La hausse de l’inflation et l’enlisement du conflit ukrainien freinent les perspectives de croissance en 2022

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Par Stéphane Monier Publié le 29 avril 2022 à 5h09
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1%Un conflit prolongé en Ukraine réduira la croissance mondiale de 0,5 à 1,0% en 2022.

Les défis mondiaux actuels ressemblent plus à l'intrigue d'un thriller qu'à une réalité reflétant les prévisions économiques. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a bouleversé la stratégie énergétique de l'Europe et réduit les perspectives de croissance dans le monde entier, alors que les confinements décrétés en Chine pour faire face au Covid s'ajoutent aux perturbations des chaînes d'approvisionnement. Face à ces incertitudes, nos perspectives macroéconomiques et d'investissement se font plus prudentes.

La guerre en Ukraine, qui dure depuis deux mois, est entrée dans une nouvelle phase. L'armée russe s'est retirée de la région entourant Kiev pour centrer son offensive sur la région du Donbass et le sud de l'Ukraine, créant un front oriental de 400 kilomètres. Cela permet aux forces russes de s'appuyer sur des lignes d'approvisionnement plus courtes et de combattre sur un terrain plus ouvert, moins hostile aux chars.

Dans l'incapacité de revendiquer une victoire rapide, le président russe Vladimir Poutine a pilonné le port de Marioupol sur la mer d'Azov pour créer un corridor terrestre vers la péninsule de Crimée et, plus à l'ouest, le long de la côte de la mer Noire. Tant que l'Occident continuera à fournir des armes et des munitions à l'Ukraine, nous ne voyons aucune raison à ce stade de modifier nos prévisions d'un enlisement du conflit.

Si une large défaite ukrainienne semble peu probable à court terme, les petites avancées territoriales de la Russie dans l'est du pays pourraient lui permettre de proclamer une victoire le 9 mai, jour historique de commémoration de la capitulation des nazis en 1945. Un conflit prolongé permettrait au président Poutine d'atteindre son objectif de destruction de l'économie ukrainienne et du succès économique ou politique du pays.

À l'échelle mondiale, une telle impasse cimenterait la scission géopolitique entre les pays qui soutiennent les sanctions économiques à l'encontre de la Russie, emmenés par les Etats-Unis et l'Union européenne, et plusieurs économies émergentes, la Chine et l'Inde en tête, qui tentent de suivre une ligne plus neutre et non alignée.

Sanctions et pétrole

Le 8 avril, l'UE a interdit l'importation de charbon, empêché les navires russes d'accéder à ses ports et sanctionné un nouveau groupe d'oligarques et leurs familles. Un sixième train de sanctions est déjà en cours de discussion au sein de l'UE et pourrait inclure un embargo sur les importations de pétrole. Le 20 avril, l'Allemagne s'est engagée à mettre fin aux importations de pétrole russe d'ici fin 2022. Le président français Emmanuel Macron ayant été réélu pour un second quinquennat, nous nous attendons à un renforcement des sanctions imposées par les Etats-Unis, l'UE et leurs alliés. Toute initiative de l'UE visant à interdire les importations de pétrole russe sera clairement affichée avant le sommet du Conseil européen prévu les 30 et 31 mai.

Au niveau mondial, l'offre de pétrole demeure limitée et les prix élevés. L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) vient d'augmenter sa production, mais elle peine à en faire plus en raison des perturbations des chaînes d'approvisionnement et de la pénurie de main-d'œuvre. Si la décision des Etats-Unis et de l'Agence internationale de l'énergie de libérer les réserves stratégiques de pétrole devrait accroître l'offre et stabiliser le cours du Brent, le ralentissement de l'économie mondiale pourrait peser sur la demande. La semaine dernière, la révision à la baisse des perspectives de croissance, y compris en Chine où des confinements ont été décrétés, a contribué à faire baisser le prix du Brent à environ 107 USD/baril. Quand la Chine lèvera ses restrictions, nous nous attendons à de nouvelles pressions à la hausse. Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le cours du Brent a oscillé entre 127 et 98 USD/baril.

