Dans une interview publiée par Marianne.net lundi 30 novembre 2020, Jean-Baptiste Vila, maître de Conférences en droit public à l'Université de Bordeaux, affime que mettre fin à la privatisation des autoroutes ne coûterait pas un centime à l'Etat. Pour étayer son propos (développé dans "La Semaine juridique" qui fait référence dans le monde du droit), l'universitaire affime que les augmentations appliquées par les sociétés d'autoroutes depuis des années à leurs tarifs, non sans déclencher à chaque fois une polémique, ne sont pas fondées juridiquement.
En conséquence de quoi, l'État pourrait reprendre en main le destin des autoroutes français sans avoir à mettre la main à la poche, les trop-perçus tenant lieu d'indemnités de rupture anticipée de contrat de concession...
Cet argument, déjà développé par Jean-Baptiste Vila dans un courriel adressé aux membres de la Commission d'enquête sénatoriale sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, a fait sortir de ses gonds le Président de Vinci Autoroutes, Pierre Coppey. Il tacle l'universitaire dans un courrier, transmis en copie au président de l'Université de Bordeaux, au Doyen de la Faculté de droit de Bordeaux, et à l'Association des sociétés françaises d'autoroutes.
Cette lettre, que nous avons pu nous procurer, est reproduite dans son intégralité ici, afin de contribuer au débat sur les autoroutes et leur destin. Nul doute en tout cas que nous entendrons encore parler des concessions autoroutières dans les prochaines semaines et les prochains mois.
Monsieur Jean- Baptiste Vila
Maître de Conférences HDR en droit public
Université de Bordeaux - Faculté de Droit
16, avenue Léon Duguit
33600 Pessac
Rueil-Malmaison, le 19 octobre 2020
Monsieur,
Vos affirmations ne s'appuient cependant sur aucune référence à des stipulations contractuelles ou à des dispositions légales ou réglementaires précises qui nous seraient applicables. Elles n'ont fait l'objet d'aucun échange avec les sociétés concernées, comme l'aurait voulu une démarche scientifique contradictoire.
Cela nous paraît particulièrement dommageable concernant des sociétés qui sont des filiales de sociétés cotées en Bourse et sur lesquelles toute diffusion de fausse information peut avoir des conséquences financières très lourdes.
Vos raisonnements procèdent d'un contresens manifeste, et en particulier d'une confusion entre les provisions pour gros entretien - exercice purement comptable de lissage des charges d'entretien - avec les provisions pour renouvellement des immobilisations, qui, si elles existent dans certains contrats de délégations de service public, ne figurent d'aucune manière dans les contrats de concession autoroutière.
ll n'y aurait d'ailleurs que peu de sens pour l'autorité concédante à introduire de telles clauses, ou pour le concessionnaire de procéder à de telles provisions, dans le cas des infrastructures autoroutières pour lesquelles la durée de vie réelle des actifs excède souvent très largement la durée de concession.
Le fondement légal du péage, quant à lui, repose sur les dispositions de l'article Ll22-4 du code de la voirie routière et sur les obligations mises à la charge des sociétés, sur la totalité de la durée de la concession, au travers du cahier des charges de leur concession. Le Conseil d'Etat, tant dans ses formations consultatives que contentieuses, a pu à de nombreuses occasions ces dernières années, confirmer la légalité du péage et des hausses annuelles.
Nous sommes d'autant plus étonnés de votre philippique que les données contractuelles relatives à notre secteur sont toutes disponibles et particulièrement faciles d'accès pour toute personne spécialisée en droit public. Tous nos contrats et avenants sont publiés au Journal Officiel et téléchargeables en versions consolidées sur le site du Ministère de la Transition écologique. Nous recevons d'ailleurs régulièrement des étudiants nous interrogeant à leur sujet et participons à de nombreuses chaires de droit public.
Nous sommes d'autant plus atterrés par vos insinuations relatives à un trésor caché imaginaire, évalué - pourquoi s'astreindre à la moindre rigueur dans les chiffres ?- à " plusieurs milliards (dizaines ?) d'euros", que cela relève de la pure fantasmagorie. ll n'existe pas, comme vous le laissez entendre de façon diffamatoire, de "comptes réels" cachés qui seraient "différents de ceux présentés dans les comptes d'exploitation" ou encore de "sommes figurant sur des comptes dédiés à ces opérations" qui auraient été "conservées par ces mêmes sociétés en 2006".
Nos comptes sont publics, approuvés par nos Commissaires aux comptes et font l'objet d'une analyse détaillée annuelle par l'Autorité de Régulation des Transports. L'ART a publié en juillet dernier son rapport quinquennal sur l'économie des concessions, fruit d'un travail engagé depuis 2016 et réalisé avec la pleine collaboration des sociétés et avec un libre accès à l'ensemble des données comptables et financières disponibles. Elle ne rejoint d'aucune manière vos propos.
ll est particulièrement regrettable qu'un représentant de l'Université puisse faire de telles insinuations et laisse entendre que l'ensemble des administrations et institutions de contrôle - administration concédante, Autorité de Régulation des Transports, Cour des Comptes, Conseil d'Etat, Commission Européenne entre autres- soient toutes défaillantes, en raison, pour reprendre vos termes d' "une absence de maîtrise des données économiques et de fondements légaux".
Peut-être que le devoir de vérité et de rigueur que vous devez enseigner à vos étudiants jusitiferait que vous adressiez au Sénat un courrier rectificatil plus sérieux celui-là.
Pierre Coppey
Président de Vinci Autoroutes
Monsieur Manuel Tunon de Lara, Président de I'Université de Bordeaux
Monsieur Jean-Christophe Saint-Pau, Doyen de la Faculté de droit et science politique, Université de Bordeaux
Association des sociétés françaises d'autoroutes (ASFA)