Les Banques Centrales des pays développés ont comme objectif principal d'assurer la stabilité monétaire, c'est-à-dire de contrôler l'inflation. Il s'agit d'un héritage des épisodes de forte augmentation des prix qui avaient suivi les 2 chocs pétroliers de 1971 et 1978.
Cet objectif est très important car une inflation trop élevée peut avoir des effets nuisibles sur l'économie réelle en raison de la présence de rigidités nominales des prix sur les différents marchés (des biens et des services, financiers, du travail). Toutefois, la difficulté actuelle à laquelle sont confrontées les Banques Centrales est que la menace n'est plus l'inflation mais son opposé, la déflation (baisse générale des prix).
Le problème est que si le niveau bas d'inflation et le risque de déflation qui en découle est structurel et non pas conjoncturel alors les Banques Centrales vont être condamnées à constamment mener des politiques monétaires très expansionnistes pour ramener l'inflation constatée vers l'inflation cible (2 % la plupart du temps).
La question est alors de savoir si la faible inflation actuelle est la nouvelle règle dans l'OCDE. C'est tout à fait possible avec :
- une faible inflation salariale :
Cela est dû à une longue période de chômage élevé dans l'OCDE et à une flexibilisation accrue du marché du travail, donc au final à une perte importante de pouvoir de négociation des salariés. De plus, même lorsque le chômage revient à son niveau structurel (c'est le cas aujourd'hui aux Etats-Unis et Royaume-Uni), les salaires ne remontent pas (fin des courbes de Phillips).
- une faible inflation importée (prix des matières premières) :
Cela est notamment causé dans la période récente par le ralentissement de la croissance en Chine qui conduit à une baisse importante de la demande de matières premières (en 2014, la Chine représentait 12,4 % de la consommation mondiale de pétrole), donc à une baisse des prix de ces dernières. Ce ralentissement chinois provient d'un changement de modèle économique (passage d'une économie mercantiliste fortement tournée vers les exportations de produits industriels à une économie de services et orientée vers les Nouvelles Technologies) et est donc durable. De plus, le poids de l'industrie dans la valeur ajoutée au niveau mondial ne cesse de diminuer, ce qui traduit bien la désindustrialisation du monde. Et comme l'industrie est plus consommatrice de matières premières que les autres secteurs de l'économie, la baisse ou au moins la stagnation du prix des matières premières risque de continuer (s'il n'y a pas de spéculation).
Il est donc bien possible que la faible inflation ne soit pas juste caractéristique de la période récente mais au contraire la nouvelle donne dans l'OCDE et lutter contre serait dangereux. Pourquoi ?
La réponse actuellement donnée par les Banques Centrales à cette désinflation généralisée est une politique monétaire très expansionniste : baisse des taux d'intérêt à court (taux directeurs à 0) et long terme (Quantitative Easing, noté QE dans la suite), forward guidance, et ce afin de favoriser la reprise du crédit pour relancer la consommation et l'investissement et donc rapprocher l'inflation de sa cible. Elles pensent donc que le niveau très bas de l'inflation est anormal et qu'il vient d'une demande insuffisante, d'où leurs politiques monétaires expansionnistes, alors qu'il peut venir d'une modification profonde de l'offre au niveau mondial comme on l'a vu plus haut (tertiarisation de l'économie mondiale).
Le problème est qu'avoir comme principal objectif le contrôle de l'inflation pousse les Banques Centrales à ignorer leurs autres objectifs, dont la stabilité financière, et les aveugle sur l'impact de leurs politiques monétaires expansionnistes sur le reste de l'économie. En effet, ces dernières créent aujourd'hui des bulles sur plusieurs actifs : l'immobilier au Royaume-Uni, les marchés boursiers aux Etats-Unis, la dette publique au Japon, les difficultés à venir des assureurs en zone euro qui ont promis des rendements plus élevés que celui que leurs investissements leur apporte (rendement des obligations souveraines inférieur aux prévisions à cause du QE).
Enfin, si ces bulles venaient à éclater, les Banques Centrales n'auraient aucune politique monétaire contra-cyclique à leur disposition pour atténuer leurs effets, si ce n'est un nouveau QE de plus grande ampleur. Elles se trouveraient alors prises dans un cercle vicieux : elles mettent en place des QE pour relancer l'économie, ce qui fait gonfler les prix des actifs et favorise la formation de bulles qui, si elles explosaient, comme les taux directeurs sont déjà à 0, ne laisseraient pas d'autres choix d'intervention aux Banques Centrales que relancer un QE sur les actifs dont les prix ont chuté afin de les revaloriser (on parlera alors de Qualitative Easing), et ainsi de suite.
Une solution serait de faire de la stabilité financière l'objectif principal des Banques Centrales, avec par exemple un contrôle sur l'évolution des prix de l'immobilier, des indices boursiers, des taux d'endettement des secteurs privés (ménages + entreprises) et publics.