Au milieu du tumulte indiciel boursier, de l’effondrement du pétrole et de l’attentat à Istanbul, certaines informations qui auraient fait la Une des médias économiques sont passées complètement inaperçues la semaine dernière.
Parmi ces "nouvelles", il y en a une en particulier qui doit faire grincer des dents les champions de l’optimisation fiscale : la Commission européenne enjoint la Belgique de "collaborer afin que les 700 millions d’euros d’économies d’impôt empochés indûment par des multinationales utilisant des filiales sur le sol belge soient le plus rapidement récupérés".
La Belgique a en effet adopté — et on peut la comprendre — le même genre de dispositions fiscales prévoyant une imposition forfaitaire plafonnée par avance que le Luxembourg et les Pays-Bas.
Selon Margrethe Vestager, la commissaire européenne chargée de la concurrence, l’enquête diligentée début 2015 a permis d’établir que "pas moins de 35 multinationales, principalement basées dans l’UE, ont bénéficié de ce régime [de pré-imposition forfaitaire, NDLR] et doivent maintenant rembourser les impôts impayés à la Belgique".
Outre l’aspect déroutant d’un système consistant à fixer par avance un montant d’impôt ne correspondant pas au bénéfice réellement taxable, cela entraîne de surcroît une distorsion de la concurrence au profit de grandes compagnies internationales — au détriment d’entreprises domestiques qui n’ont droit à aucun arrangement et payent plein pot.
Sur les 700 millions d’euros à rembourser, 500 millions sont dus par des multinationales européennes. Elles vont certainement contester le redressement notifié par la Commission européenne au prétexte que "les accords fiscaux passés sont en conformité totale avec la jurisprudence européenne sur les aides d’Etat".
Et c’est vrai : les multinationales n’ont rien commis d’illégal, elles n’ont fait qu’exploiter les avantages fiscaux mis à leur disposition. Si ces avantages sont illégaux (notamment en ce qui concerne l’inégalité originelle de traitement fiscal), pourquoi n’ont-ils pas été dénoncés par les contribuables lésés et supprimés par les pays du Benelux ?
Et si cela justifie amplement un redressement fiscal… qui paiera ? L’Etat belge… donc le contribuable — en tant que particulier ou en tant que personne morale — déjà spolié par les multinationales ?
Deux poids, deux mesures ?
Un autre sujet risque également de faire grincer des dents le citoyen européen. Il s’agit de l’accord sur l’octroi du statut d’"économie de marché" à la Chine — n’oublions pas que le pays vient juste d’accéder au saint des saints et de rejoindre le dernier carré des pays dont la devise fait office de monnaie de réserve aux yeux du FMI et de la BRI.
Un peu plus de 15 ans auparavant, la Chine avait obtenu du Congrès américain le statut de "nation la plus favorisée" avant d’accéder à l’OMC en tant que membre à part entière en 2001, mais sans obtenir le sésame d’"économie de marché" de la part de l’Europe.
La Chine s’en est allègrement accommodée. Elle a pris la part entière des avantages commerciaux et douaniers conférés par l’appartenance à un système de libre-échange et de concurrence défini par l’OMC… tout en s’abstenant d’observer la réciprocité via la pratique d’un protectionnisme manifeste ou sournois (coups tordus, calomnies, procès truqués), le maintien d’entraves douanières à la libre-concurrence et enfin un dumping tous azimuts.
Les négociateurs européens ne sont pas dupes ; ils dénoncent par ailleurs la tutelle étatique sur le système bancaire, l’impossibilité pour une banque étrangère de gérer l’épargne des Chinois ou de s’assurer la maîtrise du consentement — ou non — de prêts aux entreprises chinoises… La liste des restrictions imposées aux établissements de crédit étrangers est longue.
Les objections ne manquent pas… Mais voilà : comment refuser le statut d’"économie de marché" à un pays qui est le plus gros client ou fournisseur de nombreuses multinationales européennes… qui achète en masse des Eurobonds (OAT, Bunds, BTP, emprunts grecs, etc.)… et qui bénéficie de surcroît du soutien de l’Allemagne, de la France et de l’Angleterre ?
D’autres pays — ceux du sud le plus souvent, mais également la Pologne — sont hostiles à la reconnaissance de la Chine comme pays pratiquant l’économie de marché, parce que coutumière des pratiques déloyales.
Bruxelles a jusqu’au mois de novembre 2016 pour se prononcer pour ou contre le précieux label… et les Etats-Unis font pression pour que l’Europe prenne le risque "d’humilier" la Chine, devenue la seconde économie de la planète.
L’EPI, un institut de politique économique basé à Washington, a calculé que la production européenne pourrait être réduite de l’équivalent de 2% du PIB par an dès 2017. Cela coûterait entre 1,7 et 3,5 millions d’emplois à l’Union européenne (dont 183 000 à 366 000 en France) d’ici 2020 et achèverait de vider de sa substance le secteur du textile/habillement, du matériel informatique, du solaire et de l’éolien, etc.
Bruxelles a donc beaucoup de pain sur la planche. D’un côté, il y a les multinationales qui ont trouvé des combines pour éviter le plus légalement du monde de payer chaque année des dizaines de milliards d’impôts sur les bénéfices réalisés sur le sol européen… Et de l’autre, la Chine tente d’obtenir la levée de barrières douanières préservant la survie de nombreuses industries émergentes du Vieux Continent.
L’Europe qui est déjà victime d’une hémorragie de recettes fiscales ne peut se permettre de faire face à une nouvelle vague d’hémorragie d’emplois. Toutefois, elle ne peut pas non plus se permettre une grosse fâcherie avec la Chine. Cette dernière dispose en effet de plusieurs moyens de rétorsion comme durcir le jeu, dévaluer le yuan, faire la fine bouche lors des émissions obligataires européennes, etc.
D’ailleurs, personne sur terre n’en a les moyens — et c’est précisément pour cette raison que les Etats-Unis, les premiers débiteurs de la Chine, tentent de mettre des bâtons dans les roues de Pékin par procuration. A ce jeu-là, l’Europe n’a que de mauvais coups à prendre.
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