La migration en Méditerranée et ses enseignements pour l’Europe

Les mouvements migratoires historiques et les histoires personnelles des réfugiés sont au cœur de recherches financées par l’UE pour aider les pays à gérer l’immigration.

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Par Horizon Publié le 3 août 2024 à 8h00
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migration-mediterrannee-europe-population-horizon - © Economie Matin

En juin 2007, une embarcation transportant 28 migrants a accosté sur une plage située à l’extrême sud de la Sicile, une île italienne.

Dans les effets personnels des personnes qui se sont lancées dans cette périlleuse traversée depuis l'Afrique, les sauveteurs bénévoles ont trouvé une Bible et un Coran, tous deux soulignés et incrustés de sel.

La Méditerranée: un aimant

Les textes religieux ont été intégrés à un projet financé par l'UE qui avait pour but d’archiver et de présenter les tentatives quotidiennes d'hommes, de femmes et d'enfants migrants sans papiers pour rejoindre l'Europe en traversant la mer Méditerranée via différents itinéraires. 

«Les journaux intimes, la correspondance et les divers effets retrouvés après les débarquements ou les naufrages ne sont pas seulement des documents personnels importants», a expliqué le professeur Matteo Al Kalak, historien à l'université de Modène et de Reggio d’Émilie en Italie. «Ils constituent aussi de précieuses sources pour retracer l’histoire de la migration contemporaine en Méditerranée.»

M. Al Kalak codirige le projet financé par l'UE. Intitulé ITHACA, le projet court jusqu'en 2025. Il est aussi dirigé par le docteur Maria Chiara Rioli, une autre historienne de l'Université de Modène et de Reggio d’Émilie.

L’objectif est d’aider les décideurs à gérer la migration régulière et irrégulière en s’appuyant sur des exemples historiques de mouvements de réfugiés vers ou en Europe.

L’UE cherche depuis une décennie à mieux gérer les arrivées de réfugiés. Leur nombre a grimpé à plus d’un million en 2015 (principalement via la Grèce), au moment de la guerre en Syrie et de la période d’instabilité qu’ont connu le Moyen-Orient et l’Afrique, provoquant une onde de choc politique dans toute l’Europe.

Bien qu’ils aient diminué depuis, les franchissements irréguliers des frontières avec UE en 2023 ont été les plus élevés depuis 2016 (soit environ 380 000), sous l’effet des arrivées via la région méditerranéenne. La question reste sensible sur le plan politique. 

Plus tôt en 2024, les gouvernements de l'UE et le Parlement européen ont mis un terme à des années de débat en concluant un accord sur la gestion des arrivées irrégulières par le biais d’un nouveau système commun d'asile.

«Si l’on examine les flux migratoires en Europe et les réponses politiques apportées, il semblerait que nous soyons toujours dans l’urgence et que nous ne puissions nous appuyer que sur une perspective historique très limitée», a déclaré M. Al Kalak. «Le projet ITHACA a pour vocation initiale de déterminer comment l’histoire peut nous aider à éviter une telle situation.»

Du passé au présent

Le Coran et la Bible retrouvés sur l’embarcation des migrants qui a accosté en Sicile feront partie de ce travail. Les archives numériques d’ITHACA réuniront des effets et des témoignages de migrants qui ont rallié l’Europe. 

M. Al Kalak et Mme Rioli ont réuni 11 partenaires, pour la plupart issus du pourtour méditerranéen, afin de constituer des archives numériques retraçant les différentes formes et itinéraires de migration dans la région.

Les archives ainsi prévues seront accessibles aux chercheurs, aux praticiens et aux décideurs, qui pourront accéder à des informations sur les migrations qui ont eu lieu du Moyen Âge à nos jours.

Au total, 18 pays d'Europe, d'Afrique, du Moyen-Orient et d'Eurasie participent au projet. Parmi eux figurent la Tunisie et le Maroc, deux principaux points de départ d’Afrique du Nord pour les réfugiés se rendant dans l’UE.

Un des premiers exemples historiques qui figurera dans les archives est l’arrivée de marchands juifs dans la ville portuaire italienne de Livourne dès 1492, suite à leur expulsion d’Espagne et du Portugal. 

À Livourne, les Juifs ont trouvé un lieu sans danger dans lequel ils ont pu s’installer et faire des affaires dans la finance et dans le commerce de produits de luxe, notamment de diamants. En deux siècles, la population juive de la ville a ainsi atteint 4 000 personnes, soit un dixième de la population de la ville. 

Pour Mme Rioli, ce cas montre de quelle façon des migrants ayant traversé la Méditerranée ont été accueillis et intégrés dans une nouvelle ville. 

