Les financiers pourfendeurs des cryptomonnaies ne sont pas avares de sophismes, mais nos dirigeants exposent leurs lacunes pour nous parler de cette nouvelle classe d’actifs.
Nos politiciens ont commencé à se pencher les cryptomonnaies en début d’année. Vu la méconnaissance totale du sujet dont a fait preuve la grande majorité d’entre eux, on se dit qu’ils y sont vraiment allés sans munitions. Le 7 février se tenait au Sénat une table ronde sur le bitcoin. Cela a été l’occasion pour Eric Bocquet, sénateur communiste du Nord et vice-président de la Commission des finances (oui, en France, en 2018, c’est bien un communiste qui siège à ce poste), de s’illustrer.
Au nombre des professionnels du secteur qui ont dû se retenir de rire dès que le sénateur ouvrait la bouche pour leur poser une question, on comptait « Gilles Fedak, cofondateur de l’entreprise iExec, Sandrine Lebeau, responsable de la conformité et du contrôle interne pour le courtier La Maison du Bitcoin et Simon Polrot, fondateur du site Ethereum France », rapporte Capital.
Parmi les perles que l’on doit à cet ancien prof d’Anglais, on trouve :
– « C’est une technologie cryptographique qui garantit l’anonymat »
– « Où la plateforme de gestion du bitcoin est-elle localisée ? » Autant dire qu’Eric Boquet n’a jamais dû entendre parler de décentralisation…
– « Qui sont les actionnaires de Bitcoin ? » Hum… quand on confond une entreprise et un cryptoactif doublé d’un système de paiement mondial, a-t-on plutôt sa place au Sénat, à la mairie de Marquillies, dans une salle de cours d’anglais… ou plutôt au piquet ?
Lorsque j’étais écolier, lorsqu’un élève n’avait pas appris sa leçon, l’instituteur l’envoyait au coin. Je trouve bien dommage que cette pratique n’ait pas cours au Sénat.
Quand le responsable d’une mission sur les cryptomonnaies exhibe ses lacunes sur le sujet
Vous savez sans doute qu’en janvier, Bruno Le Maire a chargé le haut fonctionnaire Jean-Pierre Landau d’une mission sur les cryptomonnaies.
Ce diplômé d’HEC, de Sciences Po et de l’ENA a-t-il relevé la barre ? Sans aucun doute, mais il peut encore mieux faire. Le 14 mai, lors de son audition par la « Mission d’information sur les monnaies virtuelles » (comme vous pouvez le constater ci-dessous, ce n’est pas moi qui les appelle comme ça !) présidée par Eric Woerth, il a tenu plusieurs propos erronés.
« Un actif financier c’est quelque chose qui a une valeur intrinsèque (même si elle est parfois difficile à reconstituer) qui est soit une valeur d’usage, soit une perspective de revenus futurs, certains ou aléatoires […]. Les cryptomonnaies n’ont aucune valeur d’usage aujourd’hui – peut-être en auront-elles à l’avenir – et elles n’ont aucune perspective de revenus ni certains ni aléatoires. Donc elles ne méritent pas conceptuellement la classification d’actifs financiers[…]. Les cryptomonnaies qui existent aujourd’hui sont à l’évidence extrêmement imparfaites : elles sont très peu acceptées comme moyen de paiement, elles sont lentes, elles sont grandes consommatrices de ressources, elles sont affectées d’une grande volatilité et sont devenues pour certaines d’entre elles des objets évidents de pure spéculation. […] Il y a des projets pour remédier à ces efficiences. A ce stade je suis personnellement un tout petit peu sceptique sur la possibilité pour ces innovations de se développer et d’arriver à des processus qui soient à la fois décentralisés, efficaces et rapides et totalement sûr… »
On reconnaitra volontiers que Jean-Pierre Landau s’est penché sur la question au point de s’intéresser aux chantiers en cours au sein de l’écosystème des cryptos, et qu’il nous a épargné les poncifs habituels. Le niveau est donc plus relevé qu’au Sénat et qu’à la Banque de France (comme nous le verrons prochainement), dont il a d’ailleurs été second sous-gouverneur de 2006 à 2011. Eric Woerth n’étant de son propre aveu pas (encore) un expert en matière de cryptos, il n’a pas été en mesure de nuancer certaines des assertions de Jean-Pierre Landau. Je vais donc m’y coller.
Pour ce qui est de la valeur d’usage du bitcoin, les choses avancent certes lentement, mais elles avancent, en particulier dans la sphère privée. Même dans la sphère publique, certains Etats ou collectivités territoriales ont déjà permis ou pourraient bientôt permettre le règlement des impôts en cryptos.
Pour ce qui est de la production de revenus par les cryptos, il est faux d’avancer que « les cryptomonnaies […] n’ont aucune perspective de revenus ni certains ni aléatoires ». En effet, les monnaies qui se minent par preuve d’enjeu (proof of stake – POS) – par opposition à preuve de travail (proof of work – POW), comme c’est le cas de Bitcoin – peuvent être stakées/stockées. En les conservant dans un wallet dédié, vous aurez ponctuellement droit à la perception d’un revenu fixe en fonction des règles édictées par les développeurs de la crypto en question, sous la forme d’unités supplémentaires du même token (jeton) ou, plus rarement, d’un autre token, lui-même coté et négociable sur certaines plateformes. Ce principe peut être comparé à celui des intérêts que vous percevez par exemple sur votre Livret A ou sur le fonds euros de votre contrat d’assurance-vie.
Comme l’explique bitcoin.fr, « la preuve d’enjeu demande à l’utilisateur de prouver la possession d’une certaine quantité de cybermonnaie (leur ‘participation’) pour prétendre valider des blocs supplémentaires dans la chaîne de bloc et de toucher la récompense ». Cette forme de minage est beaucoup moins gourmande en ressources que ne l’est la POW et peut être réalisée à partir de n’importe quel ordinateur récent, sans investir dans du matériel de minage. Parmi les cryptos les plus connues qui peuvent être stakées, on trouve NEO qui permet de miner du GAS, un token qui permet de payer les frais dans les transactions réglées en NEO, et qui est par exemple négociable sur Binance, Poloniex ou encore KuCoin. Certains sites répertorient ces cryptomonnaies bien particulières ainsi que le taux de rémunération dont elles font l’objet.
Ce n’est pas le seul moyen d’obtenir un revenu fixe à partir de vos cryptomonnaies. Une autre solution consiste en effet à les conserver sur une plateforme d’échange pour les prêter contre intérêt (à un taux que vous fixez librement) à d’autres investisseurs qui vont les trader « sur marge ». Cela n’est cependant possible que sur les cryptos majeures et sur certaines plateformes. Je ne développe pas, car il ne s’agit pas d’un mécanisme spécifique aux cryptomonnaies. Mais contrairement à ce qu’avance Jean-Pierre Landau, certaines cryptos se distinguent des devises étatiques à cours légal en cela que ce sont plutôt ces dernières qui ne produisent aucun revenu. Notre ministre de l’Economie et des Finances est-il plus calé sur ce sujet ? C’est ce que nous verrons la semaine prochaine.
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