Arrêtons d’idolâtrer le numérique !

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Par Jacques Bichot Publié le 18 mai 2017 à 5h00
Cyberattaques Securite Informatique Numerique Defauts
@shutter - © Economie Matin
200 000La cyberattaque WannaCry a touché plus de 200 000 personnes dans le monde.

Les cyberattaques « sans précédent » se succèdent. Celle qui avait ébranlé toute une partie des États-Unis, en octobre 2016, a provoqué un feu de paille journalistique.

La délinquance informatique a de beaux jours devant elle

Il en ira sans doute de même pour la cyberattaque mondiale qui a fait les gros titres des media le 15 mai 2017. Mais nous sommes loin d’avoir atteint le maximum de la délinquance informatique : les objets connectés, notamment, offriront dans quelques années des opportunités supplémentaires aux pirates. Imaginons les facilités dont profiteront les opérateurs de « rançongiciels » lorsque nos voitures, nos chauffages, nos appareils ménagers, et les machines dans les entreprises, seront connectés, et qu’il sera possible à des malfaiteurs astucieux de prendre leur contrôle à distance …

Le « tout numérique » est un engouement « politiquement correct », comme le furent en leur temps le chauffage au charbon et la production d’énergie par les machines à vapeur. Au début d’une révolution technologique, le sentiment du progrès rend peu sensible aux inconvénients que présentent d’une part les nouvelles techniques en elles-mêmes, et d’autre part l’usage maladroit ou volontairement nocif qui en est fait.

À cet égard, la facilité de la délinquance informatique n’est qu’un aspect parmi plusieurs. La mauvaise maîtrise de l’outil est une source de destruction de valeur tout aussi importante. Les administrations, notamment, ont de la difficulté à se doter de logiciels adaptés aux services qu’elles ont à rendre. Pressées par des responsables qui, souvent, n’y connaissent pas grand-chose, les services mettent ou font mettre en place des outils inadaptés, censés faciliter le travail, mais qui en fait se traduisent par des pertes de temps pour les agents et pour les administrés ; le drame qu’ont été les cafouillages informatiques du RSI pour de nombreuses petites entreprises en est un exemple parmi d’autres.

Un coûte économique énorme

Nous avions, dans un précédent article, attiré l’attention sur le coût économique impressionnant que génère la facilitation par le numérique – ou plus exactement par une certaine organisation du numérique – des incivilités en tous genres, à commencer par les spams. On pourrait ajouter à cela les problèmes posés aux utilisateurs par un rythme effréné d’innovations dont l’utilité est douteuse pour eux. Deux phénomènes différents contribuent à ces innovations « sauts de puce » plus nuisibles qu’utiles :

- Premièrement, les entreprises dont nous utilisons les logiciels emploient quantité de personnes dont l’utilité est intermittente, mais qu’elles tiennent à conserver pour les avoir sous la main, et bien entraînées, le jour où il faut faire rapidement un travail utile. Les dites personnes, pour s’occuper, multiplient les pseudo-innovations, qui accélèrent le rythme d’obsolescence du savoir-faire des utilisateurs, les obligeant à consacrer un temps précieux à des apprentissages inutiles.

- Deuxièmement, les changements sont souvent réalisés dans des conditions obligeant les utilisateurs à acquérir les nouveaux logiciels – ou à remplacer le système informatique dans son ensemble. Le client est comme prisonnier de fournisseurs indélicats pour lesquels booster les ventes en accélérant le processus de vieillissement ou d’obsolescence du software et du hardware est une stratégie classique.

Bref, si le numérique est, dans bien des domaines, un outil merveilleux, il ne mérite nullement d’être systématiquement présenté comme la panacée universelle. L’univers du numérique est comme un enfant gâté : on lui passe tous ses caprices, ce qui n’est sain ni pour l’économie ni pour le fonctionnement d’ensemble de la société, perturbée par la mauvaise qualité d’une partie des liens informatiques qui tendent à se substituer aux liens traditionnels.

Il serait grand temps de remettre le numérique à sa juste place. Cet outil sera d’autant plus utile que nous éviterons sa divinisation : celle-ci profite à des personnes et à des organisations avides de pouvoir et de richesse, au détriment de l’immense majorité des êtres humains.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.