L’exemple contemporain de l'île italienne de Lampedusa figurera lui aussi dans les archives.

Ces dernières années, Lampedusa est devenue un point d'arrivée régulier pour les réfugiés arrivant d’Afrique du Nord par la mer. Son cas a été largement traité dans les médias.

Toutefois, selon Mme Rioli, le contexte des flux migratoires à destination de l’île, située à l’est de la Tunisie et au nord de la Libye, est mal compris.

«Trop souvent, on se concentre sur les phases de migration et sur la crise des réfugiés», a-t-elle déclaré. «Toutefois, l'approche consistant à passer d'une crise à l'autre ne permet pas d’avoir une compréhension plus complexe et nuancée des événements qui ont eu lieu en amont de ces crises et entre elles.»

M. Al Kalak a déclaré que des exemples tirés de l’histoire de l’Europe peuvent inspirer la future stratégie de l'UE.

«Nous devons essayer de tirer des leçons de l’histoire avant d’élaborer une politique et de décider d’une approche», a-t-il déclaré. «Nous pouvons tirer parti de ces perspectives historiques.»

Dialogue direct 

En Belgique, Michel Debruyne, un autre chercheur européen, vise le même résultat que M. Al Kalak et Mme Rioli mais utilise une approche différente.

M. Debruyne est à la tête d’un projet financé par l’UE dont l’objectif déclaré est de «rouvrir un dialogue équilibré sur la migration». Intitulé OPPORTUNITIES, le projet d’une durée de quatre ans s’achèvera début 2025.


M. Debruyne est conseiller principal auprès de Beweging, une organisation belge à but non lucratif qui soutient l'intégration des réfugiés en favorisant la communication entre les groupes communautaires et eux. 

Depuis la crise des réfugiés qui a secoué l’Europe en 2015, il cherche à faire en sorte que les migrants puissent participer au débat. 

«Le débat sur la migration est devenu vraiment unilatéral. Il réduit les individus et leurs histoires à de simples chiffres, sans voir les personnes qui sont derrière, et sans rien dire sur les raisons qui les ont poussées à migrer ou sur ce qu’elles apportent», a ajouté M. Debruyne.

Au-delà des gros titres

Le projet OPPORTUNITIES a créé des forums de «discussions croisées».

Ces forums ont pour but d’aller plus loin que les unes de journaux en mettant les migrants en contact avec les membres de la communauté locale, notamment avec la population générale, les dirigeants et les journalistes. 

Chaque session réunit généralement une quinzaine de personnes et commence par le récit de l’histoire d’un migrant, recueillie par les partenaires du projet. 

M. Debruyne décrit cette démarche comme une sorte d’exercice théâtral qui peut aider les participants à se mettre à la place des autres et à réfléchir de façon plus profonde à l’intégration, en dehors des débats enflammés.

À l’honneur 

Parmi les histoires racontées, figurait celle d'un Sénégalais vivant à Bruxelles. Elle évoquait notamment le caractère multilingue de la Belgique, qui a accueilli et intégré de nombreux migrants au cours des dernières années. 

M. Debruyne a toutefois raconté comment le jeune homme de 27 ans a essuyé un refus lorsqu’il a demandé à l'État belge à bénéficier de cours de flamand pour augmenter ses chances de trouver du travail dans la région non francophone du pays. 

«Cela en dit long sur l’intégration», a déclaré M. Debruyne. «Souvent, les gens veulent travailler et s’intégrer mais se heurtent à des problèmes administratifs.» 

D’autres histoires racontées dans le cadre de discussions croisées ont abordé des questions de migration plus controversées, telles que l’accès au logement. Pour M. Debruyne, ces histoires mettent parfois en évidence des problèmes sociétaux bien plus vastes. 

«Dans notre pays, nous devons investir davantage dans le logement», a-t-il déclaré. «Bien souvent, les problèmes ne sont pas au niveau de la migration, mais plutôt de l’investissement social.» 

Au total, plus de 200 histoires ont été recueillies par les partenaires du projet OPPORTUNITIES en Autriche, France, Italie, Portugal et Roumanie, ainsi que dans trois pays d’Afrique: la Mauritanie, le Ghana et le Sénégal.

À l’automne 2024, la compagnie théâtrale belge KVS présentera une pièce basée sur les histoires recueillies et sur des discussions croisées. Une représentation de KVS donnée en Belgique sera suivie de tournées européennes et africaines.

«J’ai l’espoir que le projet et la pièce recréent une société plus ouverte dans laquelle nous nous accueillerons volontiers les uns les autres», a conclu M. Debruyne.

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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