Depuis quelques années, une autre tendance se superpose à la consommation collaborative : une forme de « relocalisation » des achats, au sein de circuits d'approvisionnements directs. Des circuits courts créés et co-gérés par les consommateurs, et qui consistent à passer des contrats avec des fermiers pour se fournir en produits alimentaires toute l'année. (pour accéder à l'article précédent cliquez ici)
Ce système est né au Japon dans les années 60 sous le nom de Teikei et a été adopté là-bas par un foyer sur quatre. Il a ensuite fait le tour de la planète, en s'implantant aux Etats-Unis et au Canada sous le nom de Community supported agriculture (CSA), ainsi qu'en Europe (Allemagne, Suisse, Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas, Italie, Portugal…) et en Asie (Corée du Sud, Malaisie, Inde…). En France, on compte aujourd’hui plus de 1.600 de ces circuits directs, baptisés ”associations pour le maintien d'une agriculture paysanne” (Amap).
Ces contrats avec les fermiers reposent d'abord sur la volonté des consommateurs de retrouver une alimentation plus authentique et, pour beaucoup, d'opter pour le bio (la majorité des fermes concernées par ces approvisionnements directs sont en effet biologiques). Cette recherche de proximité répond également à une demande accrue de transparence dans l'origine des aliments, et à une envie de se passer d'intermédiaires, ce qui permet de réduire les coûts et les transports. Enfin, beaucoup de consommateurs s'y engagent avec la volonté de soutenir des fermes locales, et donc l'emploi dans leur région. Des préoccupations dont la grande distribution commence à prendre conscience, puisque certains supermarchés se sont récemment mis à proposer des cagettes de légumes bio, présentés comme s'ils provenaient de la ferme du coin.
Cette volonté de soutenir l'agriculture locale se manifeste aujourd'hui dans tous les pays industrialisés. Aux Etats-Unis par exemple, le chiffre d'affaire des achats directs aux agriculteurs locaux a ainsi plus que doublé entre 1997 et 2007. Parallèlement, le nombre de marchés fermiers de proximité a plus que quadruplé de 1994 à 2011, au rythme d'un millier de plus chaque année. Enfin, le nombre d'écoles américaines directement approvisionnées par des fermes locales a quintuplé entre 2004 et 2009.
Des modèles sans doute appelés à durer
Acheter local, mais aussi louer, troquer, partager, échanger sans argent : ces nouvelles formes de consommation ne sont certes pas majoritaires, mais elles continuent de gagner rapidement du terrain et elles ont déjà modifié la façon de consommer. D'abord parce qu'elles constituent une réponse pragmatique à l'érosion du pouvoir d'achat, comme en témoigne l'essor rapide des achats d'occasion et des réseaux démonétisés (troc, échanges mutuels de services) dans les pays touchés par la crise.
Mais au-delà des crises, ces nouveaux comportements traduisent un changement d'aspirations dans la société. Depuis les années 90, les acheteurs montrent en effet qu'ils veulent être des « consom'acteurs » en effectuant des achats qui correspondent à leurs valeurs (dépenser moins, soutenir l'emploi de leur région, trouver une alimentation plus saine, etc...). En adhérant aujourd'hui à de nouveaux circuits d'approvisionnement, ils expriment aussi une volonté de s'émanciper en partie d'une grande distribution qui ne les satisfait plus totalement.
Enfin, ces multitudes d'échanges décentralisés et pragmatiques ne sont pas le fait de groupes marginaux : ils ont été adoptés par une bonne partie des classes moyennes et populaires, et ils sont ancrés dans l'utilisation d'Internet, des smartphones et des réseaux sociaux. Ce qui laisse à penser qu'ils sont amenés à durer.
Par Bénédicte Manier, auteur d'Un Million de révolutions tranquilles, Editions Les liens qui libèrent, 21 € (voir sur Amazon)