Avec ou sans Brexit, l’Europe est-elle condamnée ?

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Par Cécile Chevré Publié le 3 mai 2016 à 5h00
Union Europeenne Sortie Grande Bretagne Brexit
@shutter - © Economie Matin
78 milliards ?La sortie de l'Union européenne de la Grande-Bretagne pourrait lui coûter 78 milliards d'euros par an.

Un Brexit pourrait coûter très cher à l’Europe. Mais les velléités britanniques d’indépendance ont déjà fait bouger les lignes, et ont fragilisé une construction européenne qui n’était déjà pas bien solide.

Les demandes de Cameron pour éviter le Brexit

En novembre 2015, David Cameron posait ses conditions pour faire campagne pour le oui au maintien dans l’Union européenne. Ces conditions étaient au nombre de quatre :

1. Moins d’importance accordée à l’euro. Une des principales craintes de Londres est la mise en place d’une Europe à deux vitesses, avec d’un côté les pays membres de la Zone euro – disposant d’un droit de décision renforcé en particulier en matière financière, et de l’autre les pays non-membres et de fait de « seconde zone ». Le Royaume-Uni ne tient ni à abandonner la livre sterling, ni la City.

2. Plus de libéralisme. Dans sa lettre, David Cameron a rappelé l’importance du marché unique et a demandé son extension aux biens et services. Il a en outre appelé à un allègement des réglementations imposées par Bruxelles ainsi qu’à la multiplication de partenariats commerciaux avec les principaux marchés de la planète dont les Etats-Unis, le Japon ou l’Asie du Sud-est.

3. Moins de fédéralisme. La fin de l’obligation d’évolution de l’Union européenne vers plus de fédéralisme. Londres tient à sa souveraineté nationale, et le fait savoir. Cameron demande en outre que les parlements nationaux disposent d’un droit de véto contre les directives européennes.

4. Limitation des droits des immigrés européens, et tout particulièrement en matière de prestation sociale. La lettre de Cameron précise que ceux-ci seraient tenus de cotiser quatre ans au Royaume-Uni avant de pouvoir bénéficier d’aides sociales.

Sur tous ces points, Cameron a obtenu gain de cause le 19 février dernier, via à un accord signé avec l’UE après d’intenses négociations avec ses partenaires européens.

Le Royaume-Uni, un membre très particulier

Que contient cet accord ?

1. Moins d’importance accordée à l’euro. Je cite une étude de Crédit Agricole qui résume très bien ce qu’a obtenu Cameron : Les pays ne faisant pas partie de la Zone euro ne doivent pas subir de discrimination, peuvent conserver leurs autorités de surveillance financière, ne participeront pas aux plans de sauvetage de la Zone euro, auront connaissance des négociations concernant la Zone euro et pourront demander individuellement au Conseil de reconsidérer une décision, mais sans droit de veto. En clair, l’euro et ses problèmes ne passeront jamais la Manche.

2. Plus de libéralisme : là encore, une citation extraite du rapport de Crédit Agricole : L’accord prévoit des engagements à « implémenter et renforcer le marché unique », à abaisser les charges administratives et les coûts de mise en conformité pour les acteurs économiques, en particulier pour les petites et les moyennes entreprises. Les partisans britanniques du « Out » ont cependant souligné que les concessions européennes n’allaient pas assez loin et n’étaient pas assez précises.

3. Moins de fédéralisme : le Royaume-Uni s’est vu confirmé son statut de membre à part de l’UE. Celle-ci a par ailleurs reconnu que Londres n’avait aucune obligation à aller plus en avant dans le processus d’intégration politique et économique. Pour cela, Cameron a obtenu que, lors de la prochaine révision des traités européens, le statut particulier du Royaume-Uni y soit inscrit.

4. Limitation des droits des immigrés européens (point extrêmement litigieux car il va à l’encontre du principe de non-discrimination entre les citoyens européens).

Là encore, Cameron a obtenu des concessions de la part de ses partenaires avec :

– la possibilité de restreindre les versements d’aides sociales aux immigrés européens. Ces aides pourront être versées de manière graduelle, et ce pendant une période de sept ans après l’arrivée sur le territoire britannique. Cette disposition a rencontré la très violente opposition des pays de l’Europe de l’Est qui se sont sentis particulièrement visés – à juste titre.

– Indexation des prestations familiales versées aux immigrés européens dont les enfants sont restés dans leur pays d’origine. Cette indexation sera faite d’après le niveau de vie moyen du pays d’origine. Cette mesure va s’appliquer à tous les nouveaux arrivants, et à partir de 2020, aux actuels bénéficiaires.

La fin de l’Europe ?

La plupart des commentateurs se sont fixés sur les mesures concernant les prestations sociales et la question de l’euro, jugeant anecdotique la question de la souveraineté. Pourtant, cet accord va bien au-delà du symbolique. En obtenant ce statut particulier, le Royaume-Uni porte un coup extrêmement sérieux aux principes mêmes qui ont régi le projet européen ces dernières années. Si vous pensiez (encore) qu’un certain fédéralisme était possible, vous voilà définitivement détrompé.

L’autre conséquence non seulement de la concession de ce « statut unique » mais aussi de tout l’accord conclu par Bruxelles, c’est l’ouverture de la boite de Pandore. Le Royaume-Uni a obtenu une Europe à la carte. Après tout, pourquoi pas ? Cela se défend historiquement aussi bien que politiquement et économiquement. Mais qui va empêcher d’autres pays de demander à bénéficier eux-aussi d’un statut « particulier » ?

L’Allemagne pourrait être tentée de faire de même. Elle en a économiquement le poids et elle est manifestement de plus en plus irritée par les choix monétaires et politiques de la BCE. Et pourquoi pas la Grèce… Le Portugal… L’Espagne… Et même la France ? Autant de pays dans lesquels l’euroscepticisme fait des émules jusque dans les rangs des partis politiques les plus importants. En France, rappelons seulement que le FN a fait de la sortie de l’euro voire même de l’UE un de ses chevaux de bataille.

Les concessions obtenues par le Royaume-Uni ouvrent certainement une ère d’adhésion à la carte. Politique économique, diplomatie, immigration, commerce, droit du travail, santé, défense… Les options seront au choix. Certains s’en réjouiront. En tout cas, le projet de toujours plus d’intégration au sein de l’Europe est définitivement enterré.

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Cécile Chevré est titulaire d'un DEA d'histoire de l'EPHE et d'un DESS d'ingénierie documentaire de l'INTD. Elle rédige chaque jour la Quotidienne de la Croissance, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance. Elle est également rédactrice en chef de La Quotidienne Pro.

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