Vraie rumeur mais fausse bonne idée : le cas AG2R La Mondiale et Malakoff Humanis

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Par Philippe Get Modifié le 13 décembre 2022 à 20h38
Assurance Ag2r Malakoff Humanis
@pixabay - © Economie Matin
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Vraie rumeur mais fausse bonne idée : le cas AG2R La Mondiale et Malakoff Humanis Dans la rubrique des « Potins » du Pavé de l’Assurance, Jacques de Baudus partage la folle rumeur qui circule en continu depuis des semaines : le rapprochement de Malakoff Humanis (MH) et d’AG2R La mondiale. Outre les difficultés juridiques que cela soulèverait du point de vue du droit de la concurrence depuis l’ouverture du marché de la santé-prévoyance collective en 2013, arrêtons-nous sur le caractère fondé ou non d’une rumeur qui a tout l’air d’une lourdeur politique de la part du Medef.

Malakoff Humanis et AG2R La Mondiale, quelle puissance de place ?

Malakoff Humanis, qui réunit environ 12 000 salariés, est le groupe de protection sociale historiquement lié au secteur de la métallurgie. Il gère des assurances santé et prévoyance, des contrats d’épargne et la retraite complémentaire des salariés de ce secteur notamment. La chute de la sinistralité dans le secteur de la métallurgie consécutive au renforcement des normes de sécurité, qui n’a pas été immédiatement suivie par un ajustement à la baisse des cotisations, a permis au plus capitaliste de tous les GPS de constituer des fonds propres très (parfois jugés trop) élevés.

De l’autre côté AG2R La Mondiale, 10 000 salariés, issu de la fusion en 2008 d’AG2R, groupe de prévoyance et de retraite complémentaire et supplémentaire, et de La Mondiale, mutuelle d’assurance d’entrepreneurs crée en 1905, assure de grands groupes du secteur des services, mais possède un ADN très proche de l’artisanat et des métiers de bouche. Le Groupe est d’ailleurs très présent aux côtés des branches de la coiffure, de la boulangerie, des charcutiers…

Les deux géants paritaires ont des fonds propres et niveaux de solvabilité très similaires, un nombre d’adhérents aussi proche avec environ 500 000 entreprises clientes chacun. Par la proximité de leur portefeuille d’activité, l’on pourrait penser que les deux mastodontes du paysage paritaire pourraient être réunis en un ensemble homogène.

Une pertinence industrielle loin d’être à l’ordre du jour

Ce serait sans compter sur l’absence de complémentarité qui caractérise les deux acteurs, qui ont les mêmes compétences significatives, les mêmes types de réseaux de distribution et d’entretien de la relation client. Sur le plan strictement industriel, un tel projet de fusion ne viserait donc pas la complémentarité et le développement, mais bien plutôt l’efficience avec, en conséquence nécessaire, des suppressions majeures d’effectifs.

Ce serait aussi faire abstraction de l’état du marché, structurellement déficitaire à force de concurrence acharnée sur le prix et d’application de normes réglementaires sans cesse renouvelées. Le contexte récent doit également être pris en compte. Les groupes d’assurance de personnes attendent encore de prendre la mesure des conséquences de l’épidémie de coronavirus, argument principal qu’ils ont d’ailleurs opposé à la taxation exceptionnelle des Ocam, décidée par le gouvernement et d’ores et déjà chiffrée pour les années 2020 et 2021. En outre, en plus d’accuser ce nouveau coup porté au risque santé, les GPS doivent garder un œil sur l’émergence du risque dépendance, matérialisée par l’approbation de la constitution d’une cinquième branche de la Sécurité sociale consacrée à la perte d’autonomie.

Les groupes d’assurance, aussi grands soient-ils, ne peuvent se permettre de consacrer leurs efforts à des opérations de post-fusion plutôt qu’à la définition d’un modèle économique pérenne et au développement de nouvelles activités rentables. En ce moment même, AG2R La Mondiale serait sur le point d’investir dans de nouveaux services, notamment en matière de risque dépendance, de manière suffisamment importante pour que les experts du secteur parlent de « révolution possible ». De l’autre côté, Malakoff Humanis continue à revendiquer un succès dans le domaine des services de santé en entreprise avec son produit « Territoires de santé ».

