Art oratoire : le public est maître

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Par Stéphane André Publié le 7 novembre 2015 à 5h00
Politique Discours Rethorique Esprit Pensee
@shutter - © Economie Matin
200Le débit oral moyen des médias audiovisuels est de 200 mots par minute.

La plupart de nos orateurs sont absents des mots qu’ils prononcent. Enfants, on leur a tant de fois répété: « Attention à ce que tu vas dire ! », qu’adultes, leur pensée chemine toujours en avant de leur discours à la recherche de la suite.

Parfois seulement, elle y revient pour mettre un accent empatique sur un mot qui leur parait important, puis elle repart dans le futur. C’est ce qu’ils appellent avoir « une pensée qui va plus vite que la parole ». Façon flatteuse de définir le réflexe acquis de la « pensée décalée » par peur de la mauvaise note. Cela explique l’absence de sentiments dans leur discours, sa monotonie, et l’ennui qu’il provoque.

Toujours anticiper, sinon gare à l’erreur ou au trou dans le texte !… Voilà nos managers, nos politiques, et nos enseignants retournés à l’école, récitant leurs fables debouts sur l’estrade de la classe. Ils devaient prouver qu’ils « savaient » leur « récitation ». « Tu la sais, la récitation ? » se disaient-ils entre camarades. Ils sont tellement concentrés sur le mot à mot de leur texte, qu’ils oublient pourquoi et pour qui ils parlent. Si on leur posait soudain la question, sur le moment ils ne sauraient pas répondre. Ils perdent toute hauteur de vue, car ils ont le nez dans le guidon.

« Tu la sais, ta récitation ? » Voilà qui nous éclaire sur ce qu’est devenu le « savoir » dans notre culture : une accumulation d’innombrables informations dont on ne fait rien, mais qu’on est fier d’avoir en stock. L’enfant qui récite sans esprit ne fait rien de la fable. Il est simplement fier de la connaître par cœur, ce que sanctionne sa bonne note. Le maître ne lui demande pas d’en faire quelque-chose, peut-être parce qu’à sa place il n’en ferait rien non plus. Pourtant, l’enfant pourrait se faire l’interprète de la pensée de Lafontaine pour ses petits camarades. Çà, ce serait faire quelque-chose du texte de la fable. Mais ce ne serait pas noté. Et surtout l’élève ne s’y risque pas, car, emporté par l’émotion, il pourrait se tromper dans son texte, et alors adieu la bonne note.

Produit de cette école sans imagination, l’adulte ne fait rien lui non plus des mots qu’il prononce dans sa fonction. Il est déjà bien chanceux de les trouver ou de les retrouver, et s’en contente. De toute façon, il vous dira qu’il n’est pas payé pour « faire l’acteur ». Il dit les mots, et c’est au public les interpréter comme il convient. De là sans doute vient l’expression parfaitement injuste : A bon entendeur, salut !

Son discours terminé, il redécouvre soudain qu’il avait face à lui ses collaborateurs, ses concitoyens, ou ses élèves. Concentrer sur son mot à mot, il ne les voyait plus. Du coup, avait oublié qui ils étaient. Il ne sentait plus face à lui que la présence obsédante d’auditeurs sans visage qui le pressaient de trouver les mots justes. Qu’étaient-ils devenus pour lui ? Surement pas la classe de ses petits camarades à l’école, compagnons de souffrances qui se réjouissaient de ne pas être sur l’estrade à sa place, et qui se fichaient de l’entendre retrouver les mots de la récitation. Ils étaient devenus les maîtres de son enfance, et les parents qui parfois se substituaient à eux.

Le patient allongé ne voit pas non plus le psychanalyste installé dans son fauteuil derrière la tête du divan. C’est ce qui rend possible le mécanisme du transfert par le patient, sur son psychanalyste, des premiers objets de son désir que furent ses figures parentales. A partir de ce transfert dont il est le support, le psychanalyste peut conduire la thérapie. En somme, le même mécanisme s’opère pour l’orateur, quand il transfère sur son public qu’il ne voit plus, sans vraiment s’en rendre compte, les maîtres de son enfance.

Hélas, à la différence du psychanalyste, les auditeurs du manager, du politique, ou de l’enseignant, ne se soucient pas de le soigner. Ils ne se soucient pas non plus de l’écouter, quand il ressemble plus à un enfant récitant sa leçon qu’à un adulte venu leur monter un chemin. Maîtres d’école malgré eux, ils n’en sont que plus sévères pour l’orateur. C’est un zéro garanti.

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Stéphane André est diplômé ESSEC et maîtrise de psycho clinique. Possédant une formation de comédien, il est metteur en scène de théâtre lyrique. Il est l'auteur du livre "Le Secret des Orateurs", Édition Stratégie et enseigne l'art oratoire en anglais.

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