Le « Richard Virenque de la finance ». C’est en ces termes que des députés socialistes avaient qualifié François Pérol lors de son audition par la Commission des finances de l’Assemblée nationale le 25 mars 2009. Ces députés persifleurs moquaient alors un secrétaire-général adjoint de l’Elysée nommé « à l’insu de son plein gré » à la tête de la BPCE, un groupe bancaire dont il avait supervisé la fusion quand il était en poste auprès de Nicolas Sarkozy.
Mais désormais, le porteur du sobriquet est en train de changer aussi vite que l'on change de braquet pour s'évader du peloton. Le nouveau "Virenque de la finance", c'est désormais David Azéma. Nommé à la tête de l’Agence des participations de l’Etat (APE) le 1er septembre 2012, cet énarque brillant et sophistiqué (promotion Braudel) est passé par le cabinet de Martine Aubry, la SNCF et le géant du BTP Vinci. Lorsqu’on lui propose de prendre la direction de l’APE, il est président de Kéolis, une filiale de la SNCF. Il accepte pourtant de démissionner et de réduire son salaire pour se mettre au service de l’Etat, ce que tout le monde salue comme un signe de dévouement et d'abnégation. Vraiment ?
Las, il semble que gérer les 58 participations de l’Etat dans de grandes entreprises ne suffisent pas à son bonheur. Plusieurs newsmagazines, le Point en tête, se font l'écho d'un complot ourdi par le groupe Dassault, premier actionnaire privé de Veolia Environnement, pour remplacer l’actuel président-directeur général Antoine Frérot par... David Azéma. Que reproche-t-on à Frérot ? Les performances bourisères du titre, qui ont fait perdre 250 à 300 millions d'euros aux Dassault, rien que ça. Si David Azéma n’a pas officiellement confirmé qu'il était candidat au poste, les connaisseurs du dossier savent qu'il en rêve, et que sa proximité avec le patron de Dassault a fait de lui le candidat idéal. Il n'a d'ailleurs pas réagi aux articles parus ces derniers jours un peu partout dans la presse.
L’affaire soulève en effet bien des questions. Alors que François Pérol est sous le coup d’une mise en examen pour prise illégale d’intérêts à cause de sa nomination à la tête de la BPCE - un dossier qu'il suivait quand il était à l'Elysée, parmi tant d'autres - on peut s’interroger sur les conflits d’intérêts qui accompagneraient l’arrivée de David Azéma à la tête de Veolia Environnement.
L’APE que David Azéma dirige représente en effet l’Etat français dans deux sociétés concurrentes de Veolia Environnement : EDF et GDF Suez. C’est ainsi qu’il a participé aux négociations avec Veolia sur l’affaire Dalkia, filiale commune avec EDF, que les deux groupes se sont partagés non sans tensions. Bien que complexe, l'affaire s'est étalée là encore dans bien des magazines.
Autre dossier sensible dont Azéma a la charge : la SNCM dont Veolia, alors dirigé par Henri Proglio, était devenu actionnaire pour complaire au Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin. Il est étonnant de constater que personne à l’Elysée ou Matignon n’ait mesuré les risques qu'une telle nomination ferait courir sur le plan judiciaire. Ce qui n'est rien avec le risque médiatique : L'actuelle majorité avait poussé des cris d'orfraie en 2009 à l’occasion du parachutage de Pérol à la tête de BPCE. On imagine mal l'opposition louper l'occasion de brocarder Azéma, s'il arrivait à la tête de Veolia...
Discret voire timide, peu connu, Azéma passe cependant pour être un homme de réseaux. Proche de Richard Descoings -le directeur de Sciences Po Paris décédé en 2012- de Guillaume Pépy, on le dit également très lié à Emmanuel Macron, l’ancien de Rothschild (comme Perol !) devenu secrétaire général adjoint de l’Elysée ; incontournable sur les mécanos industriels, il paraît inimaginable que ce dernier – malgré ses molles dénégations - ne soit pas un brin à la manoeuvre pour pousser son ami Azéma chez Veolia.
Autre ami utile d’Azema : Rudi Roussillon, le conseiller presse, médias et communication du groupe Dassault. Si l’on ajoute qu’il côtoie Charles Edelstenne, le directeur général du Groupe Industriel Marcel Dassault, au conseil d’administration de Thalès, on ne peut que s'étonner de la proximité d’Azéma, tout homme de gauche qu’il soit, avec l’entourage du sénateur-maire UMP de Corbeil-Essonnes.
David Azéma poussera-t-il sa conversion aux valeurs très libérales de Serge Dassault, s’il arrivait à la tête de Veolia Environnement, jusqu’à mettre en œuvre la politique radicale de réduction des coûts réclamée par l’avionneur dans son entreprise ? S'il prend les commandes de Veolia, arrivera-t-il à convaincre le premier actionnaire du groupe de le laisser renflouer la SNCM, alors que tout laisse penser jusqu'ici que Veolia s'apprête à lacher la compagnie lourdement déficitaire ? Si Veolia sauve la SNCM - avant les municipales, sachant que le sort du scrutin à Marseille en dépend - d'aucun y verait un retour d'ascenseur après le magnifique contrat de modernisation du Rafale accordé à Dassault pour un milliard d'euros, signé le jour du déclenchement de l'HollandeGate, avec la révélation de la liaison entretenue entre le président et l'actrice. Le quotidien contrôlé par la famille Dassault avait été, le lendemain de la révélation du scandale, particulièrement sobre...