EXTRAITS – Jeff Bezos, Genèse d’un géant de l’entreprenariat

Extraits du livre « Jeff Bezos – D’Amazon à la conquête de l’espace », de Luc Mary aux éditions l’Archipel

« Il est plus facile d’inventer le futur que de le prédire ». Alan Kay

Photo Luc Mary
Par Luc Mary Publié le 25 mars 2023 à 14h19
Jeff Bezos Livre Luc Mary
EXTRAITS – Jeff Bezos, Genèse d’un géant de l’entreprenariat - © Economie Matin
120 MILLIARDS $La fortune de Jeff Bezos est estimée à plus de 120 milliards de dollars en mars 2023.

La vie de Jeff Bezos, ou la chronique d’un destin singulier ponctué de défis prométhéens. Amazon et Blue Origin sont les deux piliers de son existence professionnelle. Quand l’un jongle avec l’infiniment petit pour transformer notre globe en une vaste « maison jaune », l’autre lorgne vers l’infiniment grand et rêve de déplacer l’humanité hors de la planète bleue.

Derrière le masque de l’homme le plus riche du monde, le visage d’un enfant abandonné puis adopté. Loin d’être né avec une cuiller d’argent dans la bouche, l’homme qui vaut 200 milliards de dollars est avant tout un entrepreneur qui croit non seulement en son avenir, mais en celui de l’humanité. Sa réussite insensée, il la doit bien sûr à son immense talent, mais surtout à une détermination sans faille et à son sens inné du futur. Plus que tout autre, à l’exception d’Elon Musk, Jeff Bezos a pressenti l’expansion d’Internet et parié sur Google 1, Airbnb et le tourisme spatial de
masse.
Cette intuition de l’avenir, peut-être la doit-il à son environnement social et géographique. Ayant grandi entre Los Alamos et Roswell, deux villes chargées de mystère et alimentant bien des fantasmes, le jeune Jeff se dope à la science-fiction, se nourrissant quotidiennement des récits d’Arthur C. Clarke, d’Isaac Asimov ou de Robert Heinlein. Quand Los Alamos reste connue pour ses labos d’expérience scientifique sur la bombe atomique (dans le cadre du projet Manhattan, en 1945), Roswell aurait été, d’après certains témoignages, le théâtre d’un impensable crash d’ovni en 1947. Passionné par la conquête spatiale depuis sa tendre enfance, féru de technologie high-tech et doué d’un esprit compétitif à toute épreuve, Bezos est une bête à concours. Le temps de ses études se confond avec celui de sa réussite.

Enchaînant les succès et décrochant titres et brevets à foison, diplômé en génie électrique et en informatique, l’homme qui veut gravir les montagnes de la célébrité installe sa première start-up dans son garage à Seattle, avec le soutien indéfectible de ses parents. Il est alors âgé de trente et un ans. Baptisée « Amazon », cette société se propose de vendre des livres en ligne. Une idée saugrenue ? Quatre ans plus tard, en 1998, Bezos vend 57 000 ouvrages par jour. L’année suivante, le pionnier de l’Internet marchand devient milliardaire. C’est le début d’une irrésistible ascension…

Bezos avant Bezos

12 janvier 1964. Moins de deux mois après l’assassinat du président Kennedy au Texas, un certain Jeffrey Preston Jorgensen voit le jour au Nouveau-Mexique, dans la banlieue d’Albuquerque. Le nouveau-né ne porte pas encore le nom de Bezos. Et pour cause : son père, Theodore John Jorgensen, est un artiste raté, un homme ruiné et ravagé par l’alcool. Au terme d’un an et demi de cohabitation, en juin 1965, sa compagne le met carrément à la porte, alors que son enfant est à peine âgé de dix-sept mois. Après la séparation, la jeune femme se réfugie chez ses parents avec son enfant, à Sandia Base, au sud-ouest d’Albuquerque. Son ex-mari doit lui verser une pension alimentaire de 40 dollars par mois : une somme astronomique au regard du faible salaire de cet artiste de cirque, champion de monocycle de son état, mais une aubaine pour Jackie, si démunie qu’elle n’a même pas le téléphone. Jeff ne connaîtra jamais son père biologique. La dernière fois qu’il l’a vu, il avait tout juste trois ans. La mère de Jeff, une jeune et pimpante brunette prénommée Jackie – Jacklyn Gise de son nom véritable –, ne tarde pas à rencontrer un autre homme : Miguel Bezos. Et c’est le bon ! D’origine cubaine, Miguel a fui le régime de Castro en 1962. Lorsqu’il est arrivé aux États-Unis, seul et âgé de seize ans, il ne connaissait qu’un mot d’anglais : hamburger. En 1968, l’année de son mariage avec Jackie, il devient ingénieur pétrolier après avoir suivi des cours à l’université du Nouveau-Mexique. Il ne s’oppose nullement à l’adoption du rejeton. De sorte qu’à l’âge de quatre ans, Jeff Jorgensen devient officiellement Jeff Bezos.

