Intelligence artificielle : quelle place pour l’homme dans la création ?

Extrait du livre de Fabrice Zerah, avec Laure de Charette : Tech ou Toc ? ChatGPT, Métavers, cryptomonnaies, NFT : les nouvelles technologies passées au crible, éditions l’Arpichel.

Fabrice Zerah, Ceo Ubi Solutions. Photo © Benjamin Boccas
Par Fabrice Zerah Publié le 9 mars 2024 à 16h00
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Intelligence artificielle : quelle place pour l’homme dans la création ? - © Economie Matin
52 %La Chine représente 52 % des dépôts de brevet dans l'IA

La place de l’homme dans la création de l'intelligence artificielle (IA)

Nous aurons toujours besoin des hommes, de leur créativité, de leurs idées, de leur vision, de leur leadership. Eux seuls peuvent créer de la cohésion dans une équipe, définir une stratégie d’innovation spécifique, imaginer de nouveaux besoins, services et produits. Le génie créatif restera l’apanage de l’homme, j’en suis convaincu. Celui de l’artiste, aussi. Mais il aura fort à faire pour défendre sa place dans les processus de création...

ALERTE AU TOC

Même si le refrain de « I Feel It Coming » chanté, si l’on peut dire, par feu Michael Jackson me reste en tête et que je trouve cette version magnifique, je pense que l’art ne peut pas être créé uniquement par une machine. Les scénaristes de Hollywood ne s’y trompent pas : ils ont fait grève de mai à septembre 2023, chose suffisamment rare pour être soulignée, pour leurs salaires mais aussi parce qu’ils craignent que l’intelligence artificielle ne les remplace, dans une industrie davantage intéressée par le dollar que par l’art. « Que va devenir l’homme dans la création ? » demandent-ils, à juste titre. Le syndicat Writers Guild of America (WGA) veut notamment empêcher que les scénarios écrits par ses membres puissent être utilisés pour entraîner une IA. Pour l’heure, je trouve que la loi ne protège pas assez les droits de nos auteurs, qui sont largement pillés par l’IA pour générer de nouvelles « œuvres » dont les retombées économiques leur échappent totalement. Ils n’ont, par ailleurs, aucun moyen de savoir si leurs travaux ont été utilisés par une entreprise spécialisée dans l’IA. Nos juristes et nos autorités doivent se pencher de près sur cette question cruciale de la propriété intellectuelle afin de mieux protéger nos artistes et, de manière plus large, tous les créateurs de contenus. Je pense notamment à la presse, qui devra à nouveau s’adapter et se réinventer. Là où Google fournit à l’internaute en quête d’informations un lien vers le site internet du Figaro, par exemple, et rémunère l’éditeur en conséquence, ChatGPT récupère le contenu de l’ensemble des articles mis en ligne par ce grand journal, sans aucune contrepartie financière ni contrainte légale.

Avec l’intelligence artificielle, monsieur Tout-le-Monde pourra de surcroît créer des œuvres chez lui grâce à l’IA en trois clics. Certaines seront de qualité, mais la plupart ne le seront pas, c’est évident. Or, nous sommes déjà saturés de contenus. Nous passons parfois plus de temps à chercher ce que nous allons regarder ou écouter – sur Netflix, YouTube ou Spotify, qui propose à lui tout seul 80.000 nouveaux titres chaque jour ! – qu’à profiter du contenu proposé. Or l’IA multipliera par dix le nombre de contenus disponibles.

En outre, il sera bientôt terriblement difficile pour un œil amateur non averti de distinguer une toile de maître d’un tableau peint par l’intelligence artificielle en deux nanosecondes, un morceau de musique composé par un artiste d’un tube généré par une IA. Après les « fake news », nous allons entrer dans l’ère du « fake art ». À l’image de cet ingénieur et Youtubeur français qui est parvenu à faire chanter « Hier encore » de Charles Aznavour à Emmanuel Macron. Le « fake art » accessible à tous...

