Cet article initialement publié le 15 février 2019 vous est proposé en « Best-of » pendant l’été 2019. Lors de sa première publication il a été consulté par 7666 lecteurs.
La France vient de subir une défaite européenne majeure avec une condamnation à une très large majorité, de l’usage des LBD (lanceurs de balle de défense) pour réprimer les manifestations. Pour Emmanuel Macron, le désaveu est lourd de sens à quelques semaines des élections européennes.
Emmanuel Macron s’était faite le chantre de l’Europe. Dans plusieurs discours, il a même revendiqué l’Europe de la culture, de la lumière, de la civilisation, contre l’Europe des nations, incarnation de la violence barbare.
Défaite européenne pour Macron l’Européen
Depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron se fait fort de relancer l’Europe, de l’approfondir, de lui transférer de nouveaux pans de souveraineté. Cette logique s’appuie sur une conviction : l’Europe incarne la lumière, l’humanisme, les valeurs positives, quand le souverainisme incarne le pire. Et par le pire, il faut entendre le nationalisme, la guerre, la violence, la bêtise, etc.
Cette vision manichéenne, pour ne pas dire simpliste, se présente volontiers comme le produit d’une intelligence supérieure dominant les bas esprits euro-sceptiques. En son nom, Emmanuel Macron a avancé une multitude d’idées dont aucune n’a convaincu, à ce stade, ses partenaires européens. On vise particulièrement l’idée d’un budget européen, mais on peut aussi citer la taxation des GAFA ou l’amélioration des règles applicables au travail détaché.
Que de leçons européennes Emmanuel Macron ne nous a-t-il pas données ?
Sévère condamnation de la répression en France
Et puis il y a ce vote au Parlement européen, par 438 voix pour, 76 contre, et 87 abstentions, qui condamne l’usage disproportionné de la force par certains États membres contre les manifestants. La sanction est sans appel. Elle vise les LBD, que le gouvernement, avec l’appui du Conseil d’État, s’obstine à ne pas vouloir interdire.
Visiblement, pour le Parlement européen, les hésitations de la France ne se justifient pas. Il semble évident qu’un État de droit ne devrait pas se comporter aussi violemment avec ses opposants. Pour la macronie, qui se veut la représentante de l’Europe des Lumières en France, le camouflet est redoutable.
Macron pourra-t-il encore donner des leçons européennes ?
En profondeur, le coup est rude à quelques semaines des élections européennes. La stratégie macronienne était tout entière fondée sur l’extension à l’Europe du clivage qu’il a pu fabriquer de toutes pièces en France, en 2017, entre populistes et européistes. Ces attaques contre Salvani et contre la « lèpre populiste » qui sévit notamment en Italie ne répondaient pas à une autre intention. Gagner les élections en jouant les bons humanistes contre les méchants obscurantistes.
Et voilà que les bons humanistes le rejettent soudain dans le camp des obscurantistes qui pratiquent une répression disproportionnée… Dans ces conditions, les leçons d’humanisme qu’il s’apprête à donner risquent de s’en prendre un vilain coup.
Les élites françaises anesthésiées par la répression
Ce faisant on pense aussi à tous ces donneurs de leçons démocratiques, toutes ces élites qui pestent depuis de nombreuses semaines contre les fascistes en Gilets Jaunes et qui s’enthousiasment à l’idée que ces vilains soient bourrés de balles en caoutchouc dès qu’ils mettent le nez dehors. Ces bonnes âmes adorent parler d’Europe. Les voilà qui en prennent pour leur grade. L’Europe ne se reconnaît manifestement pas en eux…
Mounir Mahjoubi pour des LBD numériques?
L’aveuglement des élites françaises, prêtes à toutes les compromissions pourvu que l’ordre ancien revienne, tourne à la frénésie totalitaire. Mounir Mahjoubi, sous-ministre du Numérique, a même présenté un plan proposant tout simplement de censurer les « contenus haineux », sans expliquer au juste quelles sont les frontières de la haine.
Envoyer des LBGD numériques sur tous les opposants rebaptisés « haineux »? Voilà une idée digne de Big Brother qui semble totalement admissible par les couches les plus éduquées de la population française. Curieux, n’est-ce pas?
Une image dégradée de la France en Europe
Reste que, pour la crédibilité européenne de la France, dette condamnation sévère de l’ordre public et de ses pulsions liberticides dans notre pays ponctue une décennie de déclin manifeste. L’incapacité de la France, et surtout des élites françaises, à pratiquer des réformes systémiques salutaires s’ajoute aujourd’hui au sentiment que les élites françaises se maintiennent artificiellement au pouvoir par la force.
L’ère macronienne devait signaler le retour de la France sur la scène européenne. Elle en signale le naufrage.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog