La résilience des marchés émergents génère des opportunités

De nombreux pays émergents vont à contre-courant des tendances historiques. Au lieu de friser l’instabilité financière suite au ralentissement conjoncturel aux États-Unis et en Europe, certains semblent raisonnablement résistants grâce à la réouverture de l’économie chinoise, à l’affaiblissement du dollar américain et au ralentissement de l’inflation. Pour les investisseurs internationaux, il peut s’avérer intéressant de suivre de près les actifs financiers émergents.

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Par Stéphane Monier Publié le 15 février 2023 à 5h51
Chine Croissance économique
@pexels - © Economie Matin
3%La croissance chinoise a été de 3% en 2022

Ces trois dernières années, la pandémie a affecté toutes les économies, bien que de manière inégale. Alors que les effets du Covid sur la santé publique se sont atténués en 2022, la guerre en Ukraine et l'augmentation de la demande en biens et services ont provoqué une hausse des prix des denrées alimentaires et de l'énergie. Ces tensions ont été exacerbées par la lenteur de la croissance chinoise. Les conséquences ont été particulièrement douloureuses pour les économies d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie, où l'alimentation et le carburant représentent une part plus importante des dépenses des ménages que dans la plupart des pays développés. L'appréciation du dollar américain ayant intensifié les pressions inflationnistes sur les exportateurs émergents, les banques centrales ont réagi partout en augmentant les taux d'intérêt.

Alors qu'en 2022, les pays émergents ont subi toute une série de chocs économiques, ces marchés, du Brésil à l'Inde en passant par la Corée du Sud et Taïwan, sont désormais bien positionnés pour croître en 2023. L'inflation reste certes élevée, mais elle a probablement culminé, et les économies asiatiques bénéficient de manière disproportionnée de la réouverture de la Chine. Le dollar américain faiblit et l'inflation ralentit dans un contexte de baisse de la demande aux États-Unis et en Europe, et de diminution des prix de l'énergie. Les perspectives des marchés émergents semblent désormais plus saines que celles des économies développées. Cela dit, les conditions économiques ne sont pas encore retournées à la normale, même si le pire semble derrière nous.

Des fondamentaux solides

Les principaux changements concernent la Chine. En 2022, le pays a enregistré sa plus faible croissance du PIB depuis des décennies – à 3% – si l'on exclut le marasme lié à la pandémie de 2020. La plupart des facteurs qui ont mis à mal sa croissance, notamment la réglementation sévère à l'encontre des entreprises technologiques, les turbulences du secteur immobilier, la politique zéro Covid et une population mal protégée du virus, sont en train de s'inverser. Un budget favorable au marché devrait offrir un nouvel élan à l'Inde, et l'économie du Brésil, sous son actuel gouvernement, pourrait bénéficier de baisses de taux d'intérêt dès le deuxième trimestre 2023.

La réouverture de la Chine n'est pas le seul facteur impactant les marchés émergents. Le pire des pressions exercées par les prix élevés de l'énergie est derrière eux. Bien que les marchés émergents soient constitués d'un mélange d'importateurs et d'exportateurs nets d'énergie, la baisse des prix du pétrole soutient les deux principales économies que sont la Chine et l'Inde, mais porte préjudice aux pays producteurs tels que le Brésil. Le cours du Brent reste élevé, mais il est passé d'un pic de près de 128 USD/baril en mars 2022 à autour de 85 USD/baril actuellement.

Les fondamentaux économiques sont également plus solides comparativement aux ralentissements conjoncturels précédents. Une partie plus importante de la dette est libellée en monnaies locales, et les marchés financiers de ces économies se sont renforcés. Grâce à la réduction de leurs déficits de la balance courante et à l'augmentation de leurs réserves en devises étrangères, de nombreux pays émergents affichent désormais des monnaies nationales plus fortes. La Chine est responsable d'une part importante de l'augmentation des réserves en devises, estimée à 3 000 milliards de dollars, tandis que l'Inde et le Brésil détiennent ensemble près de 1 000 milliards de dollars supplémentaires.