Nous sommes en 1968, l’une des pires années dans l’histoire moderne des États-Unis. Tandis que l’armée américaine s’enlise au Viêtnam, que Robert Kennedy et Martin Luther King tombent sous les balles de leurs assassins, que des émeutes raciales éclatent à Chicago, d’aucuns trouvent une échappatoire en regardant vers les étoiles. Car, en cette année tourmentée, les missions Apollo battent leur plein, et la conquête de la Lune est au coeur de toutes les conversations. L’année suivante, le 21 juillet 1969, Armstrong et Aldrin posent le pied sur notre satellite. Des pas gravés dans l’éternité et qui résonnent déjà dans la tête du petit Jeff, un enfant bercé par les étoiles, amateur de science-fiction et nourri d’idées avant-gardistes et de gadgets en tout genre.

Un enfant adopté, bricoleur et surdoué

Aux dires de ses proches, dès qu’il voit une machine, ce gamin curieux de tout ne peut s’empêcher de la démonter pour en comprendre le fonctionnement. Appareils de cuisine, jouets électroniques, moteurs de bateaux, tout y passe. Jeff s’empresse ensuite de construire de nouvelles machines, par exemple une ébauche de cuisinière fonctionnant à l’énergie solaire, à l’aide d’un simple parapluie et de papier aluminium. Selon Jackie, loin de s’extasier béatement devant les manèges des parcs d’attractions, il s’intéresse avec passion aux mécanismes, aux poulies et aux câbles. Même son berceau n’a pas résisté à sa créativité : dès l’âge de trois ans, équipé d’un simple tournevis, Jeff parvient à l’agrandir en démontant les barreaux. Sa curiosité à l’égard du monde qui l’entoure est en effet très précoce…

S’adaptant à toutes les situations, l’enfant fabrique même une alarme pour empêcher son frère et sa soeur, Mark et Christina, tous deux ses cadets, d’entrer dans sa chambre comme bon leur semble. « Je piégeais constamment la maison avec diverses sortes d’alarmes, dont certaines n’émettaient pas seulement des sons mais déclenchaient de véritables mécanismes physiques, raconte Bezos. Je pense que cela a dû parfois inquiéter mes parents. Ils avaient peur d’ouvrir la porte et de voir 15 kg de clous leur tomber sur la tête, ou quelque chose du genre. » Quand il n’est pas absorbé par ses livres de science-fiction ou par le feuilleton Star Trek, qu’il visionne tous les jours sur le petit écran, l’adolescent passe le plus clair de son temps dans le garage de ses parents, où il expérimente à souhait ses jouets technologiques derniers-nés.

À l’âge de neuf ans, ce bricoleur hors pair doublé d’un inventeur génial impressionne ses camarades en se branchant sur un vieil ordinateur à partir d’un téléscripteur. Il programme ensuite un jeu vidéo dont le thème n’est autre que Star Trek, série télévisée de science-fiction qui l’obsède encore à l’âge adulte. Par ailleurs, Jeff se montre d’autant plus brillant qu’il se sent soutenu par son milieu familial. Loin de s’inquiéter de son énergie créatrice, ses parents mais aussi ses grands-parents l’encouragent dans ce sens.

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