Changement de paradigme (extrait)

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Par Jean-Paul Dietz Modifié le 11 décembre 2020 à 15h08
Autorisations Medicaments Reglementaire Livre
@shutter - © Economie Matin

Pendant ce temps, le prix des médicaments diminue en raison de l’extension de l’utilisation des génériques. Et pourtant, le coût des nouveaux traitements anticancéreux crève tous les plafonds. Quelques ampoules d’anticytostatique peuvent atteindre le montant de quatre SMIC annuels. Malgré les plans d’économies entrepris par les payeurs, le budget de la santé n’arrive plus à s’équilibrer. Les ministères imaginent de nouveaux moyens de contrôle des dépenses de santé et finissent toujours par simplement diminuer le prix d’anciens produits ou de dérembourser certains, en frustrant les malades habitués à ces derniers depuis des années. Ce n’est pas judicieux pour les politiques en place !

À la fin de leur carrière, les experts deviennent consultants. Les grands groupes se débarrassent des vieux. Pourtant, c’est avec l’expérience qu’on donne le plus. C’est avec l’âge qu’on pourrait former les jeunes. Non, bizarrement on se sépare de ceux qui ont tellement apporté. Les vieux sont peut-être dispendieux, mais les contrats de préretraite ou de compensations le sont aussi. Maxence a des doutes : c’est probablement tout simplement que le charme et l’esprit de persuasion disparaissent. Quoi qu’on en dise, Maxence est de ceux qui innovent, qui s’adaptent, qui réfléchissent autrement. Il a continuellement inventé de nouvelles stratégies. Forcément, les prérogatives évoluent rapidement.

Il est également de ceux qui prédisent qu’il faudrait d’autres modèles pharmaco-économiques. Les clients n’apprécient pas toujours, ils demandent des preuves et les satisfecit sans prendre de risques. Les américains qui ne comprennent rien à la vieille Europe se fient à ceux qui prêchent le connu.

Le ratio coût-efficacité n’est plus adapté. Jusqu’à présent, l’évitement d’un évènement détermine le prix du médicament. Ce modèle n’est certainement plus valable. La créativité de Maxence suggère des modèles de risque partagé :

- Quel risque ? demande-t-on.

- Tout d’abord, le risque financier pour le payeur qui doit respecter un budget.

- Mais tout le monde sait que les décideurs payeurs préfèrent tout simplement ne pas trancher, ça leur coûte moins cher !

- Justement ! il se servent de la pression médiatique qui privilégie l’innovation pour les maladies rares ou le cancer. Le gouvernement se doit d’honorer les nouvelles interventions thérapeutiques. Donc, en ce qui concerne le budget, on s’engage mutuellement pour un chiffre d’affaires maximal en fonction des calculs à partir de données épidémiologiques. En cas de dépassement, le labo s’engage à des pénalités, à des ristournes, voire le remboursement du surplus. Quel serait l’avantage ? Vous maintenez votre prix de référence et évitez la spirale descendante. Pour le payeur un autre risque existe : le non-respect de la prescription établie selon des critères négociés. En cas d’outrage aux règles établies, le labo serait pénalisé et devra rétrocéder un montant par rapport à l’engagement pris, explique Maxence.

- Ah non ! Nous ne pouvons pas réguler les prescripteurs. Vous le savez bien, si ça marche, tous les patients voudront ce médicament. Imaginez les jeunes malades atteints d’une sclérose en plaques ! Tous exigeront la nouvelle molécule et non pas seulement quelques patients à un stade défini par des théo-riciens ! Quelle est la barrière entre un stade primitif et un stade progressif de la SEP ? Comment choisir entre un anticorps, une destruction totale de l’immunité ou une autogreffe de cellules souches hématopoïétiques ? Comment différencier le stade de mobilité, la possibilité de vivre une vie quotidienne, continuer de travailler grâce au nouveau traitement qui coûte bien plus qu’un salaire mensuel ?

- Eh bien voilà ! Ce dernier point est déjà bien analysé par les études pharmaco-économiques. Il faut aller plus loin, entreprendre des simulations, des hypothèses pour rassurer le payeur. Il faut chiffrer l’incertitude sur la performance de votre présumé médicament miracle, chiffrer les conséquences des effets indésirables…

- Je vous vois venir, il n’en est pas question.

- Écoutez d’abord, bon sang !

