L’IA et immortalité

Le philosophe et sociologue allemand, Hartmut Rosa parle de « compression du présent », de « famine temporelle », où le temps serait comparable à une matière première consommable telle que le pétrole, par conséquent rare et cher. Par accélération technique, il entend accroissement de la quantité par unité de temps.

De manière empirique, on observe que le temps semble s’accélérer dans au moins trois domaines : la technique, le rythme de vie et enfin, le changement social et sociétal. D’ailleurs, Max Weber, théoricien de l’éthique contemporaine, déclare dès 1905 que, dans l’esprit du capitaliste, la perte de temps est « le plus mortel de tous les péchés ». […]

Perversion ultime permise par l’IA, les Deathbots permettent la création d’un avatar conversationnel conçu de toute pièce (ce qu’on appelle un deepfake), pour rester en présence d’une personne défunte. L’avatar est un clone virtuel de la personne défunte, nourri de souvenirs et de données personnelles et prétend représenter la mémoire post- mortem de la personne. Le deathbot crée l’illusion de la présence de la personne, au risque de déformer l’être même de celle-ci, et enferme l’utilisateur dans un présent sans fin. La “dé- corporéité” de nos êtres menace : nous sortirions de nos corps par nos interactions par avatar, par la numérisation de nos souvenirs et activités neuronales.

Un élément qui éclaire l’histoire personnelle de l’ingénieur emblématique de Google et dirigeant d’Alcor Life Extension Foundation, société spécialisée en cryogénation, Ray Kurzweil au regard de sa poursuite de l’immortalité est le suivant : Ray perd son père, chef d’orchestre autrichien ayant fui le nazisme, de mort subite, alors qu’il n’a que quinze ans. Dans l’espoir de redonner vie à son père, il garde alors tous les documents, photographies, films, voix, partitions et enregistrements musicaux de son père. Cet inventeur génial, à qui l’on doit des avancées en téléphonie cellulaire, en scanner, reconnaissance vocale et reconnaissance de texte pour les aveugles, attend depuis lors que la technologie fasse revivre son défunt père.

Le sarcophage Sarco du médecin australien et fondateur de l’organisation Exit International, Philip Nitschske, qui est une capsule de mort pour personnes désireuses de se suicider, fut lancé en 2017 en Suisse. Depuis lors, les améliorations apportées à la troisième version par Dr Death sont nombreuses : fabriquée par des imprimantes 3D, Sarco est maintenant doté d’algorithmes pour prendre une décision de mise en marche du système d’émission de nitrogène qui donne la mort en quelques minutes, sur la base de trois questions : « Qui es-tu ? Où es-tu ? Et sais-tu ce qui va se passer quand tu appuieras sur ce bouton ? »

Par l’IA qui ouvre tous les champs de la vie humaine, tout “rétrécissement” du temps et de l’espace qui se virtualise devient acceptable. Le jaillissement de vie est maîtrisé, choisi et provoqué par la sélection et la modification du génome, l’utérus artificiel puis par l’euthanasie pour gérer la “sortie” du monde physique et rejoindre un monde virtuel par le téléchargement de la conscience.

En matière de neuro-augmentation et interfaçage cerveau-machine, le désir d’hybridation n’est plus de l’ordre de la science-fiction : la création de nouvelles espèces humaines hybridées, mi-homme, mi- machine, dotées de capacités cognitives hors normes supérieurement intelligentes et concentrées et qui ne dorment jamais semble proche, car la prosthétique, les interfaces cerveau- machine et la neuro- augmentation avancent à grand pas.

EXTRAITS du livre "IA Maître du Temps" de Laetitia Pouliquen.
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