Le manifeste contre le nouvel antisémitisme en France constitue une étape importante dans la relation de l’Islam au reste du corps social. C’est en effet la première fois qu’est posée clairement la question du Coran et de sa portée négative, là où le débat est d’ordinaire limité à un face-à-face entre minorités. La suite du débat méritera d’être regardée avec attention, dans la mesure où elle engage la question de la sécularisation des Musulmans de France.
Le manifeste contre le nouvel antisémitisme rédigé par Val et largement signé par des personnalités éminentes est incontestablement un événement marquant dans la courte histoire des relations entre l’Islam de France et la République. D’ordinaire, en effet, le débat (lorsqu’il peut avoir lieu) porte sur l’engagement des Musulmans de France, notamment au regard des valeurs républicaines. Pour la première fois, ce n’est pas la question des Musulmans qui est mise sur le tapis, mais bien celle du Coran lui-même.
Le Coran est-il producteur d’antisémitisme ou d’anti-christianisme ou, plus généralement encore, d’intolérance? La question, il y a quelques mois encore, aurait immédiatement suscité une stigmatisation forte au nom de la lutte contre l’islamophobie. Qu’un ancien Président de la République, qu’un ancien Premier Ministre souscrivent à un texte qui la pose ouvertement montre bien le glissement qui s’opère dans l’opinion.
La doctrine de l’Islam modéré en prend un sérieux coup
Depuis les années 80, une doctrine s’est forgée : celle de l’Islam modéré, qui serait dominant dans l’opinion. Dans cette vision largement propagée par des intellectuels comme Bernard Henri-Lévy, la majorité des musulmans, et spécialement en France, sont porteurs d’une religion de paix, tolérante, qui ne doit pas être amalgamée avec le fanatisme de ceux qui mènent le Jihad ou commettent des actes terroristes.
En posant la question du lien structurel entre la lettre du Coran et l’antisémitisme, les rédacteurs du manifeste ébranlent de fait cette doctrine. Ils demandent « que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques, comme le furent les incohérences de la Bible et l’antisémite catholique aboli par Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime. »
On mesure ici l’évolution des mentalités. Ce qui est mis sur la table, c’est la responsabilité directe de la théologie musulmane dans la commission d’actes violents à l’égard des autres communautés. L’origine de la violence religieuse ne serait plus dans le fanatisme déviant de quelques-uns, mais dans les textes sacrés eux-mêmes.
Si l’on se souvient qu’un Bernard Henri-Lévy déclarait encore en février 2016 à Anne Sinclair: « l’Islam n’est pas intrinsèquement antisémite », l’onde de choc apparaît comme très puissante.
Le douloureux retour à la réalité théologique
On sait tous le discours habituel sur l’Islam, religion de paix. L’émergence d’un terrorisme musulman dans la foulée de la résistance à l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique, qui a petit à petit dérivé vers des mouvances comme Daesh, a mis à mal cette conviction. Toutefois, au nom de la cohésion nationale, il reste important en France de mettre sous le boisseau les origines religieuses de cette violence.
Les rédacteurs du manifeste invitent pour leur part à une lecture sans fard du Coran. Ils considèrent que les versets appelant à la violence communautaire contenus dans ce texte sacré ne peuvent être tenus pour innocents dans le déménagement de 50.000 Juifs d’Ile-de-France, « parce qu’ils n’étaient plus en sécurité dans certaines cités et parce que leurs enfants ne pouvaient plus fréquenter l’école de la République. Il s’agit d’une épuration ethnique à bas bruit au pays d’Émile Zola et de Clemenceau. »
« Épuration ethnique » : l’expression ne passe pas inaperçue. Elle réveille les vieux souvenirs de la Shoah et certains y verront un point Godwin un peu commode pour sensibiliser une opinion tétanisée face à la sensibilité du sujet. Il n’en reste pas moins qu’on ne pourra plus faire comme si rien ne s’était pas passé. Désormais, c’est la notion d’Islam comme religion de paix qui est interrogée.
L’appel à la sécularisation du Coran
On voit bien là encore qu’après la représentation du musulman comme l’immigré prolétaire victime de l’oppression capitaliste, le grand mouvement de sécularisation des religions monothéistes entamé au vingtième siècle ne devrait pas épargner l’Islam. En lisant le Coran, sa violence pose problème. Et le corps social demande peu à peu, et cette demande n’ira qu’en grandissant, que l’Islam se « normalise » comme le catholicisme l’a fait avant lui.
Aucun texte sacré ne résiste à cette demande pressante. Il faut être bienveillant et bannir de sa « doxa » les expressions, les mots, les postures qui peuvent blesser les autres.
On sent bien que, depuis plusieurs années, cette demande de sécularisation, de remise à plat théologique, guette l’Islam. Paradoxalement, c’est plutôt la gauche de la gauche qui bloque. Au nom de la protection des prolétaires, l’immixtion dans le texte du Coran est vécue comme une manifestation d’islamophobie. Tôt ou tard, ces résistances seront vaincues sous le poids d’une exigence plus forte: celle d’une mise en compatibilité de la doctrine musulmane avec le mainstream bienveillant des sociétés occidentales.
Toute la question est évidemment de savoir si une religion qui « n'a que » 1.300 ans d’existence est assez mûre pour supporter de basculer dans l’appareil critique des exégètes formés à la sauce occidentale. Sur ce point, la réponse est encore indécise.
Le processus de sécularisation a-t-il une chance d’aboutir ?
Sur le fond, la sécularisation du Coran est une voie à deux issues possibles.
Soit la République parvient à susciter une hiérarchie religieuse dans l’Islam de France qui ait suffisamment d’autorité pour infléchir le « catéchisme » musulman et dans ce cas il est plausible que les tensions s’apaisent. Soit la République n’y parviendra pas, et la situation risque de devenir compliquée. Dans cette hypothèse, on ne pourra éternellement, au nom de la lutte contre l’islamophobie, « retenir » les questions qui fâchent.
Tout plaide donc pour que l’énergie macronienne se penche rapidement sur cette question.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog