Le Royaume-Uni face au double défi du Brexit et du Covid

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Par Stéphane Monier Publié le 22 septembre 2020 à 13h15
Brexit Pme France 1
@shutter - © Economie Matin
7%L'absence d'un accord réduirait le PIB du Roayume-Uni de plus de 7% à long terme

Points clés

  • Nous tablons sur la conclusion d'un accord commercial de base entre l'UE et le Royaume-Uni avant la fin de l'année. Il laissera cependant de nombreux sujets en suspens
  • L'Union européenne et les démocrates américains ont critiqué les dispositions unilatérales visant à passer outre les accords du Brexit
  • La pandémie de Covid-19 a frappé l'économie britannique plus durement que celles de ses voisins européens
  • Il est peu probable que la livre sterling s'apprécie avant la signature d'un accord de Brexit.

Le Royaume-Uni est confronté simultanément au Brexit et à la crise du Covid-19. L'un comme l'autre sont à même de pousser n'importe quelle économie à ses limites. Les incertitudes entourant les deux défis et le caractère a minima d'un accord initial avec le partenaire commercial le plus important du Royaume-Uni pèseront sur son économie dans les mois, voire les années à venir.

Les négociations commerciales avec l'Union européenne (UE) se sont heurtées à plusieurs difficultés. Le Royaume-Uni souhaite adopter une loi nationale lui permettant de passer outre une partie de l'accord de retrait de l'UE signé l'année dernière. Le gouvernement du Premier ministre Boris Johnson affirme qu'en cas d'échec des négociations, il faudra éviter les contrôles douaniers à la frontière entre la République d'Irlande, qui reste membre du bloc, et l'Irlande du Nord, dès le 1er janvier 2021.

Selon l'accord de paix du Vendredi Saint de 1998, l'unique frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l'UE est censée rester libre de tout contrôle. Afin de maintenir la surveillance du commerce entre le Royaume-Uni et le bloc, l'accord de retrait de 2019 prévoit que l'Irlande du Nord se conforme aux règles commerciales de l'UE, avec des déclarations douanières uniquement pour les marchandises expédiées vers et depuis le reste du Royaume-Uni.

Tout comme il y a un an, la phase actuelle de négociations s'assimile à un jeu de poker où l'UE et le Royaume-Uni tentent de bluffer chacun à leur tour. Nous nous attendons à voir avant la fin de l'année un accord commercial a minima, qui nécessitera des travaux supplémentaires au vu de la longue liste de questions à régler.

« Spécifique et limité »

Pourtant, même cette ambition limitée a été remise en question le 8 septembre, lorsque le gouvernement britannique a confirmé qu'il allait rompre ses engagements internationaux « d'une manière très spécifique et limitée ». La semaine dernière, le commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis,a déclaré que si le Royaume-Uni concrétisait ses intentions, « il n'y aurait plus de base pour un traité de libre-échange ». La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a ensuite tenté de poursuivre les discussions en qualifiant ce projet de loi de « diversion », sans pour autant retirer la menace d'une action en justice.

Boris Johnson a négocié et signé l'accord, puis l'a utilisé pour remporter les élections législatives de 2019 à une écrasante majorité, avant de le ratifier au Parlement en janvier dernier. Il est difficile de contredire ceux qui prétendent que soit le Premier ministre n'a pas lu ce qu'il a signé, soit il a signé un accord qu'il n'a pas compris. La semaine dernière, M. Johnson a tenté de répondre aux critiques de son propre parti en proposant de soumettre tout non-respect de l'accord à un vote du Parlement.

En cherchant à rouvrir unilatéralement cet accord signé il y a moins d'un an, le Royaume-Uni risque de compromettre ses futurs efforts en matière de commerce international.

Étant donné que le mandat de la Commission européenne et celui du gouvernement de Boris Johnson, qui jouit d'une confortable majorité parlementaire, expirent tous deux en 2024, les parties devront continuer à travailler en tenant compte des conséquences (cf. calendrier).

« Prospérer avec force »

« Nous allons prospérer avec force d'une manière ou d'une autre,a déclaré Boris Johnson la semaine dernière . Ils pourraient se montrer raisonnables et nous proposer une solution à la canadienne... mais nous sommes prêts pour toute éventualité. » Les négociations commerciales entre le Canada et l'UE ont débuté en mai 2009 et un accord a été signé en octobre 2016, puis approuvé et mis en œuvre en 2017. Les négociations commerciales entre le Royaume-Uni et le Canada ont débuté le 7 septembre 2020.

Le 11 septembre, le gouvernement britannique a signé un accord commercial avec le Japon qui générera, selon lui, 1,5 milliard de livres sterling pour l'économie. Le commerce bilatéral de biens et de services entre le Royaume-Uni et le Japon représente moins d'un vingtième de la valeur des échanges entre l'UE et le Royaume-Uni, tandis que le commerce bilatéral avec le Canada représente moins de 3% du commerce avec l'UE.

L'un des avantages du Brexit a été, selon ses partisans, un accord de libre-échange avec les États-Unis. Les démocrates, dont le candidat à la présidence Joe Biden et la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi, ont averti que le projet de loi du gouvernement britannique risquait de saper l'accord du Vendredi saint, en partie négocié par le président américain de l'époque Bill Clinton. Tout accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni « doit être conditionné » au respect de l'accord de Brexit et « prévenir tout retour d'une frontière dure. Point final », a déclaré sur Twitter Joe Biden le 16 septembre.

