Ronaldo vient d’avoir un quatrième ballon d’or, réussite sans égale dans l’histoire. Et curieusement, pas un mot sur la méchante affaire de fraude fiscale à 150 millions d’euros qui lui colle désormais au train après l’affaire du « Football Leaks ». Une fois de plus, on passe singulièrement à côté d’une belle occasion de moraliser le sport, et plus particulièrement un sport très populaire, mais très corrompu, si l’on en juge par l’affaire FIFA qui a fait plonger Michel Platini.
Mais ça pose tout de même un problème de récompenser des fraudeurs, et de nourrir ainsi le mythe de l’argent facile auprès d’une population de fan qui apprécie parfois mal les règles d’une société de droit.
L’estomaquante affaire Ronaldo
En quoi consiste la fraude (présumée) de Ronaldo? L’intéressé empocherait des recettes publicitaires dans des paradis fiscaux. La somme avoisinerait les 150 millions €, c’est-à-dire 200 fois environ ce que Cahuzac a dissimulé en Suisse, et qui lui valent trois ans de prison ferme aujourd’hui.
Dans un cas, la prison, dans l’autre, la consécration.
Une discrimination populiste
Alors comme ça, tu sais taper dans une balle avec un air de beau gosse, et tu as le droit d’enfumer la planète entière: tu recevras un prix. En revanche, tu sais gérer un Etat, une administration, tu produis du bien collectif (ou tu peux en produire) et là, pas de pardon: une fraude deux cent fois moins lourde que si tu tapais dans une balle te conduit directement en prison.
Ce qui signifie qu’être un acteur de la démocratie, c’est tolérance zéro et soupçon généralisé de mensonge. En revanche, le gladiateur qui divertit les masses et les détourne de leur misère, lui, il peut tout.
Qu’on s’étonne, après cela, de la crise qui frappe nos démocraties.
Le dévastateur exemple donné par Ronaldo
Pour tous les gamins de banlieue dont les rêves (et la projection de la société) se limitent souvent à la contemplation d’une balle tapée par vingt-deux coureurs pas forcément cortiqués, la récompense accordée à Ronaldo vaut mieux que n’importe quel démenti apporté à toutes les leçons de civisme laborieusement organisées dans les écoles. Le message envoyé est clair: triche, et tu seras riche et honoré!
Et surtout: pourquoi te fatiguer à gagner ton salaire à l’usine ou à l’atelier. Tape dans une balle, fais-toi de l’argent facile, et fraude pour le garder. Et surtout, ne prends pas ta part dans l’effort collectif.
Nos sociétés sont-elles handicapées de la morale?
Il y a quelques jours, le Monde constatait que la justice française restait « timorée » dans les sanctions qu’elle infligeait aux banques en matière de lutte contre la fraude fiscale. Les juges français ont lourdement sanctionné Cahuzac, mais ils sont beaucoup plus indulgents que leurs voisins occidentaux dès qu’il s’agit d’incriminer les sociétés bancaires qui se rendent complices de ces fraudes.
La sanction réduite dont Axa vient d’écoper de la part de l’ACPR le montre encore une fois. L’autorité publique n’a pas la main lourde quand il s’agit des personnes morales. Pour tout ce qui touche aux particuliers, en revanche, il existe une doctrine qui ne dit pas son nom: les vedettes aimées du public sont épargnées, les autres trinquent.
Et si l’on inversait ce raisonnement en exigeant des idoles une exemplarité au moins aussi grande que celle qu’on attend des responsables?
Remettre les valeurs collectives au centre du jeu
Pour filer la métaphore footballistique, il paraît indispensable aujourd’hui de remettre les valeurs collectives au centre du jeu. On voit bien que l’exaltation de l’argent facile, l’espèce d’hégémonie matérialiste véhiculée par ces chaînes sportives affaiblit en profondeur les fondements de la société occidentale. Le fantasme d’un argent facile et facilement gagné en transgressant tous les principes sociaux, collectifs, moraux, est un poison lent qui engourdit les consciences et fait le jeu de tous les extrémismes.
Est-ce un hasard si la Qatar islamiste possède des chaînes sportives?
Impossible, évidemment, de terminer ce billet sans interroger les raisons pour lesquelles le très islamiste Qatar possède les chaînes sportives Bein et popularise partout dans le monde cette société du spectacle sportif où l’argent coule à flot et où l’éthique est reléguée sur de vieux rayonnages de bibliothèque poussiéreux que plus personne ne fréquente.
Les spécialistes de l’Islam (on se reportera ici au dernier numéro de la Nouvelle Revue d’Histoire) se plaisent à souligner que le matérialisme vide qui sévit en Occident nourrit toutes les révoltes et toutes les réactions islamistes. La décadence de l’Occident stimule la renaissance de l’Islam politique.
Il est donc moralement, mais aussi politiquement salutaire que Ronaldo soit déchu de son Ballon d’Or et que nous commencions à nettoyer les écuries du sport.
Aricle écrit par Eric Verhaeghe pour son blog