer l'idée d'autonomie stratégique européenne, alors que l'UE a accumulé un retard important en matière de défense depuis un quart de siècle et demeure très dépendante des États-Unis.
Les moyens nécessaires pour soutenir nos ambitions dépassent la LPM actuelle et posent la question de notre modèle d'armée en 2030
Le contexte sécuritaire actuel et l'aggravation des menaces renforcent la nécessité d'une réévaluation de la Loi de programmation militaire 2019-2025, pour aller au-delà des hausses attendues de 3 milliards d'euros pour les années 2023, 2024 et 2025.
Cela implique une réflexion stratégique d'ampleur, sur les défis auxquels l'armée française sera confrontée d'ici 2030 : la perspective d´un environnement opérationnel plus létal, caractérisé par des conflits hybrides (qui mêlent des modes d'action militaires et non militaires, directs et indirects), plus contesté dans tous les milieux et enfin plus complexe implique d'adapter notre modèle d'armée pour être capable de faire face aux guerres à venir. Cette réflexion, qui pourra prendre la forme d'une revue intégrée sur le modèle britannique ou d'un livre blanc, ne peut pas omettre l'outil diplomatique, complémentaire à l'outil militaire, au service de la puissance et du rayonnement de la France. Elle doit également associer les forces politiques et mobiliser la nation toute entière. La guerre en Ukraine le montre : la sécurité est l'affaire de tous.