Dans les bizarreries financières que la crise de 2008 ne cesse de susciter, les taux négatifs figurent en bonne place.
Depuis quelques jours en effet, même la France parvient à emprunter à court terme à des taux inférieurs à 0 %. Voilà qui laissera rêveur plus d’un accédant à la propriété, dont la charge d’emprunt est si souvent étouffante. Concrètement, les prêteurs acceptent de perdre une partie de leur capital pour acheter de la dette française. Ce phénomène a deux explications plausibles et complémentaires l’une de l’autre.
Première explication : beaucoup d’investisseurs sont obligés d’acheter de la dette souveraine, et ils se portent sur celle qu’ils jugent la moins risquée. Ils ont le bon goût, à ce stade, de considérer que la dette française en fait partie. Pourquoi sont-ils obligés d’investir ? Généralement parce qu’ils portent des portefeuilles d’épargne collective - fonds de pension, assurances-vies, etc. Leurs engagements contractuels ou réglementaires les contraignent à détenir un volume minimal de dettes publiques, et ils choisissent celles qui rapportera le plus... Ou qui perdra le moins. Un bon rappel, au passage, sur la responsabilité des financiers dans le creusement des dettes publiques: sans Etats endettés, ils achèteraient sur le "marché actions", bien plus risqué pour leurs clients.
Ici, nous touchons à la deuxième explication, qui ne manque pas d’inquiéter. Pour que des investisseurs se réfugient sur la dette française, pourtant dégradée en début d’année, il faut vraiment que la situation financière internationale soit mauvaise. Certes, la nouvelle majorité a donné des gages de subordination aux marchés, depuis le 6 mai, tels que ceux-ci en sortent rassurés. Mais tout de même, la récupération de 33 milliards l’an prochain s’annonce particulièrement sportive. Donc, si les marchés, dont le scandale du Libor montre qu’ils ne sont pas exactement gouvernés par une main invisible, font le choix d’acheter français (quelle ironie de l’histoire!), c’est d’abord parce qu’ils craignent le pire dans les semaines à venir, notamment avec la Grèce, l’Espagne et l’Italie.
Tout concorde en effet pour présager un automne très agité: la Grèce demande un moratoire de deux ans pour sa politique d’austérité. La bulle immobilière espagnole a commencé à exploser et le peuple est dans la rue. L’Italie voit les nuages s’amonceler dans son ciel économique. En prévision de ces mauvaises nouvelles, les investisseurs se ruent à tout prix sur ce qui est susceptible de passer l’hiver sans trop de dégât.
Une mer étonnamment calme se retire avant un tsunami.