Commission d’enquête parlementaire Covid-19 : que faut-il en attendre ?

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Par Fabrice Di Vizio Modifié le 23 juin 2020 à 11h33
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@shutter - © Economie Matin
3 moisMaître Di Vizio déposera une plainte avec constitution de partie civile, 3 mois après avoir déposé une plainte simple, qui n'a pas abouti.

Depuis un peu plus d'une semaine, la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale sur le Covid a commencé ses auditions, faisant défiler devant elle un parterre de personnalités publiques ayant un lien plus ou moins direct avec la crise. Manquent les victimes de cette tragédie, dont l’auteur de ces lignes a demandé la convocation, sous peine de voir dessaisie la commission en raison de l’ouverture d’une information judiciaire par la constitution de partie civile des premiers plaignants devant le parquet de Paris.

L'objectif, selon le mot d'ordre de la présidente de cette commission, n'est pas de chercher des responsables, mais de comprendre les dysfonctionnements ayant présidé à la situation chaotique que tout le monde connaît. Cette remarque est tout à fait intéressante en ce que l'auteur de ces lignes a été le premier à déposer une plainte pénale devant la Cour de justice de la République contre les acteurs de cette crise sanitaire sans précédent, privilégiant une responsabilité pénale éventuelle.

Des voix universitaires ou politiques se sont élevées pour critiquer ce choix, en ce que la seule responsabilité envisageable était une responsabilité politique. Les propos de l'éminent professeur Agrégé des facultés de droit, Olivier Beaud, publiés dans une tribune du journal Le Monde, raisonnent encore.

« Pourtant, à supposer que les gouvernants aient failli, la solution de la plainte pénale est-elle la bonne ? Certainement pas. Nous l’avons démontré dans l’affaire du sang contaminé (Le sang contaminé. Essai critique sur la criminalisation de la responsabilité, PUF, Behemoth, 1999), et le cas actuel de la pandémie est encore plus topique. Lorsque l’Etat commet des erreurs dans sa gestion, les gouvernants sont soumis, dans un régime parlementaire, comme celui de la Ve République, à la responsabilité politique, et non pénale. »

Ainsi, il s'agirait de mettre en cause une responsabilité politique au lieux et place d'une responsabilité pénale.

Dans une interview donnée au Cub des juristes, blog de droit constitutionnel, le même universitaire a précisé ses propos :

« Dans un régime parlementaire, c’est au Parlement de contrôler les gouvernants. Puisque le Premier ministre est encore en fonctions, c’est aux parlementaires de lui demander des comptes en vertu du principe cardinal de la responsabilité politique. Ils pourront, par exemple, après la sortie de cette terrible crise sanitaire, constituer une commission d’enquête. »

Ainsi, la mission des commissions d’enquête parlementaires serait de contrôler l'action du gouvernement.

Aussi respectable que soit ce point de vue, il semble néanmoins confronté à deux limites intangible : l'une juridique, l'autre purement issue de la tradition républicaine française.

En premier lieu, Monsieur le Professeur Beaud ou d'autres considèrent que la commission d'enquête parlementaire aurait ainsi pour office de mettre en cause la responsabilité politique du gouvernement. Mais cette analyse est rigoureusement fausse! En effet, s'il est exact que le gouvernement est responsable devant le parlement, comme l’expose exactement en ces termes, l'article 20 de la constitution du 4 octobre 1958, cette responsabilité, précise le texte, s’exerce :

« Dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50. »

L'article 49, bien connu, se divise en trois alinéas :

- engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale (article 49, alinéa premier) couramment qualifié de « question de confiance » ;

- le dépôt d’une motion de censure à l’initiative des députés (article 49, alinéa 2) ;

- l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte (article 49, alinéa 3).

L'article 50 quant à lui, a trait à la démission du gouvernement, et précise :

« Lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement. »

On le constate, il n'est nulle part fait mention d'une commission d'enquête devant laquelle le gouvernement devrait répondre d'une responsabilité quelconque.

Et pour cause, l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires précise :

« Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées ».

Ainsi, est-il parfaitement clair que les missions d'enquête n'ont absolument aucune vocation à venir sanctionner politiquement un gouvernement, mais juste, comme l'a très exactement rappelé Madame Brigitte Bourguignon, présidente de la commission d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale, qui siège actuellement, de faire la lumière sur des faits déterminés.

Il s'agit, en somme, de comprendre, et de retracer le fil des évènements, afin d'améliorer les politiques publiques, et de tirer les leçons des dysfonctionnements.

