Le rallye du pétrole peut-il se poursuivre ?

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Par Cécile Chevré Publié le 30 mai 2016 à 5h00
Prix Baril Petrole Marches Bourse
@shutter - © Economie Matin
50 $Le prix du baril de pétrole Brent est toujours sous la barre des 50 dollars.

Si vous vous intéressez ne serait-ce qu’un peu aux matières premières, la grande question que vous devez vous poser en ce moment est la suivante : le rebond du pétrole peut-il se poursuivre ?

80% de hausse en 5 mois

Le parcours du baril depuis le début de l’année est impressionnant. Le 20 janvier dernier, le Brent, le pétrole de la mer du Nord, touchait un plus bas à 27,81 $. Aujourd’hui, il flirte avec les 50 $. Le baril s’offre donc une progression de près de 80% en quelques semaines, ce qui relance les espoirs des investisseurs – et des producteurs.

D’où la question : la hausse peut-elle se poursuivre ? A moins que vous ayez la science infuse, ou un réseau d’informateurs bien placés dans tout ce que la planète pétrole compte d’important, vous n’avez pas la réponse à cette question. Vous faites donc comme toute personne en quête d’une réponse : vous lisez les analyses de spécialistes. Et là, vous tombez sur un os. Les avis divergent complètement.

Goldman Sachs voit le pétrole à 50 $

Prenons Goldman Sachs. La banque américaine a, ces derniers mois, brossé un tableau apocalyptique du marché du pétrole, coincé entre demande atone et surproduction. Et de prédire des cours à moins de 30 $, voire même à 20 $, pour très longtemps encore. Or voilà que Goldman Sachs change d’avis : dans une toute récente note, la banque annonce que le pétrole serait en situation de pénurie imminente. En cause, les gigantesques incendies en Alberta mais aussi les troubles sociaux au Nigeria, premier producteur et exportateur africain, dont la production s’est effondrée. A cela, il faut ajouter les de plus en plus nombreuses défaillances parmi les producteurs de pétrole de schiste américain.

Un tel tableau ne peut mener qu’à une seule conclusion : les cours sont encore et toujours orientés à la hausse, et Goldman Sachs prévoit un cours moyen du pétrole à 50 $ au second trimestre. Pouvons-nous faire confiance à Goldman Sachs ? Le passif de la banque plaide pour le non, comme le rappelait le trader Mathieu Lebrun :

« Dans les salles de marchés, Goldman Sachs n’est pas vraiment réputé pour ses timings de communication. Au contraire. Dit autrement : elle arrive bien souvent après la bataille à court terme, ou bien communique pour essayer d’influencer le marché dans le sens qui l’arrange. On se souvient par exemple qu’en début d’année elle voyait le baril tomber sous les 20 $ (alors qu’il était déjà passé sous les 30 $) en raison d’une offre excédentaire. On connaît la suite : une remontée vers les 50 $ derrière. Donc aujourd’hui, quand le baril approche des 50 $, entendre Goldman Sachs prévoir un cours de 50 $ pour le WTI au second semestre n’a pas de quoi faire la Une. »

Le spécialiste de l’analyse technique Greg Guenthner plaide lui aussi, et malgré tout, pour une poursuite de la hausse du pétrole :

Nous avons remarqué par le passé que le pétrole et les actions ne sont pas corrélés statistiquement. Mais ils ont été corrélés directionnellement dans une certaine mesure cette année. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Au cours de ces quatre dernières semaines, le brut a gagné plus de 16%. Le S&P 500 a reculé de près de 1% au cours de la même période. Pour deux actifs que la plupart des gens adorent comparer, ils ne semblent s’accorder entre eux sur rien… Par ailleurs, le pétrole présente des catalyseurs supplémentaires qui pourraient l’envoyer vers 50 $ le baril. La plupart des gens s’attendent à ce que les données des stocks de pétrole révèlent une baisse de 3,5 millions de barils. Si nous constatons une chute plus importante, nous pourrions avoir une poursuite renforcée du rallye.

Ce sont de bons arguments, mais il me semble que ceux qui laissent entrevoir un recul du pétrole sont encore meilleurs.

