L'administration Biden est entrée en fonction avec la ferme intention d'inverser bon nombre des politiques mises en œuvre par sa prédécesseure. Le retour des États-Unis dans l'accord de 2015 limitant les activités nucléaires de l'Iran en échange d'un allègement des sanctions économiques figure au haut de cette liste. Un accord nucléaire signerait le retour du pétrole iranien sur le marché international, conduisant à un plafonnement des prix au moment où l'offre mondiale augmente. Toutefois, à court terme, aucun des deux pays ne veut faire le premier pas.
En 2018, Donald Trump a sorti les États-Unis de l'accord nucléaire avec l'Iran, officiellement Plan d'action global commun (PAGC), arguant qu'il pouvait obliger le pays à renoncer à son programme nucléaire par des sanctions plus sévères. L'ancien président américain a ciblé la capacité des banques iraniennes à effectuer des transactions internationales et a placé sur liste noire la banque centrale du pays ainsi que sa compagnie pétrolière nationale.
Depuis la révolution islamique de 1979, les États-Unis ont régulièrement imposé des sanctions à l'économie iranienne. Les premières sanctions visant le programme nucléaire iranien datent de 1995, et ont été décidées suite à une résolution des Nations Unies visant à empêcher le pays de fabriquer des armes atomiques.
Pour les Iraniens, les sanctions interdisant le commerce et les transactions financières ont provoqué une augmentation des prix à la consommation, compromis la sécurité des compagnies aériennes civiles du pays et réduit l'approvisionnement en équipements et traitements médicaux. Mais Washington n'avait pas prévu l'un des effets secondaires des sanctions de 2018. Les restrictions d'accès aux devises internationales imposées aux Iraniens ont créé un marché pour l'extraction de cryptodevises qui a saturé le réseau électrique iranien et entraîné des pannes de courant. En réponse, le président Hassan Rouhani a temporairement suspendu le minage des cryptodevises au niveau national jusqu'au 22 septembre 2021.
Absence de conformité
Le 23 février dernier, les autorités iraniennes ont prévenu l'instance intergouvernementale en charge de la surveillance des activités nucléaires, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), que le pays ne se conformerait plus au PAGC et ont commencé à restreindre les contrôles. L'Iran affirme que son programme d'enrichissement de l'uranium est destiné à des fins pacifiques.
À la veille de la reprise des négociations la semaine dernière à Vienne, l'AIEA a exprimé ses inquiétudes. L'absence de transparence, d'accès et de réponses « affecte sérieusement la capacité de l'Agence à fournir des assurances quant à la nature pacifique du programme nucléaire iranien », a écrit l'AIEA.
Depuis février, l'Iran a produit de l'uranium enrichi à 60%, proche de la pureté nécessaire à la fabrication d'armes nucléaires, selon un rapport de l'AIEA. L'uranium indiquant une concentration de 3 ou 4% d'isotope fissile 235U peut être utilisé pour alimenter les centrales nucléaires. L'uranium utilisable à des fins militaires doit être enrichi à 90%. Depuis que Donald Trump a retiré les États-Unis de l'accord en mai 2018, les réserves d'uranium iranien enrichi à 5% ont plus que doublé.
Les négociations de Vienne sur le nucléaire iranien ont pris fin le 2 juin avec l'engagement des diplomates à revenir cette semaine pour une sixième et dernière ronde. Selon Enrique Mora, négociateur en chef de l'Union européenne, les États-Unis et l'Iran doivent prendre des « décisions difficiles » qui pourraient s'avérer très impopulaires au niveau national.
Accidents ou sabotages
Ces discussions interviennent alors que les tensions autour du programme iranien d'enrichissement de l'uranium se sont intensifiées. L'Iran a accusé Israël d'une série d'initiatives visant à saboter son programme. Cela comprend l'assassinat de scientifiques travaillant sur le projet dont, récemment, le principal physicien iranien du nucléaire, Mohsen Fakhrizadeh, en novembre 2020. Depuis que les États-Unis se sont engagés à renégocier l'accord nucléaire avec l'Iran, Israël et l'Iran se sont mutuellement accusés d'une série d'incidents. Dernier en date, celui intervenu le 2 juin lorsque le plus grand navire de la marine iranienne en termes de tonnage a pris feu et coulé dans le golfe d'Oman. Le même jour, un incendie s'est déclaré dans une raffinerie de pétrole gouvernementale au sud de Téhéran.