Il s’agit enfin de se rappeler que ce genre d’opérations d’ampleur présente des taux d’échec relativement élevés, la culture d’entreprise faisant souvent obstacle, dans les équipes opérationnelles comme décisionnelles, au bon mélange des deux institutions. AG2R La Mondiale comme Malakoff Humanis, l’un avec Matmut en mai 2019, l’autre avec La Mutuelle Générale en 2016, ont récemment fait l’expérience de projets de fusion avortés ou mort-nés. Pour l’un comme pour l’autre, réitérer l’opération reviendrait à s’exposer à leurs concurrents sérieux.

Une seule raison à ces rumeurs : la visée politique. Mais à quel prix ?

Alors comment expliquer l’origine des rumeurs ? Rappelons que, dans le champ paritaire, bien des mouvements de concentration ou de partenariat se jouent et se déjouent par les relations que les syndicats de patrons et de salariés entretiennent.

Côté patrons, c’est le MEDEF qui a le plus intérêt à voir fusionner les deux géants du secteur et, derrière lui, la fédération française de l’assurance (FFA). Cette dernière pèse en effet de manière non négligeable sur les décisions du syndicat, comme ce fut le cas lors de la réforme de la formation professionnelle en 2018 – laquelle a vu les OPCA fusionner et se transformer en OPCO –, lorsqu’il fut réduit à une chambre d’enregistrement de la volonté de ses fédérations. Inversement, le MEDEF a toujours assumé de faire représenter ses intérêts interprofessionnels au sein de la très paritaire Fédération Agirc-Arrco par un dirigeant d’Axa. Or, Malakoff Humanis comme AG2R La Mondiale sont concurrents directs des assureurs capitalistes Axa, Generali (dont est issue la majeure partie du COMEX de Malakoff), Allianz, ou encore des bancassureurs. Outre la fragilisation de la représentation des assureurs paritaires à la FFA, ce projet permettrait au MEDEF de se mettre en bonne position pour participer à la désignation du successeur d’André Renaudin, directeur général d’AG2R La Mondiale et figure emblématique du secteur.

Côté salariés, les deux géants paritaires s’opposent. La CFDT assure la présidence de l’association sommitale d’AG2R La Mondiale, tandis que Force Ouvrière (FO) occupe une place majeure parmi les administrateurs de Malakoff Humanis. FO, habituée des prises de position opposées à celles de la CFDT, de la CFE-CGC et de la CFTC, voit dans le champ paritaire, qu’elle a délaissé pendant plusieurs années, le moyen de soutenir son poids dans l’économie et la politique. Une éventuelle fusion de Malakoff Humanis avec AG2R La Mondiale lui permettrait d’assurer un leadership de place dans le paysage de la protection sociale et de revendiquer la présidence paritaire de l’Agirc-Arrco.

Les initiés du secteur rappellent également le jeu de dupes auquel se livrent régulièrement le MEDEF et FO, cette dernière cherchant à combler l’écart qui la sépare de la CFDT en nombre d’adhérents par une plus grande force de frappe politique. Les deux avaient déjà fait avorter brusquement le rapprochement Malakoff Médéric et La Mutuelle Générale en 2016.

La faible pertinence industrielle de ce projet montre qu’il n’est soutenu que par une vision politique à court terme, avec un péril majeur pour le paritarisme à l’heure de la réforme des retraites. Si les acteurs souhaitaient poursuivre leur croissance – et, du même coup, le mouvement de concentration qui caractérise le marché depuis plus d’une décennie –, ils se tourneraient vers des candidats plus objectivement susceptibles de bénéficier d’une telle absorption. L’on peut mentionner, entre autres, le GPS Audiens, consacré au monde de la culture, dont le ratio de solvabilité est resté longtemps à peine plus élevé que le minimum réglementaire, et qui est exposé au risque d’instabilité depuis que l’ACPR a refusé de confirmer son nouveau directeur général pour défaut d’expérience. Entre leur absence de complémentarité et le risque de faire naître un gigantesque plan de sauvegarde de l’emploi en pleine morosité économique, il apparaît clairement que les rumeurs trouvent leur source dans la sphère politique paritaire, mais qu’aucun acteur sensé sur le secteur, comme les assurés d’ailleurs, n’a intérêt à ce qu’elles deviennent davantage qu’une mauvaise idée de salon parisien pour non-initiés.

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