Et l’Arabie saoudite dans tout cela ?

Ce qui a retenu mon attention, c’est ce qui se passe du côté de l’Arabie saoudite. Le pays, vous le savez, a tenté en 2014 une manoeuvre à laquelle il avait déjà eu recours dans les années 80 et 90 pour s’imposer comme premier exportateur au monde et voix forte de l’OPEP : augmenter sa production pour affaiblir les cours et asseoir sa position dominante. Cette technique a plutôt bien fonctionné au cours des décennies passées, permettant à Riyad de devenir le régulateur officiel des cours du baril.

Elle a cependant en grande partie échoué depuis 2014 : les autres producteurs ont tenu bon malgré l’effondrement des prix du pétrole, et ceux-ci ont chuté bien plus lourdement que ce qu’avaient prévu les Saoudiens. Etre roi du pétrole ne signifie pas le contrôler totalement et entièrement.

L’effondrement prolongé des cours du brut a affaibli et affecté tous les producteurs, même l’Arabie saoudite. Le pays, qui tire de 70% à 80% de ses revenus de l’or noir, est aujourd’hui confronté à des problèmes budgétaires sans précédent. Selon Moody’s, qui vient d’abaisser la note souveraine saoudienne, si les dettes du pays ne représentent qu’un petit 6% du PIB, elles atteindront 35% en 2018.

Les preuves des difficultés financières du pays se multiplient. En avril dernier, et pour la première fois en 25 ans, le pays a fait appel aux créanciers étrangers en émettant pour 10 milliards de dollars d’obligations. En fin de semaine dernière, l’Arabie saoudite aurait en outre annoncé à ses fournisseurs qu’elle les paierait dorénavant en reconnaissance de dettes.

La plus grande compagnie pétrolière au monde entre en Bourse

Mais ce qui a fait frémir tout le microcosme pétrolier – et ceux qui attendent avec impatience que l’Arabie saoudite tombe de son trône –, c’est l’annonce, le 25 avril dernier, de l’entrée en bourse de 5% du capital de Saudi Aramco. Cette IPO (introduction en Bourse) est extrêmement symbolique. Saudi Aramco, compagnie nationale pétrolière saoudienne, a la haute main sur l’exploitation d’hydrocarbures du pays. Ce qui, de fait, fait d’elle la première compagnie pétrolière au monde.

Elle est en outre emblématique du mouvement des années 70, qui a vu les pays producteurs reprendre la main leurs ressources, aux dépends des compagnies occidentales. En pleine guerre du Kippour, l’Etat saoudien lance la prise de contrôle de l’Arabian American Oil Company (Aramco) – en charge de l’exploitation des réserves pétrolière du pays depuis les années 1930, et jusque-là gérée par des pétrolières occidentales – qui aboutit avec sa nationalisation en 1980.

L’annonce, fin avril, de la privatisation partielle de cette compagnie semble signer la fin d’une époque. Certains y décèlent la preuve de l’ampleur des difficultés financières du Royaume, voire même l’annonce de son effondrement. Si l’Arabie saoudite est obligée de vendre les bijoux de famille, c’est qu’elle doit être au plus mal, non ? Si le premier exportateur de pétrole au monde va mal, il va peut-être se décider à réduire sa production… et donc ainsi faire remonter les cours du brut. C’est du moins l’hypothèse formulée par de nombreux commentateurs qui s’attendent donc à une poursuite du rallye pétrolier.

Pas si vite, cher lecteur. Pas si vite, car une toute autre lecture peut être faite des difficultés économiques de l’Arabie saoudite et surtout l’annonce de l’IPO partielle de l’Aramco. C’est ce que nous verrons prochainement. Suspens… et nous allons de nouveau parler de Mohammed ben Salmane Al Saoud.

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Cécile Chevré est titulaire d'un DEA d'histoire de l'EPHE et d'un DESS d'ingénierie documentaire de l'INTD. Elle rédige chaque jour la Quotidienne de la Croissance, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance. Elle est également rédactrice en chef de La Quotidienne Pro.