Il y a quelques semaines, alors que l’auteur de ces lignes, sur le plateau de LCI, évoquait les pouvoirs limités de la commission d’enquête, et la circonstance qu’elle n’avait ni l’ambition ni les moyens d’être un examinateur de la responsabilité politique du gouvernement, il était rudement repris par un député qui insistait sur les pouvoirs exorbitants de coercition de cette institution.

Ce faisant, plaidait-il, elle était le meilleur instrument de régulation qu’une démocratie puisse connaître, rejoignant le propos d’une partie de la doctrine universitaire incarnée par Monsieur le Professeur Beaud.

Il est exact qu’en droit, l’ordonnance précitée de 1958 précitée expose :

« Toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission. A l'exception des mineurs de seize ans, elle est entendue sous serment ».

Outre le fait que :

« Les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs. »

Le même texte prend soin par ailleurs d'assortir de sanctions les éventuels manquements à ces obligations, pouvant aller jusqu'à 2 ans d’emprisonnement.

Mais, c’est omettre un détail qui conclut cette litanie d’obligations et de menaces :

« Les poursuites prévues au présent article sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l'assemblée intéressée. »

Il apparait difficilement imaginable que la présidente de la Commission d'enquête parlementaire, membre du parti majoritaire, décide de déposer une plainte pénale contre l'un des ministres issus de sa majorité, c'est le bon sens même !

Et s'agissant du bureau de l'Assemblée nationale, l'équilibre des forces apparaît largement en défaveur d'une telle hypothèse également.

Le déroulement des séances de la commission d'enquête depuis une semaine illustre puissamment son fonctionnement. Il ne s'agit assurément pas d'entrer dans le détail des responsabilités de chacun, mais de comprendre d'une façon générale et impersonnelle les raisons qui ont conduit à telles abstentions ou tels choix.

***

La première conséquence est que les réponses obéissent aux mêmes paradigmes : elles sont aussi générales et impersonnelles que les questions posées, et visent à détailler le fonctionnement de ce qu'il conviendrait de nommer la machine « État », sans plus de précisions.

En somme, soutenir que la commission d’enquête parlementaire est le lieu naturel de l’engagement de la responsabilité politique est, hélas faux.

Bien sûr, une hypothèse pourrait être envisagée : le rapport de la commission d’enquête, par son contenu, serve à un contrôle de l’action du gouvernement par le parlement, pouvant forcer celui-ci à démissionner. Mais c'est là pure hypothèse d'école, car ce que la tradition républicaine nomme le fait majoritaire s'y oppose largement.

Le seul instrument serait la motion de censure, prévue par l’article 49 alinéa 2 de la Constitution.

Mais celle-ci n'a a été adoptée qu'une seule fois en 1962, à la suite du désaccord de la majorité parlementaire avec la réforme visant à permettre l'élection du président de la République au suffrage universel direct. Le général de Gaulle a alors dissous l’Assemblée nationale. Le peuple ayant approuvé par référendum l’élection au suffrage universel direct du chef de l’État, puis désavoué la majorité parlementaire au cours des élections législatives qui ont suivi la dissolution, l’équilibre des institutions s’est trouvé profondément modifié en faveur du président de la République.

Ainsi, la vérité est que la tradition républicaine française est-elle marquée par une responsabilité du gouvernement devant le chef de l'Etat plus que devant le Parlement.

En somme, la tradition parlementaire française ne consacre pas de responsabilité politique, et les commissions d’enquête des deux assemblées ne servent, au fond, qu’à donner l’illusion d’un parlement fort, là où les réponses aux questions posées depuis une semaine par les uns et les autres, laissent clairement entrevoir qu’il ne s’agit, en effet, que d’une illusion qui ne trompe plus grand monde au fur et à mesure de l’avancée des auditions.

C'est précisément l'absence de responsabilité politique qui conduit les citoyens à se tourner vers la justice pénale, afin de pouvoir disposer d'une enquête menée par un juge indépendant et impartial, même si sur ce dernier point, s'agissant de la Cour de Justice de la République, la question mériterait sans nul doute d'être débattue eu égard à sa composition mixte, dans laquelle les parlementaires tiennent, encore, un rôle prépondérant au mépris de la séparation des pouvoirs.

Non, décidément, en France, il semble que les ministres ne soient ni responsables ni coupables…

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Fabrice Di Vizio est avocat spécialiste des professionnels de santé, plus particulièrement des médecins libéraux. Il a défendu les médecins dans des procès concernant leurs droits à la publicité ou encore dans des affaires médiatisées comme Subutex ou Médiator. Le site de son cabinet : http://www.cabinetdivizio.com/.