Toute solution est compliquée par la politique au Moyen-Orient. Israël s'est opposé à la levée des sanctions contre l'Iran, tant qu'un accord portant à la fois sur les armes et sur le soutien aux conflits par adversaires interposés dans la région, n'aura pas été trouvé. Dans l'intervalle, Israël traverse sa propre tempête politique. La semaine dernière, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a été défié après quinze années au pouvoir, dont une partie sans discontinuer depuis 2009. Une coalition comprenant des nationalistes et des parties de la minorité arabe s'est formée avec pour seul point commun leur opposition à M. Netanyahou. À l'heure où nous écrivons ces lignes, la coalition travaille à la formation d'un gouvernement et le Parlement pourrait passer au vote le 9 juin, selon son président.
La fenêtre des élections présidentielles
Les États-Unis ont une incitation à court terme à obtenir des résultats. Le 18 juin, les Iraniens éliront un nouveau président à l'issue des deux mandats d'Hassan Rohani. Les autorités électorales iraniennes ont annoncé sept candidats à l'élection à partir d'une liste de 592 candidats. Cette liste, approuvée fin mai par le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, indique que le prochain président sera probablement un partisan de la ligne dure, opposé à un accord nucléaire et à tout nouvel engagement avec l'Occident.
Le principal candidat, Ebrahim Raisi, est un religieux et actuel chef du pouvoir judiciaire du pays. Selon l'agence de presse iranienne Fars, M. Raisi bénéficie du soutien de près des trois quarts des citoyens qui se rendront aux urnes.
Cependant, les sondages semblent indiquer qu'un choix limité aux partisans de la ligne dure entraînera un faible taux de participation. Près d'un tiers des 59 millions d'électeurs iraniens déclarent qu'ils n'ont pas l'intention de voter.
Des barils supplémentaires
Les marchés pétroliers internationaux sont très attentifs à la perspective d'une reprise des exportations iraniennes. On estime que 1,5 à 2 millions de barils par jour (bpj) de brut iranien sont exclus du marché en raison des sanctions. Si celles-ci devaient être levées, l'Iran serait à même de fournir au marché pétrolier entre 0,5 et 1 million de bpj.
La semaine dernière, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole et ses alliés (OPEP+) ont convenu de maintenir leur stratégie d'augmentation de l'offre jusqu'en juillet. Un an après que le cartel ait procédé à une réduction record de 9,7 millions de bpj en réponse à la paralysie des économies mondiales, les nations productrices ont collectivement décidé d'augmenter l'offre de plus de 2 millions de bpj ces trois prochains mois. Les prix du brut de Brent ont atteint 72,22 USD le baril, leur plus haut niveau depuis plus de deux ans, portant cette année la hausse à 27%.
Avec l'OPEP+ qui conserve des capacités de réserve, la Russie qui n'a pas retrouvé ses niveaux de production prépandémiques et l'industrie de schiste américain focalisée sur l'amélioration des bilans, ce qui lui permettrait potentiellement d'augmenter sa production plus tard dans l'année, le monde ne court aucun risque de pénurie de pétrole physique.
L'ensemble de ces facteurs limitant la hausse des prix, on s'attend à ce que les actifs liés au crédit et aux actions, ainsi que les devises des pays exportateurs de pétrole, tirent parti des cours actuels.
Le risque qui pèse sur ce scénario est que les intérêts concurrents au sein de l'OPEP+ soient exacerbés par un retour unilatéral de l'Iran sur les marchés pétroliers internationaux. L'Iran exporte déjà une certaine production, bien que de manière discrète. En effet, le fournisseur de données sur les matières premières S&P Global Platts estime que l'Iran a contourné les sanctions américaines en exportant cette année entre 400 000 et 900 000 barils de brut par jour vers la Chine.
Les membres de l'OPEP+ semblent s'accommoder de la hausse des cours et ne prévoient pas de retour de la production américaine de pétrole de schiste - ou du pétrole iranien - sur les marchés internationaux dans un avenir très proche. Le cartel a pour politique de réagir à la demande du marché plutôt que d'anticiper les changements, ce qui pourrait déclencher un décollage de courte durée des prix du pétrole.
« Il y aura toujours une bonne quantité d'offre pour répondre à la demande, mais nous devrons voir la demande avant que vous ne voyiez l'offre », a déclaré le 3 juin le ministre saoudien de l'énergie, le prince Abdulaziz bin Salman.
Compte tenu des réserves importantes et des capacités excédentaires de l'OPEP+, toute nouvelle hausse soutenue des cours pétroliers semble limitée. Les prix sont soutenus par les attentes du marché à l'égard d'une augmentation de la demande consécutive à la réouverture des économies. Les craintes des investisseurs concernant l'inflation les incitent également à soutenir les prix du pétrole en tant que couverture. Nous tablons sur un cours du baril de Brent entre 60 et 70 USD sur un horizon de douze mois.