L’angoisse de l’entrepreneur face à la clause Molière

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 15 mars 2017 à 9h35
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cc/pixabay - © Economie Matin
6%Les immigrés ne représentent que 6 % de la population active française.

La clause Molière a envahi le langage courant avec une vitesse foudroyante, qui en dit long sur l’attente à laquelle elle correspond. Elle consiste à exiger, dans les commandes publiques, les entreprises détentrices des marchés à employer des salariés qui parlent français. Cette mesure est présentée comme une forme de protectionnisme identitaire. Pour beaucoup d’entrepreneurs, elle est synonyme d’angoisse.

Une clause si maladroite

Soyons clairs! imaginer que la clause Molière contribue à protéger la main-d’oeuvre française est une erreur manifeste d’appréciation. Une grande partie, en effet, de l’immigration employée dans nos entreprises est francophone. C’est particulièrement le cas des Africains (les Sénégalais, les Maliens, les Camerounais) et des Nord-Africains qui viennent travailler sur nos chantiers.

Face à cette réalité, la clause Molière constitue en réalité une nouvelle obligation discriminante pour les entreprises, et un nouveau transfert de charge de l’Etat vers les entrepreneurs. Ce devrait en effet être à l’Etat d’établir des distinctions, s’il le souhaite, entre les salariés qui exécutent la commande publique. Avec cette clause, la charge repose sur le chef d’entreprise: c’est à lui de dire oui à un Congolais sur un chantier, parce qu’il parle français, et dire non à un Nigérian, parce qu’il parle anglais. Et tant pis si le Congolais qu’il doit garder est nul alors que le Nigérian était excellent. La commande publique n’a pas besoin de salariés compétents pour être menée à bien, mais de salariés qui parlent français.

Supposons! mais dans ce cas-là, prenons bien garde au boomerang qui se prépare. Vu le niveau de sortie de nos écoles publiques, beaucoup d’Africains francophones parlent aujourd’hui éminemment mieux le français que nos décrocheurs scolaires. Dans ce cas-là, comment appliquer la clause Molière?

Le fantasme de l’immigré qui prend la place des Français

J’entends ici la petite musique habituelle sur les immigrés, les clandestins, les détachés, qui prendraient le travail des Français. Il est quand même que les entrepreneurs qui recrutent des étrangers s’expriment haut et fort sur le sujet.

C’est mon cas: en tant qu’employeur, je recrute régulièrement des étrangers. Des vrais! qui viennent d’Afrique francophone. Pourquoi fais-je ce choix? Pour des raisons politiquement incorrectes que les Français ont pourtant besoin d’entendre afin de mesurer l’étendue des dégâts causés par trente ans de laxisme dans les services publics, notamment dans le service public de l’Education.

D’une manière générale, la main-d’oeuvre française (et particulièrement celle « de souche ») pose un problème double. D’une part, les Français sont globalement attirés par les paillettes ou la sécurité. Ils cherchent prioritairement un emploi dans la fonction publique, secondairement un contrat à durée indéterminée dans les grands groupes. Ils disposent souvent d’un diplôme supérieur et rechignent à exécuter des tâches subalternes. C’est leur deuxième problème: les Français ont compris que le monde du salariat était fait de protections épaissies chaque année par un législateur avide de se constituer une popularité à bon compte. L’idée que leur contrat de travail les oblige à atteindre des résultats ne leur paraît pas couler de source.

D’où une situation aberrante où, avec plus de 3 millions de demandeurs d’emploi, le recrutement est devenu un parcours du combattant. Combien de recruteurs n’ont pas entendu, au moment où ils appelaient un jeune Français pour lui dire qu’il était embauché, la phrase fatidique du: « Mais je dois prendre mes vacances avant de commencer chez vous? »

Le recrutement de l’Africain francophone présente, face à ce risque, d’innombrables avantages: le candidat a généralement besoin et envie de travailler, il trouve qu’il est bien payé, et il n’a pas besoin de prendre de vacances avant de commencer son contrat.

Imaginer que chasser les uns permettra de recruter les autres est évidemment un mensonge. Les entrepreneurs du bâtiment n’auront pas de peine à en témoigner.

Ce grand remplacement s’explique par la protubérance de la fonction publique

Cet état de fait, qui peut surprendre de prime abord, a des explications statistiques précises.

Souvenons-nous d’abord qu’une classe d’âge en France compte 700.000 personnes environ. Sur ces 700.000 personnes, 150.000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans diplôme. Pour des tâches nécessitant un minimum de compétences, la France dispose donc d’un gisement naturel de 550.000 jeunes. Parmi ceux-ci, un maximum de 100.000 obtient un mastère.

Chaque année, la fonction publique absorbe la majorité de ces diplômés à bac +5, parfois en leur confiant des missions subalternes. Il ne faut jamais oublier que la fonction publique d’Etat et la fonction publique territoriale recrutent chaque année 60.000 personnes. Pour la fonction publique hospitalière, la masse des recrutements n’est pas publiée mais, par extrapolation, on peut considérer qu’elle concerne environ 30.000 personnes. On notera que la fonction publique d’Etat recrute très majoritairement des diplômés à Bac +4 ou +5.

Encore ne s’agit-il que de recrutements sur concours. Si l’on tient compte de l’ensemble des recrutements publics (y compris en contrat à durée déterminée ou en vacations), le rapport l’Horty a montré que, chaque année, la France recrutait 500.000 agents publics.

Certes, ces recrutements concernent plusieurs classes d’âge. Mais il faut avoir conscience que, globalement, la fonction publique assèche le vivier français de diplômés par ses recrutements sur concours et que les entreprises peinent donc, surtout si elles sont moyennes ou petites, à attirer des talents. D’une manière générale, une PME ou une TPE qui publie une annonce de recrutement est accablée de réponses rédigées par des candidats dont les autres employeurs n’ont pas voulu. Très souvent, ces réponses ne correspondent pas au besoin attendu et, tout naturellement, l’employeur se tourne vers des étrangers pour combler ses besoins.

C’est ce qu’on appelle le chômage frictionnel. En réalité, la mauvaise qualité du système éducatif français est la première cause du grand remplacement auquel on assiste.

La délicate question de l’identité française au travail

Est-ce à dire que les employeurs sont heureux de cet état de fait où la survie de leur entreprise exige qu’ils se tournent vers une main-d’oeuvre étrangère?

Globalement, non, bien sûr. Mais (comme c’est mon cas), quand on cherche désespérément des doctorants à recruter et qu’aucune école doctorale universitaire ne vous envoie de candidats, quand on recrute des étudiants en contrats de professionnalisation et que l’université avec qui on a contracté ne remplit aucune de ses obligations d’insertion, quand l’Association Nationale de la Recherche et de la Technologie (qui gère les contrats de doctorants en entreprise) passe plus de temps à vous empoisonner la vie et à organiser des déjeuners à 200 euros la place avec le Premier Ministre qu’à aider les entreprises à recruter, alors on baisse les bras et on se dit qu’après tout, on ne peut pas être plus royaliste que le Roi.

En revanche, les recrutements d’étrangers posent des problèmes de cohésion interne. Là encore, mettons sur la table les sujets qui fâchent. Depuis la montée en puissance de Daesh, le nombre de femmes musulmanes qui demandent à porter le voile au travail augmente. Le législateur français a réglé cette question pour la fonction publique en interdisant le voile sur le lieu de travail. En revanche, il laisse les employeurs se débrouiller seuls dans leur entreprise, avec des jurisprudences de la Cour de Cassation d’une complaisance inouïe pour la « diversité ».

On se félicitera donc que la Cour de Justice de l’Union soit venue, aujourd’hui, appuyer les employeurs français qui veulent imposer des règles de laïcité dans leurs murs. Plutôt que des clauses Molière qui sont de la poudre de perlimpimpin, ce sont des décisions de ce genre que les entrepreneurs attendent de leurs élus. Mais indécrottablement, ceux-ci justifient leur réputation de grands diseurs et de petits faiseurs.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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