En décembre 2011, un des premiers articles du Captain' portait sur le "Record historique du prix de l'essence : explications détaillées et chiffrées ". Neuf mois après, rebelote. Afin de mieux comprendre pourquoi le prix de l'essence augmente en France, il convient donc de s'intéresser dans un premier temps aux différentes composantes du prix. Pour le dire plus simplement, il faut donc décomposer le prix d'un litre d'essence entre prix du pétrole brut, raffinage, distribution et taxes de l'Etat.
A la pompe, 1 litre de Sans Plomb 95 coûte actuellement environ 1,585 euro, dont 55% de taxes (TVA à 19,6% + TICPE, la Taxe Intérieure de Consommation sur les Produits Pétroliers). Selon le Projet de Loi de Finances 2012, la TICPE (ex TIPP) devrait rapporter environ 14 mds d'euros en 2012. Pour baisser le prix de l'essence, il n'y a donc pas 10.000 solutions. Soit (1) l'Etat baisse les taxes, mais cela entrainera une baisse des recettes de l'Etat et donc une hausse du déficit toutes choses égales par ailleurs. Soit (2) les distributeurs et les raffineurs acceptent de diminuer leurs marges. Soit (3) le cours du brent en dollar diminue ou le bien l'euro s'apprécie face au dollar (= baisse du prix du brent exprimé en euros).
La première solution (baisse des taxes), dans la période actuelle de crise de la dette, ne peut être que provisoire. Un calcul à la louche d'une baisse de la TICPE de 3 centimes (qui entraînerait donc une baisse de la TVA sur la TICPE de 3cts * 0,196 = 0,6 cts - soit une baisse totale du prix de l'essence de 3,6 centimes) aurait un coût pour l'Etat entre 1 et 1,5 milliard d'euros sur l'année. Comment le Captain' arrive-t-il à ce résultat? La TICPE rapporte 14 mds sur l'année (source: senat.fr), pour 60cts de taxes par litre de SP95 et 40cts sur le Gazole. Toujours selon le Sénat, la TICPE provient à 71 % des revenus sur le gazole et 22% sur le super (le reste sur le fioul et autres carburants). Une baisse de 3 centimes de la TICPE, soit une baisse d'environ 7%, entraînerait une baisse de recettes de TICPE équivalente (7 % de 14 mds = environ 1 milliard) à laquelle il faut ajouter la baisse de recettes de TVA sur TICPE, pour un montant total proche de 1,2 milliard d'euros.
Les résultats de ce calcul du Captain' sont d'ailleurs en accord avec une étude de 2002 estimant que pour obtenir 1 centime de baisse du prix de l'essence sur l'année, il fallait environ 500 millions d'euros d'argent public. Bref, tout cela pour dire que ce n'est pas une idée lumineuse en ce moment.
Seconde solution : diminuer la marge des distributeurs et des raffineurs. En ce qui concerne les distributeurs, une étude de Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (la DGCCRF) estime que la marge des distributeurs (majors, grandes surfaces, stations indépendantes...) est d'environ 1 centime d'euros par litre. Difficile donc de diminuer significativement les marges des distributeurs qui sont en France inférieures à la moyenne européenne (sur les 10cts de "distribution" dans le prix du SP95, il y a donc 9cts de frais et 1 centime de marge). Pourquoi alors ne pas imposer aux raffineries de diminuer leurs marges ? Car, et bien qu'il est vrai que les marges des raffineurs aient augmentés récemment, l'industrie du raffinage est en danger en France (la France comptait 23 raffineries en 1978 contre 12 actuellement). Sujet délicat donc, car une compression des marges pourrait entraîner la délocalisation ou la fermeture de certaines raffineries, et aurait de plus un impact sur l'indépendance énergétique de la France. Attention, je ne dis pas que rien n'est faisable de ce côté-là, mais simplement que la marge de manoeuvre est très réduite.
Le graphique ci-dessous montre l'évolution de la marge brute de raffinage, qui est égale à la différence entre la valorisation à Rotterdam des produits raffinés et les coûts (prix du brut, fret, assurance et pertes évaluées forfaitairement à 0,6% du prix du Brent).
Dernière solution : une baisse du prix du baril de brent. Impossible pour le gouvernement d'avoir un impact sur cela, le cours étant fixé en fonction de l'offre et de la demande sur les marchés internationaux. Et malgré le ralentissement économique, qui devrait se traduire en théorie par une baisse des prix (via baisse de la demande), le cours du baril reste à un niveau élevé, principalement à cause de la diminution de l'offre (crise Lybie, tension en Iran, ouragan golfe du Mexique, "peak oil"...). Une appréciation de l'euro face au dollar aurait pour effet une baisse du prix du brent, mais (1) ce n'est pas sous le contrôle de l'Etat français et (2) cela aurait un impact négatif sur les exportations de la France hors zone euro.
Conclusion : Beaucoup de bruit pour une mesure qui ne sera que provisoire et aura un impact très limité pour le consommateur, associé à un coût non-négligeable pour l'Etat. Pas l'idée du siècle donc, mais c'est la rentrée donc il fallait bien que le gouvernement fasse parler de lui. Enfin le beau coup de com' est surtout réalisé par Leclerc, qui a profité de l'impact médiatique du débat pour annoncer une vente "prix coûtant" du carburant dans ses stations service en septembre. Bravo Michel-Edouard !