La semaine vue par Louis XVI : La France et la Prusse

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 28 janvier 2013 à 5h44

Rien de tel qu’une bonne guerre sous les tropiques pour se remettre en selle, quand le peuple ne vous aime pas et que la fortune ne vous sourit guère. Toutes mes félicitations pour votre choix, mon cher François, d’envoyer quelques régiments fourrager les campagnes sauvages sur le continent noir ! Massacrez les Sarrasins autant que vous le pouvez, expliquez aux Français que leur liberté en dépend, et vous grandirez forcément votre image. Prenez vos dispositions pour que vos troupes ne comptent point trop de morts : ainsi la populace se félicitera d’une guerre facile où elle peut s’enorgueillir de triomphes colorés sans avoir versé le sang des siens. Vous vous ferez aimer.

Si j’en crois les gazettes, cette opération n’est pas aussi facile qu’on le dit. Elle a déjà fait tâche d’huile en Algérie. Elle demande de plus en plus de troupes, et personne ne sait quand elle s’arrêtera. Mais, mon cher François, il faut reconnaître que vous vous y entendez pour donner l’illusion du contraire, et permettre aux militaires de crier victoire quand la guerre commence à peine. Astucieusement, vous faites oublier la force de ces Sarrasins : l’art de se cacher dans le sable du désert, comme des scorpions, en attendant que les soldats en armes s’endorment et relâchent leur vigilance.

Peut-être manque-t-il encore un petit quelque chose dans cette épopée que vous composez sous nos yeux. Peut-être faudrait-il diffuser quelques gravures prises sur le vif où des tombereaux de Noirs, la mine effrayée, s’enfuiraient en voyant vos troupes arriver. Ou encore l’un ou l’autre de vos sergents pourrait témoigner de la vigueur, du courage, de l’héroïsme de nos armées face à la brutalité de ces sauvages. Quelques récits piquants et imagés, voilà qui achèverait de donner foi à nos faits d’armes, et ravirait les esprits de nos provinces. Je ne doute pas que vous ne tarderez pas à faire bon usage de ce conseil.

En revanche, je m’inquiète des relations entre la France et la Prusse. Vous-mêmes, mon cher François, ne pouvez l’ignorer. Quand vous avez célébré le 50è anniversaire de l’amitié franco-prussienne, scellée par le traité de l’Elysée, vous avez bien remarqué que tout cela ressemblait à une cousinade un peu vide, entre branches de la famille qui n’avaient plus grand chose à se dire.

Tout de même, depuis 1953, l’eau a coulé sous les ponts du Rhin et Français et Prussiens ont, j’imagine, bien d’autres projets, bien d’autres envies à partager que la commémoration d’un traité dont plus personne ne se souvient. D’ailleurs, mon cher ami, soyons honnêtes : le traité de l’Elysée n’inventait guère l’amitié franco-prussienne. Celle-ci avait vu le jour... Treize ans auparavant, à Montoire. Et s’il faut parler d’une relation intense entre notre bonne vieille France et la jeune Allemagne prussienne, rien ne remplacera jamais l’amitié qui a uni les deux pays entre 1940 et 1945.

Que les gouvernements qui suivirent eussent à coeur de faire oublier cette page douloureuse et honteuse de leur histoire est une chose. Mais que ce rachat de conduite devienne une ritournelle célébrée à grand renfort de communiqués et de billets dans les gazettes est un peu cruel.

De toute mon antériorité, permettez-moi, mon cher François, de vous adresser quelques conseils quant à vos relations avec la Prusse !

C’est mon grand-père Louis XV qui le premier fit la terrible expérience des redoutables Prussiens et de leur affirmation en Europe. Faut-il que je vous rappelle le soutien qu’il avait accordé aux Prussiens, jusqu’au renversement d’alliance que ceux-ci décidèrent en 1756, en nous abandonnant pour se rapprocher des perfides Anglais ? Frédéric II était un roi redoutable, courtisé par cet abominable Voltaire dont la promotion de l’ENA à laquelle vous appartenez porte le nom. Comme son père Frédéric I, il était rusé.

Je sais que tous ces épisodes ne sont plus enseignés dans vos écoles. Mais n’oublions jamais que Frédéric II nous entraîna en 1740 dans sa guerre de Succession d’Autriche où nous perdîmes beaucoup d’argent et ne gagnâmes rien. Car depuis Louis XV, la Prusse est guidée par deux idées : accroître son influence en Europe en affaiblissant la France, et ne s’engager dans un combat que s’il lui profite directement. Mon grand-père en fit les frais, retenez la leçon !

La Prusse d’aujourd’hui n’a guère changé pour tout ce qui touche à la diplomatie. Elle est mue par la certitude que les relations européennes doivent servir ses intérêts et n’a d’autre idée en tête. En imaginant que l’Europe vue par la Prusse puisse obéir à une autre règle que celle de la domination prussienne, la France fait erreur. Prenez donc garde au leurre de l’amitié franco-prussienne. Celle-ci ne repose que sur des illusions et des souvenirs coupables que le temps finira d’estomper.

Le corps expéditionnaire envoyé sous les tropiques en est une preuve : la Prusse s’en félicite, mais ne déboursera pas une livre tournois pour son entretien ou son renfort. C’était naïveté et ignorance historique que d’imaginer un autre tour à cette demande. La Prusse ne lève le petit doigt que lorsque ses intérêts directs sont en jeu. Et il faudra beaucoup de persuasion pour convaincre les Berlinois que leur destin se joue dans le sable des Sarrasins.

Êtes-vous bien sûr, mon cher François, que tout le principe de ce traité de l’Elysée n’est pas dicté par cette volonté de se servir de vous sans contrepartie ? Car de l’amitié franco-prussienne, qu’est-il né depuis 50 ans ?

Certes, la France et la Prusse ont mené quelques beaux projets industriels comme le développement d’Airbus. Mais celui-ci est-il parfaitement conforme aux intérêts de la France ? La Prusse, dans ces coopérations compliquées, n’exige-t-elle pas toujours des contreparties qui la servent plus qu’elles ne servent l’ensemble ?

Vous remarquerez sur ce chapitre que les Prussiens ont enterré, il y a quelques semaines, le projet de création d’un géant de l’industrie militaire européenne, partagé entre Anglais, Français, Espagnols et Prussiens... Sous prétexte qu’il ne servait pas assez les intérêts de la Prusse.

Je sais bien que le Premier Ministre anglais a suscité un mauvais débat ces derniers jours en proposant de quitter cette boiteuse construction européenne qui vous habite tant. Et je sais aussi que sa proposition a ravivé la rancoeur des Français contre ces perfides voisins. Mais regardez les choses de près : la France n’a guère intérêt à vivre dans un huis clos avec la Prusse. Elle en sera toujours perdante.

Vous avez d’ailleurs commis la folie d’installer votre banque centrale à Francfort, ville où étaient couronnés les saints empereurs romains germaniques, préfiguration médiévale de l’Allemagne contemporaine ! Et c’est à Francfort que les banquiers centraux peu à peu étendent leur domination sur vos économies, en prêtant des euros à tour de bras aux banques, en décidant de taux d’intérêt qui étouffent vos affaires.

Non, mon cher François, l’intérêt du pays ne peut se limiter à divertir les Français avec quelques beaux récits où se croisent des héroïnes échappées des geôles mexicaines, et avec quelques célébrations de traités vides ou illusoires. Il vous faut une vision nouvelle de l’Europe pour y défendre une autre place de la France en son sein. C’est comme l’urgence de votre règne, car si vous n’y prenez garde, il ne resterait bientôt plus rien de la puissance industrielle française.

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "