Officiellement, l’Euro 2016, cet opium du peuple, devrait déboucher le climat social et endormir toutes les consciences dans l’euphorie des victoires footballistiques à venir. Mais le scénario concocté par Iznogoud Hollande (d’un retour au calme forcé pour le déroulement pacifique des matches de football) ne se passe pas exactement comme prévu: une série de micro-mouvements pullule, profitant tous de l’opportunité offerte par l’événement sportif pour se faire connaître du monde entier et attirer l’attention des voisins européens sur la dure condition des prolétaires français.
Peu à peu, la question s’impose: sommes-nous face aux prémisses d’un été français?
Bien suivre la rencontre de Martinez avec El-Khomri
Deux théories coexistent aujourd’hui.
L’une sous-entend que le leader de la CGT Philippe Martinez est un grand Manitou qui a tout prévu et qui contrôle la situation. Ce faisant, il rencontrera prochainement la ministre El-Khomri, obtiendra toutes les concessions qu’il demande en cachette depuis des semaines, et annoncera la fin de la grève – décision à effet immédiat.
Quelque chose cloche dans cette théorie: l’Euro commence aujourd'hui et l’invitation lancée par Myriam El-Khomri à Martinez date de mercredi. Le calendrier est donc probablement beaucoup moins machiavélique qu’on a envie de le croire (il est tellement rassurant de se dire que la démocratie est gouvernée par des gens rationnels), ce qui plaide pour la deuxième théorie: rien n’est concerté, le bordel règne, et personne ne contrôle les sections syndicales qui se mettent en grève. Le gouvernement commence à paniquer et se trouve réduit à croiser les doigts pour que tout marche comme il le faudrait.
Il faudra dans tous les cas suivre la rencontre entre le leader de la CGT et la ministre pour savoir si oui ou non il existe une forme de coordination responsable entre les mouvements qui prennent de l’ampleur.
L’inquiétante génération spontanée de mouvements corporatistes
Les mouvements qui se développent présentent deux particularités majeures.
La première tient à leur nature: les appels à la grève se développent dans le secteur public, pas dans le secteur privé. Encore une fois, démonstration est faite que la conflictualité sociale est beaucoup moins forte chez les horribles capitalistes exploiteurs que chez les gentils responsables publics qui défendent l’intérêt général. Ce point est d’autant plus marquant que, pour le secteur public, la loi Travail est une préoccupation romantique et pas professionnelle, puisqu’elle ne s’appliquera pas au secteur public.
La deuxième particularité tient au caractère microscopique ou morcelé des mouvements, qui instrumentalisent tous la loi Travail pour défendre des revendications autres.
Le foisonnement de ces mouvements ne manque pas de poser question et d’inquiéter. La réalité est qu’il existe un fond de contestation qui se durcit. Tout le monde a la conviction qu’il se terminera, tôt ou tard, par un big bang, un rejet global des institutions. La vision gauchiste aime bien croire à un Grand Soir. Rien n’exclut que se produise plutôt une succession de petites soirées dont l’agrégation conduise à un big bang sociétal.
Rien n’exclut que nous n’assistions aux premiers actes de ce phénomène.
Le rejet global du système par les Français
Toutes ces petites secousses sismiques surviennent dans un pays usé, dominé par un régime politique auquel ne croient plus guère que les élus qui en tirent bénéfice. Quel Français croit encore à la capacité des élus, des responsables politiques au sens large, à sortir le pays du marasme moral où il se trouve?
Beaucoup de Français se disent que les grèves qui fleurissent peuvent être l’occasion de faire le « boulot » de nettoyage qu’ils aspirent de leurs voeux. Cela ne signifie pas qu’ils partagent le combat de la CGT. En revanche, ils y voient à la fois un signal et une possibilité de changement politique majeur.
Dans tous les cas, l’utilisation de l’Euro 2016 comme levier pour forcer les grévistes à terminer leur mouvement relève d’un choix politique hasardeux, qui peut très bien conduire à une issue inattendue pour le gouvernement: à force d’avoir tiré sur la corde des manipulations et des postures de communication en tous genres, le retour de manivelle pourrait se révéler brutal.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog