Où nous mènent des politiques monétaires toujours plus à l’Ouest ?

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Par Bernard Cherlonneix Publié le 24 mai 2016 à 5h00
Europe Politiques Monetaires Banques Centrales
@shutter - © Economie Matin
2 100 milliards ?La dette française a dépassé les 2 100 milliards d'euros.

A force d’être toujours plus « à l’Ouest », les politiques monétaires des pays occidentaux, pudiquement appelées « non conventionnelles » pour ne pas dire hétérodoxes ou aberrantes, ne vont-elle pas finir par nous faire nous retrouver à l’Est ?

Ne sont-elles pas en train de nous ramener inconsciemment sur les voies de l’économie (mal) dirigée prévalant en Union Soviétique et dans le bloc socialiste avant que la chute du mur de Berlin n’en signe la faillite ? Le meilleur signe n’en est-il pas la confusion croissante entre ces deux pôles traditionnels de la politique économique que sont la politique budgétaire et la politique monétaire et le changement de paradigme qu’elle entraîne ?

Reflétant cette obsession moderne d’éviter à tout prix la déflation et d’empêcher la récession économique, les politiques monétaires se transforment en effet sous nos yeux médusés en simples substituts des politiques budgétaires qui ont épuisé, compte-tenu des niveaux de l’endettement public, toutes leurs ressources. Cela revient sans le dire à écarter les Etats du modèle keynésien, qu’il s’agisse de sa « vulgate », selon laquelle la politique monétaire de baisse des taux d’intérêt venant butter sur la « trappe à liquidités » doit être relayée par une politique budgétaire qui relance de force la demande globale, ou qu’il s’agisse de sa version sophistiquée par Hicks et Hansen connue sous le nom d’ « IS/LM », ce véritable pont aux ânes des étudiants en macro-économie, selon laquelle la politique monétaire n’est qu’un outil complémentaire, un adjuvant, qui permet de « potentialiser » l’ effet multiplicateur sur la demande globale de la dépense publique et du déficit budgétaire?

En quoi se distinguent politique monétaire et politique budgétaire lorsque la « politique monétaire » revient en clair à un soutien permanent direct d’Etats déficitaires par les banques et à un soutien direct des banques par les banques centrales, ce qui est devenu le trait caractéristique de la situation de la plupart des grandes économies, à quelques heureuses exceptions près ? Quelle est au fond la différence entre une subvention publique et un crédit perpétuellement renouvelé ?

C’est Jacques Rueff, ancien Directeur du Trésor sous le Front Populaire et Sous-Gouverneur de la Banque de France, en tant qu’« insider » donc de la politique budgétaire et monétaire, qui a le premier (et le dernier) vendu la mèche en en démontrant l’équivalence dans son grand livre de macro-économie méconnu, l’Ordre social. Lorsque le crédit fait par une banque à l’Etat au moyen de l’achat d’un bon du Trésor, au lieu d’être remboursé par une recette d’impôt ou publique, ne l’est qu’au moyen de la réémission par le Trésor Public d’un nouvel effet public représentatif de dette matérialisant l’incapacité de remboursement, le crédit bancaire à court terme se transforme en soutien permanent du système bancaire à l’Etat….La différence entre crédit bancaire et crédit budgétaire (non financé) s’efface alors, et avec elle la complémentarité revendiquée entre ces deux outils de la politique économique.

Depuis le temps où il abusait de sa position dominante par cette procédure spécifique (et comme telle repérable) d’émission des bons du Trésor à jet continu, l’Etat français, et les autres Etats, ont donné une tout autre ampleur à ce phénomène d’endettement public en élargissant la gamme des titres publics susceptibles d’être souscrits par les agents non financiers et les banques et en banalisant le financement de l’Etat par le système financier. C’est ainsi qu’apparurent au milieu des années 80 en France les bons du trésor négociables dont les échéances allèrent jusqu’à 5 ans, que les grands emprunts publics « voyants » furent remplacés par l’émission « discrète » à jet continu d’obligations d’Etat à 10 ans ou plus sous formes de lignes d’obligations assimilables du Trésor (les « OAT ») rechargeables ad nutum. Cette banalisation / dissimulation se concrétisa par la mise en place, au sein du système bancaire, de « spécialistes en valeur du Trésor » chargés de la distribution de cette drôle d’épargne. On se paya même le luxe de nommer « libéralisation financière » ce tour de passe-passe visant à faciliter et élargir le financement de l’Etat, exécuté de main de maître par Jean-Charles Naouri, alors directeur de Cabinet de Pierre Bérégovoy. Aucun économiste ne pipa mot sur le caractère somme toute peu orthodoxe d’un point de vue libéral classique de cette nouvelle « pompe à phynances » ubuesque. Même silence dans les rangs lorsque, à la fin des dites années 80, le Comité « Cooke » considéra prophétiquement qu’un prêt bancaire à un Etat, étant par définition sans risque, ne nécessite la constitution d’aucun montant de fonds propres. La crise du « risque souverain », vingt ans après, ne doit rien au hasard…

Aussi longtemps que le marché obligataire, les SIVAV et FCP vendus pas les banques et les sociétés d’assurance, pouvaient absorber les déficits publics exponentiels sous l’effet de la capitalisation des intérêts, il était encore temps de faire appel à la politique budgétaire et les Gouvernements ne se sont pas privés d’utiliser à plein cette nouvelle frontière de financement et les banques de sourire à la Veuve de Carpentras... Mais tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse ! C’est alors que le temps des « politiques monétaires non conventionnelles » est venu.

Car sous l’effet de ces biais réglementaires convergents en faveur de l’endettement public, le système bancaire et financier « dégueule » de titres publics qui forment une gigantesque « bulle obligataire» (pas seulement en Grèce !) dont il devient de plus en plus difficile d’imaginer qu’elle puisse se dégonfler par les voies naturelles. Du coup, les banques centrales, architectes volens nolens (mais plutôt volens) à l’arrière-plan de cette « finance Potemkine » doivent monter en première ligne, bien forcées d’avaler toutes les créances immobilisées en peine d’acheteurs naturels vu la situation quasi « irrémédiablement compromise » des débiteurs… Le « quantitative easing » n’est après tout qu’un juste retour des choses pour les bras financiers armés des Etats qui se sont ingéniés à disséminer la dette publique dans tout le corps social à l’aide du système bancaire. Ce faisant, c’est-à-dire en truffant le bilan des banques centrales de créances immobilisées, les banques centrales d’Etat (faut-il le rappeler ?) achètent encore un peu de temps aux politiques, tout en s’efforçant de vendre à l’opinion publique l’idée que l’insoutenable redeviendra soutenable et en demandant aux Gouvernements d’entreprendre les réformes structurelles dont leur action continue à les dispenser. Dans le même temps, elles dégainent, marchés financiers aidant, l’arme des taux d’ intérêt négatifs, un raisonnement en forme de grenade dégoupillée : soit vous acceptez de commencer à perdre un peu de capital sur vos créances, soit nous sautons tous ensemble et vous perdrez tout ou gros. Des créanciers raisonnablement constitués ne sauraient y rester insensibles.

Voilà pourquoi dans cette situation de perdition où nombre d’Etats ont perdu depuis longtemps la maîtrise de leurs finances publiques, les « marchés financiers » sont calmes, les spéculateurs discrets et certaines dettes publiques font prime. Le suspense demeure cependant quant à son issue, tant que l’on n’entreprend pas de solder lucidement le surendettement public issu du passé et de remettre en ordre les finances publiques pour le futur par une Gouvernance sensiblement améliorée.

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Bernard Cherlonneix est Président de l’Institut pour le Renouveau Démocratique.