Inflation et ralentissement

Dans le sillage du conflit, l'augmentation des prix des matières premières, du pétrole à la production agricole, en passant par les métaux industriels, a sapé les perspectives mondiales. Cela est particulièrement le cas en Europe, qui se heurte à une hausse de l'inflation et à un ralentissement de la croissance. Les améliorations au niveau des chaînes d'approvisionnement mondiales observées en fin 2021 stagnent, voire s'aggravent, ce qui allonge à nouveau les délais de livraison. Cette situation devrait peser sur les prix à la consommation et nous tablons sur un taux d'inflation annualisé de 6,7% fin 2022 aux Etats-Unis et de 5% en moyenne dans la zone euro. En d'autres termes, malgré le resserrement de la politique monétaire, le chemin vers la normalisation des niveaux d'inflation sera long.

La semaine dernière, le Fonds monétaire international (FMI) a qualifié l'impact économique de la guerre en Ukraine de « danger clair et présent ». Le 19 avril, le FMI a révisé à la baisse ses perspectives de croissance mondiale pour la deuxième fois cette année. Il s'attend désormais à ce que l'activité augmente de 3,6% en 2022, contre une prévision de 4,4% en janvier dernier. Par ailleurs, la hausse des prix des matières premières induite par la guerre a conduit l'institution à relever ses prévisions d'inflation à 5,7% dans les économies avancées et à 8,7% dans les pays en développement. En Chine, les restrictions à la mobilité dans de nombreuses villes afin de lutter contre le Covid pourraient réduire considérablement notre prévision d'une croissance du PIB de 4,7% en 2022. Selon nos estimations, un conflit prolongé en Ukraine réduira la croissance mondiale de 0,5 à 1,0% cette année.

Les marchés financiers sont confrontés à un environnement difficile. L'impact du conflit en Ukraine, l'inflation élevée et les cycles de resserrement monétaire des banques centrales ajoutent à l'incertitude. La guerre a également accru les tensions géopolitiques qui menacent le cadre réglementaire régissant les relations internationales depuis 1945, note le FMI. De surcroît, la menace du Covid n'a pas disparu, provoquant quelque 5'000 décès quotidiens dans le monde et des perturbations économiques dues aux confinements en Chine.

Un positionnement prudent

Alors que la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne ont adopté une posture plus restrictive, les marchés des obligations et des actions ont chuté depuis le début de l'année. Cette situation a mis en difficulté les stratégies traditionnelles de diversification et entamé la confiance des investisseurs, les marchés tentant d'évaluer les risques d'une erreur de politique monétaire.

Comment les investisseurs doivent-ils envisager les perspectives des actions dans cet environnement d'inflation et de remontée des taux? La bonne nouvelle, c'est que les cours reflètent déjà bon nombre de facteurs négatifs, du moins partiellement. Quant à la croissance économique, elle ralentit à partir de niveaux élevés et reste positive. La publication des résultats de premier trimestre a commencé. Dans l'ensemble, les attentes du consensus aux Etats-Unis et en Europe sont positives et, pour 2022, les prévisions indiquent une croissance annuelle du bénéfice par action (BPA) de 10% aux Etats-Unis et de 11% en Europe.

Toutefois, ces chiffres n'illustrent qu'une partie de l'histoire des bénéfices des entreprises. Bien que le consensus estime à 4,5% la croissance du BPA des titres du S&P 500 au premier trimestre, cette progression est presque entièrement due à la hausse des estimations pour l'énergie, avec les secteurs des matériaux, de l'industrie, de la santé et de la technologie y contribuant aussi. Si l'on exclut l'énergie, les bénéfices des trois premiers mois de 2022 devraient reculer de 1,1%, avec des baisses prévues dans des secteurs allant de la consommation discrétionnaire aux sociétés financières, en passant par les services publics et les services de communication.

Si l'économie mondiale pourrait emprunter de nombreuses trajectoires possibles, nous pensons qu'il convient de rester investi et bien diversifié, en mettant l'accent sur la qualité des actifs. Nous maintenons une sous-pondération des obligations et un positionnement neutre sur les actions. Au sein de nos positions en actions, nous avons réduit les expositions aux valeurs de petite capitalisation, tout en favorisant les actions britanniques, le style « valeur », ainsi que les secteurs de l'énergie et de la santé. En parallèle, nous avons renforcé notre exposition aux actions américaines, compte tenu de leur caractéristiques plus défensives, de leur plus grande dépendance à l'égard du marché intérieur et de leur moindre exposition au conflit en Ukraine. Nous conservons notre surpondération des matières premières diversifiées, ainsi que nos allocations à l'immobilier européen et aux liquidités, ces dernières étant essentielles pour pouvoir tirer parti des opportunités d'investissement qui se présenteront.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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