Faire face au Covid

En plus des incertitudes entourant le Brexit, l'approche du Royaume-Uni en matière de gestion de la pandémie de Covid-19 diffère souvent de celle de ses voisins européens. Le nombre total de décès dus au virus au Royaume-Uni est le plus élevé d'Europe, avec 41 866 morts à l'heure de la rédaction du présent article, devant l'Italie, la France et l'Espagne. Le Royaume-Uni se classe désormais au troisième rang européen pour le taux de mortalité par million d'habitants, derrière la Belgique et l'Espagne. Toutefois, relativement à la France et à l'Espagne, le Royaume-Uni compte moins de nouvelles infections déclarées

Le Covid-19 a déjà fait des ravages disproportionnés au sein de l'économie britannique. Le produit intérieur brut a chuté de 20,2% au deuxième trimestre relativement au trimestre précédent, ce qui représente la plus forte baisse jamais enregistrée. Quant au PIB de la zone euro, il a connu une chute record de 12,1% au cours du trimestre. En plus du Covid-19, un Brexit sans accord à la fin de l'année pourrait aggraver les dégâts causés à l'économie britannique. Dans le pire des cas, l'absence d'un accord réduirait le PIB de plus de 7% à long terme, selon une étude réalisée par le Trésor britannique en 2018.

Ces derniers mois et à l'instar de nombreux autres pays, l'économie britannique a bénéficié du soutien budgétaire. Dans certains domaines, comme la rémunération des 10 millions d'employés mis à pied, une partie de ces dépenses publiques prendront fin le 31 octobre. Cela aura des répercussions sur l'emploi, les dépenses de consommation et les investissements. En outre, le Royaume-Uni se trouve au bord d'un « précipice fiscal» du fait que son déficit budgétaire avoisine les 8% du PIB et pourrait atteindre 370 milliards de livres sterling, soit 17% du PIB. En réaction, le gouvernement prévoit d'augmenter les impôts, une mesure impopulaire jusqu'au sein de son propre parti, et qui pèserait à son tour sur l'économie.

En réponse aux défis économiques, la Banque d'Angleterre envisage de recourir aux taux d'intérêt négatifs. Le 17 septembre, lors d'une réunion du comité de politique monétaire de la banque centrale, il a été question de « plans visant à explorer comment un taux négatif pourrait être mis en œuvre efficacement ».

Immobilier et livre sterling

Des taux d'intérêt négatifs impacteraient la confiance des consommateurs et le marché britannique du logement, politiquement sensible. Les prix de l'immobilier ont augmenté de 3,4% en moyenne annuelle jusqu'à juin, a déclaré la semaine dernière le Bureau de la statistique nationale (ONS). Cette hausse est due en grande partie à une « demande latente » en raison du confinement, a déclaré l'ONS, amplifiée par un gel temporaire des droits de timbre. En revanche, les valeurs locatives, considérées comme une mesure plus précise du climat économique parce que plus étroitement liées aux salaires et au marché du travail, ont chuté au cours des douze derniers mois. Cela est particulièrement vrai à Londres, où le confinement a eu le plus fort impact sur les habitudes en matière de mobilité et de travail.

La monnaie britannique commence à refléter la menace d'un Brexit sans accord. Il semble peu probable que la livre sterling s'apprécie davantage tant qu'un accord de base avec l'UE n'aura pas été conclu. Son rallye contre le dollar, depuis la fin du mois de juin, est largement imputable à la faiblesse de la monnaie américaine. La livre sterling s'est également appréciée par rapport aux autres devises principales, l'économie ayant commencé à se remettre du confinement dû à la pandémie.

Toutefois, avec le ralentissement de la relance budgétaire au Royaume-Uni, ces améliorations économiques pourraient s'essouffler et, selon nous, la livre sterling semble encore faire l'objet d'une certaine complaisance face aux risques politiques et économiques à venir. Dans le cas d'un accord de Brexit limité, nous nous attendons à ce que la livre s'échange initialement autour de 1,33 contre le dollar et proche de 0,90 contre l'euro. Ensuite, en 2021, la prime de risque liée à un Brexit sans accord disparaîtrait, offrant à la livre sterling un soutien accru, en particulier contre le dollar.

Sans la conclusion d'un accord commercial avec l'Europe, le Royaume-Uni serait confronté à de puissants vents contraires structurels susceptibles de faire baisser la monnaie de manière significative. Nous nous attendons à ce que la livre s'échange dans la partie inférieure d'une fourchette comprise entre 1,10 et 1,20 contre le dollar, tandis que l'euro et la livre sterling se rapprocheraient de la parité.

Avec un accord limité ou en l'absence d'un accord d'ici la fin de l'année, les frictions sur les détails se poursuivront sans doute entre l'UE et le Royaume-Uni dans une grande effervescence politique. Nous nous attendons toujours à un compromis de dernière minute qui, comme en 2019, éviterait un Brexit sans accord. Les prochains mois mettront en lumière les différences entre le Brexit en tant qu'idée politique et les compromis qu'il exige dans le monde réel.

Dates clés

28 septembre - 2 octobre 2020 : prochaine cycle de négociations entre l'UE et le Royaume-Uni à Bruxelles

15 - 16 octobre 2020 : premier Conseil européen sans le Premier ministre britannique

31 décembre 2020 : fin de la période de transition et début des nouvelles relations économiques et commerciales entre l'UE et le Royaume-Uni

6 mai 2021 : élections locales britanniques et élections aux Parlements et Assemblées nationales d'Écosse, du Pays de Galles et de Londres.

1er juillet 2021 : fin de l'introduction en trois phases des contrôles frontaliers britanniques sur les importations de l'UE

2 mai 2024 : prochaines élections législatives prévues au Royaume-Uni (à noter que le manifeste du Parti conservateur de 2019 contenait la promesse d'abroger les mandats fixes de 5 ans du Parlement)

31 octobre 2024 : fin du mandat de l'actuelle Commission européenne.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.