Les chiffres des naissances survenues en France durant l’année 2020 ne sont pas encore totalement connus, car l’INSEE met environ un mois pour rassembler la multitude d’informations nécessaires pour, in fine, fournir des chiffres fiables. Néanmoins, les jeux sont faits : sauf si décembre a enregistré un renversement complet de la baisse constatée pour novembre, notre pays aura accueilli en 2020 encore moins de nouveaux nés qu’en 2019.
Une façon raisonnable d’effectuer les comparaisons consiste à utiliser pour chaque mois le nombre moyen de naissances par jour. Par exemple, sur les onze premiers mois de 2018 il s’est produit en moyenne 1975 naissances par jour. Pour les 11 premiers mois 2019, ce fut 1959. Pour ceux de 2020, on tombe à 1914 naissances par jour. La diminution est de 3,1 % en deux ans. S’il était question du PIB, on parlerait de récession, et les officiels s’inquiéteraient. Mais comme il s’agit d’êtres humains, cette baisse ne suscite guère de commentaires.
Disons-le tout net : ce manque d’importance accordé à la natalité est inquiétant et irrationnel. D’autant que la dénatalité s’accentue de manière progressive. En l’an 2000, le nombre journalier moyen de naissances a été de 2117. En 2002 on tombe à 2087, mais une petite remontée a lieu avec 2122 naissances par jour en 2005, puis 2183 en 2006, et 2200 en 2010. Par rapport à ce modeste sommet, les 1914 naissances journalières de 2020 sont en baisse de 13 %. Là encore, imaginons les commentaires éplorés s’il s’agissait d’une baisse de 13 % du PIB : tout ce qui compte dans le monde du business et de la politique se répandrait en lamentations. Produire moins de voitures, moins d’ordinateurs, moins de voyages, moins de repas au restaurant, voilà qui est grave, qui justifie des mesures de relance prises par les pouvoirs publics ; mais accueillir moins de bébés, quelle importance ?
Elle est bien oubliée, la célèbre phrase de Bodin, au XVIème siècle : « il n’est richesse que d’hommes ». Pourtant, nous nous inquiétons de l’accroissement de la mortalité due au covid, et nous avons raison. Mais nous ne sommes ni rationnels, ni imaginatifs : nous ne réalisons pas que les naissances qui ne se produisent pas constituent un énorme manque. En écrivant C’est Mozart qu’on assassine, Gilbert Cesbron avait bien montré ce qu’a de dramatique le fait de ne pas s’occuper correctement d’un enfant. Qui donc écrira C’est Mozart qui n’est pas né ? Qui donc montrera qu’un enfant qui ne vient pas au monde, c’est autrement grave qu’une maison qui est construite avec une pièce de moins, qu’une centrale électrique qui produit moins de courant, et ainsi de suite ?