L'effet Chine

En outre, le processus de réouverture qui donne un élan national à l'économie chinoise devrait s'avérer plus durable que dans la plupart des marchés développés en 2021. Les confinements stricts décrétés par la Chine n'ont pas été accompagnés des aides sociales et des mesures de protection de l'emploi qui en ont amorti l'impact financier sur les ménages d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord. Compte tenu du recul de l'épargne des ménages, l'augmentation de la demande des consommateurs chinois pourrait s'avérer à la fois plus modérée et plus durable.

La reprise du tourisme devrait également contribuer à la croissance économique à long terme. En 2019, avant la pandémie, les touristes chinois ont enregistré 155 millions de visites à l'extérieur du pays et ont dépensé un montant estimé à 253 milliards USD. Leur nombre pourrait atteindre 110 millions en 2023. Une grande partie de cette augmentation pourrait ne pas se matérialiser avant la seconde moitié de 2023, mais devrait donner un élan durable aux destinations telles que Hong Kong, la Thaïlande ou le Japon.

Si la croissance de la demande chinoise constitue un élément positif pour les exportateurs émergents, depuis la pandémie, il en va de même de la tendance au « friend-shoring », cette priorité donnée aux pays dits amis en matière d'approvisionnement. Les goulets d'étranglement provoqués par le Covid ont encouragé les entreprises internationales à diversifier leur logistique, ce qui se traduit en grande partie par une moindre dépendance à l'égard des sources de fabrication chinoises et devrait offrir à des pays comme Taïwan, le Vietnam et le Mexique une part plus importante des flux commerciaux mondiaux.

Préférences en matière d'investissement

En termes de régions, nous pensons que l'Asie du Sud, l'Inde y compris, bénéficiera du meilleur potentiel de croissance à long terme, tandis qu'en Amérique latine et en Europe de l'Est, la croissance reste plus incertaine. Les perspectives générales concernant les actifs émergents se sont améliorées parallèlement à cette embellie des perspectives économiques. Toutefois, même dans ce cas, nous ajustons peu à peu nos allocations et nous attendons que l'amélioration des conditions se confirme.

Ainsi, nous restons prudents à l'égard des obligations des pays émergents libellées en devises fortes, car nous pensons que leurs spreads de crédit ne compensent pas entièrement le risque de récession économique. Bien que les spreads se soient écartés en 2022, ils sont désormais plus resserrés que lors des récessions passées, et nous ne pouvons pas exclure le risque que les banques centrales maintiennent une politique monétaire restrictive pendant trop longtemps. Dans ces circonstances, nous préférons le crédit émergent aux obligations gouvernementales, le premier offrant généralement de meilleurs fondamentaux de crédit et des maturités moyennes plus courtes. Au plan local, les taux d'intérêt nationaux ont considérablement augmenté sur les marchés émergents au cours des douze derniers mois. En ce moment, certains marchés, comme le Brésil, offrent des opportunités de portage attractives, en termes absolus et relatifs, et les taux d'intérêt nominaux et réels sont élevés. Enfin, nous anticipons un cycle de baisse des taux plus tard dans l'année.

Outre notre préférence de longue date pour les actions chinoises, nous avons augmenté en janvier notre allocation aux valeurs émergentes, car une forte reprise des bénéfices devrait ouvrir la voie à des rendements attractifs en 2023 (voir graphique 2). Bien que leurs valorisations ne soient pas élevées, nous ne nous attendons pas à ce qu'une hausse de celles-ci génère des rendements significatifs.

En Asie, l'industrie des semi-conducteurs peut être un indicateur utile du rebond de la croissance économique, car ils sont indispensables à un grand nombre de biens. Les exportations de semi-conducteurs continuent de décliner, mais nous prévoyons un retournement de situation dès que les tensions récessives s'estomperont et que les stocks diminueront.

L'amélioration des perspectives devrait soutenir un redressement des monnaies émergentes par rapport au dollar américain. La croissance de la Chine stimulera ses fournisseurs d'Asie et d'Amérique latine, et la baisse du prix du gaz naturel s'avérera positive pour les devises d'Europe centrale. Dans l'ensemble, nous avons une préférence pour des devises telles que la roupie indonésienne, le peso chilien et le forint hongrois, tandis que nous restons plus prudents sur le yuan chinois, la roupie indienne et le rand sud-africain.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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