À nouveau, Maxence est obligé de convaincre. Il faudrait innover, envisager le suivi de patients individuellement tout en respectant la confidentialité. Comment juger l’efficience lorsque les symptômes sont subjectifs, les seuils de douleurs variables ? Mais justement, quand on navigue dans le vague, il est facile de ne pas respecter un contrat basé sur la satisfaction d’un patient. L’important, c’est le contact avec les autorités et entre-temps vous utilisez votre prix de référence pour lancer avantageusement le produit dans d’autres pays. Dans ce cas, on parle de remboursement conditionnel, le CED (coverage with evidence development). Ça devrait vous dire quelque chose.

- Et vous, vous coûtez combien ? insinue le protagoniste en face de lui.

« Allez-vous faire foutre ! » a envie de dire Maxence dont le taux d’émoluments horaire lui paraît trivial.

Maxence a l’impression d’être un bien consommable avec une certaine notion de « value for money – j’en veux pour mon argent ».

Lorsque les négociations commencent pour ses émoluments, ça capote. Les énergumènes (des malabars énormes bidonnés dans des complets rigoureux avec cravate rouge) sont au bord de l’apoplexie. Maxence sort de cette salle de réunion en disant qu’il essaye de trouver un cache-nez, tellement la climatisation est poussée à fond. Il s’enfuit de ce territoire du New Jersey où ces énormes sièges sociaux sont nichés dans des parcs avec jets d’eau. Il prend le prochain avion pour les Bermudes et espère retrouver son compagnon d’études, Victor, à qui il est associé.

Ça valait la peine. Après quelques jours, les mêmes Américains font une offre deux fois plus intéressante. Il leur répond de confirmer d’abord avec son associé pour le contrat et, le lendemain, trois femmes se présentent. Elles ont tellement chaud que leur fard se liquéfie. Maxence regrette déjà les trois malabars. L’histoire recommence. Seront-elles attirées par les pigments jaunes de l’iris bleu de ses yeux alors qu’il porte des lunettes à présent. Il paraît que c’est ce jaune qui attire et qui donne du charme ! À moins que ce soit la lipofuscine ou les cercles blancs autour de ses pupilles qui dénotent une maladie du foie ! Maxence recommence la même leçon en la complétant ainsi :

- Il n’existe pas de demande de soins seulement, mais une demande de santé. Devant l’impossibilité de la mise en place d’une offre de santé, il y a une offre de soins qui est supposée générer le bien-être, tout en étant malade. Or, nous savons pertinemment que cette espérance ne se produit jamais de façon certaine, et quelques fois le traitement peut être délétère, voire contre-productif. Il est évident qu’il faut rembourser quand ça ne marche pas, individuellement. Puis, on calcule sur une base collective par un échantillonnage ou d’autres moyens. Il faudra impliquer les cliniciens, mais sans les soudoyer.

La capacité à répondre à la situation actuelle est bien au-delà des voeux pieux des parlementaires qui définissent des enveloppes budgétaires avec des taux directeurs de croissance. En effet ces enveloppes sont définies sur des règles dont la transparence est douteuse. Les hypothèses sont taillées à la hache dans de grandes masses budgétaires mais ne sont pas mises en perspective avec des politiques de santé clairement identifiées.

Ceci est un extrait du livre « Autorisations » écrit par Jean-Paul Dietz paru aux Éditions AuPaysRêvé (ISBN-10 : 2919342193, ISBN-13 : 978-2919342198). Prix : 22 euros.

Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur.

« Applaudissez-moi ! » de Philippe Zaouati

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Apres des études de médecine à Strasbourg et à Boston, Jean-Paul Dietz a mené une carrière internationale dans le domaine de la santé publique et de l’industrie pharmaceutique. Les missions étaient menées dans le souci de rassembler les universitaires, les autorités gouvernementales et l’industrie dans l’avancement des soins de santé et plus particulièrement la mise sur le marché de nouvelles opportunités d’interventions médicales. Depuis toujours, il disait que le jour de sa retraite, il exercera le métier de médecin généraliste dans un environnement de désert médical dans un soucis de revenir aux sources. C’est ainsi qu’il exerce dans une zone prioritaire dans l’arrière-pays niçois, en visitant entre autres des patients cloitrés dans les villages, dont on a entendu beaucoup parler depuis les inondations lors de la tempête Alex. Jean-Paul Dietz tente de transmettre son expérience internationale et polyvalente dans le cadre de romans documentaires. « Autorisations » est son quatrième livre.