Fabrice Zerah, livre, Tech Ou Toc

La France et l’IA, un rendez-vous manqué

À l’automne 2023, Stanislas Guerini, ministre de la Fonction publique, a annoncé le déploiement d’un ChatGPT du service public pour aider les fonctionnaires à répondre aux questions des usagers. Las, la technologie utilisée pour cette IA du service public est celle d’Anthropic, une société américaine dans laquelle Amazon a investi. Comment en sommes-nous arrivés là ?

En 2018, le président Macron, tout juste élu, voulait faire de la France l’un des leaders en matière d’intelligence artificielle. « Nous avons les talents, nous avons tout pour relever le défi de l’IA », assurait-il, en prenant soin de rappeler que le Sud-Coréen Samsung allait installer à Paris son troisième plus grand centre de recherche consacré à l’intelligence artificielle au monde et que le groupe informatique américain IBM s’apprêtait à recruter 400 experts en intelligence artificielle dans l’Hexagone. Le chef de l’État avait demandé à l’un des députés de son mouvement, Cédric Villani, mathématicien lauréat de la prestigieuse médaille Fields, de lui remettre un rapport sur le sujet, signe d’une possible ambition tricolore en la matière. J’étais tout ouïe, impatient de découvrir l’ampleur de l’investissement que mon pays allait consacrer à cette technologie révolutionnaire.

ALERTE AU TOC

Patatras ! Lorsque j’ai découvert dans la presse qu’il dotait son fameux « Plan intelligence artificielle » d’une enveloppe de 1,5 milliard d’euros sur quatre ans (2018- 2022), j’ai compris que les moyens dévolus à l’IA en France resteraient dérisoires... Un milliard et demi, pour un pays comme le nôtre, c’est grotesque. Microsoft, à elle toute seule, en investit 10 milliards ! C’est comme si le chef de l’État nous annonçait un grand « plan Santé » à mille euros. Depuis, l’État a présenté la deuxième phase de sa stratégie nationale pour l’IA (2021-2025), avec un budget de 1,5 milliard d’euros de financements publics et 506 millions d’euros de cofinancements privés. À ce rythme, comment rattraper les États-Unis et la Chine ? L’Empire du Milieu représente 52 % des dépôts de brevet dans l’IA, les États-Unis sont deuxièmes avec 17 % et l’Europe (incluant le Royaume-Uni) pointe à un dramatique 4 %. C’est bien simple : selon le Financial Times, les start-up européennes (plus celles du Royaume-Uni et d’Israël) spécialisées dans l’IA n’ont levé que 4 milliards de dollars au premier semestre 2023 versus 25 milliards de dollars pour les start-up américaines. De quoi faire ChatGPetit.

Je vous mets au défi de trouver des entreprises françaises ou même européennes qui soient leaders sur un sujet d’avenir lié à l’IA, qu’il s’agisse des robots conversationnels comme ChatGPT ou de véhicules autonomes. Sur les treize licornes répertoriées dans l’IA générative type ChatGPT (ces entreprises valorisées plus d’un milliard de dollars), aucune n’est européenne. Pourtant en France, dans les années 1980, nous étions à la pointe dans les secteurs clés du nucléaire, du militaire, du transport ferroviaire et de l’aéronautique. Désormais, nous excellons dans le luxe et les cosmétiques. C’est bien mais LVMH et L’Oréal n’aident en rien la France à s’imposer sur l’échiquier géostratégique et technologique mondial. Nous devons impérativement investir dans les nouvelles technologies en général, et dans l’intelligence artificielle en particulier !

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Fabrice Zerah, Ceo Ubi Solutions. Photo © Benjamin Boccas

Fabrice Zerah connaît un vif succès au début des années 2010 en développant la technologie RFID avec sa société, Ubi Solutions. Depuis 2023, il anime, en partenariat avec le magazine Forbes, l’émission « Le Rendez-vous de la Tech ». Il est l’auteur de l’ouvrage Du chômage à la French Tech. Réussir en France sans diplôme, sans argent, sans réseau (éd. François Bourin, 2018), Tech ou Toc : Metavers, IA, Chat GPT, NFT : les nouvelles technologies au banc d'essai (éditions l'Archipel 2024)

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