L’audition d’Agnès Buzyn : la vérité en marche… arrière

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Par Fabrice Di Vizio Modifié le 1 juillet 2020 à 11h44
Audition Agnes Buzyn Assemblee Nationale
© Assemblée nationale

L’audition de Madame Buzyn devant la commission d'enquête a révélé le pire de l'État français, transcendant la seule question de la responsabilité personnelle de cette dernière et, il faut le dire, a présenté quelque chose de terrifiant !

Elle a aussi puissamment révélé les raisons pour lesquelles un tel organisme parlementaire n'a aucun intérêt réel, tant il est constant que sa structure même empêche toute manifestation de la vérité au sens où le juriste l'entend.

En premier lieu, l'ancien ministre pendant près d'une heure, sur différents sujets, a expliqué qu'elle ne savait rien sur l'insuffisance de stocks de masques, qu'elle ne savait rien non plus sur le fait que la production mondiale de masques était en Chine, et qu'en somme, Santé Publique France entretenait des liens avec la Direction Générale de la Santé, qui ne remontaient pas au ministre.

Madame Buyzn a tenté de long en long de rappeler l'enchevêtrement d'agences, d'administrateurs, qui bénéficient manifestement d'une autonomie telle que le ministre de la Santé ignore ce qu'elles font, et ignorent ce qu'elles savent !

Cette révélation, il faut l'avouer, a quelque chose de terrifiant, car, en droit, l'article 20 de la constitution du 4 octobre 1958 rappelle un point fondamental :

« Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l'administration et de la force armée. »

L’administration est donc placée sous la hiérarchie du gouvernement, et plus particulièrement ici du ministre de la Santé !

Le conseil constitutionnel, dans son commentaire de l'article 20 a pu indiquer :

« C'est dire que la Constitution consacre ainsi le principe de la subordination de l’administration et de la force armée au Gouvernement. »

La notion de subordination est bien connue du juriste, et plus particulièrement du juriste de droit social, en ce qu'il s'agit de l'élément caractérisant une relation de travail. Elle se définit traditionnellement comme le devoir de se conformer aux instructions de l’employeur et de réaliser le travail confié par ce dernier.

Or, si ce que Madame Buzyn explique est vrai, nous sommes face à un dévoiement particulièrement grave de la constitution, en ce que l'administration disposerait donc de prérogatives totalement autonomes sur des questions aussi sensibles que la santé publique, dont la mise en œuvre échapperait dans son principe et ses modalités au ministre, qui, dit-elle, n'est pas informée de ce qu'elle fait, ni quand elle le fait, en violation de du principe de subordination.

C'est à titre illustratif qu'on rappelle que le même article 20 englobe dans une même phrase administration et armée, et le commentaire du conseil constitutionnel inclut bien les deux dans la consécration du principe de subordination. Doit-on considérer que le ministre de la défense ignore ce que fait son administration et que celle-ci est seule responsable de l'armement de la France, en cas de conflit armé ?

Il apparait pour le moins singulier qu'aucun parlementaire, pourtant élu de la nation, n'ait relevé le caractère hautement improbable des affirmations répétées de Madame Buzyn qui sonnent, à s'y méprendre, comme une exonération de toute responsabilité sur la personne du directeur général de la santé, commode fusible.

Bien sûr, il ne faut pas exclure la sincérité de cette dernière, mais à choisir je préfererais encore la première option. Et je serais moins inquiet si ces propos constituaient un système de défense.

L'idée d'une administration autonome qui ne rendrait aucun compte au gouvernement serait un problème bien plus grave encore que la gestion calamiteuse de l'épidémie, car il consacrerait la théorie du fonctionnaire roi, alors que par essence, administrer et gouverner appartiennent à deux champs très différents et ne sauraient se confondre.

En second lieu, le format même de la commission d'enquête parlementaire a montré toutes ses limites au cours de cette audition.

Des questions particulièrement longues et imprécises qui appelaient, exactement comme à chaque fois, des réponses tout aussi longues et tout aussi imprécises.

L'objectif de Madame Buzyn, et on ne saurait lui en vouloir, n'était guère de répondre aux questions, mais d'exposer sa vérité, sans risque d'être contredite, pour une raison que là encore le juriste connaît bien : l'absence de preuves !

En effet, clairement, toute la problématique de ces auditions, est précisément qu'il s'agit d'auditions, de propos plus ou moins clairs, plus ou moins précis, mais jamais étayés par la moindre preuve, la moindre pièce.

A titre d'exemple, Madame Buzyn évoque avoir adressé des messages (ou au moins un) au gouvernement, et fait narration de leur teneur, mais à aucun moment ne les verse aux débats, de sorte qu'il est notoirement impossible de la contredire.

Dans une tribune précédente, j'évoquais la circonstance que la commission d'enquête n'avait pas pour objectif de déterminer une responsabilité quelconque, puisque tel n'était pas son office. Pourtant, hier, il n'aurait dû s'agir que de ça ! il n'aurait dû s'agir que de rechercher une vérité personnelle et individuelle, mais c'était par nature impossible !

Aussi, l'exercice a donc été une longue tribune orale d'un ancien ministre venu à la barre pour y présenter une défense réfléchie, exposée en termes choisis, rejetant habilement la responsabilité sur un système et, si besoin était, sur son ancien directeur général de la santé !

On peut raisonnablement s'étonner que, quoique disposant de modestes pouvoirs, la Commission n'en ait guère fait usage, sollicitant à grands coups de renfort médiatique, pour s'assurer de l'effectivité de sa demande, les mails échangés, les notes qui ont été transmises au ministre et inversement celles transmises à l'administration ou encore les comptes rendus de réunion qui ont eu lieu, voir la teneur du fameux blog chinois.

On s'étonne que Madame Buzyn soit arrivée avec son stock de pièces, lisant les unes, commentant les autres, devant une commission qui n'avait comme pouvoir que de la croire sur parole, puisqu'elle n'avait guère pris soin de solliciter la moindre production auparavant pour pouvoir l'interroger sur celles-ci.

Et c'est ici que se cristallise la différence majeure avec l'institution judiciaire, qui sait, elle, par nature, que les paroles s'envolent, les écrits restent. Elle sait, elle, que dans pareille situation où chaque acteur a connaissance précise du poids des reproches qu'on peut lui faire, la perquisition est le seul outil réellement signifiant pour parvenir à la vérité. Une vérité basée sur des preuves, et non sur des déclarations, une vérité que l'on découvre par soi-même, en ayant recours à tous les moyens de coercition nécessaires.

D'où l'intérêt de la saisine du juge d'instruction par le truchement d'une plainte avec constitution de partie civile que l'auteur de ces lignes a d’ores et déjà, dès hier matin, effectué.

Cette saisine n'est pas anodine puisqu’au terme de l'ordonnance de 1958 sur le fonctionnement du parlement, elle a pour effet de dessaisir la commission d'enquête parlementaire, laquelle ne peut enquêter sur des faits objet d'une information judiciaire.

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Fabrice Di Vizio est avocat spécialiste des professionnels de santé, plus particulièrement des médecins libéraux. Il a défendu les médecins dans des procès concernant leurs droits à la publicité ou encore dans des affaires médiatisées comme Subutex ou Médiator. Le site de son cabinet : http://www.cabinetdivizio.com/.