Guerre Israël-Hamas : quels conséquences pour les investisseurs ?

Le futur impact des tragiques événements survenus en Israël et à Gaza sur les marchés dépendra en grande partie de l’éventuelle escalade du conflit et de ses répercussions sur la production mondiale de pétrole. Au-delà du terrible bilan humain du conflit, les actifs financiers n’ont, jusqu’à présent, pas réagi de manière alarmante aux événements survenus depuis le 7 octobre, mais la volatilité géopolitique exige une surveillance étroite.

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Par Samy Chaar Publié le 27 octobre 2023 à 5h00
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Guerre Israël-Hamas : quels conséquences pour les investisseurs ? - © Economie Matin
404 MILLIARDS $En 2021, le PIB de l’Égypte était de 404 milliards de dollars.

La réaction des actifs refuges traditionnels, qui sont généralement les premiers à bondir en réponse aux crises géopolitiques majeures, n’a pas été uniforme. Les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans n’ont que marginalement augmenté. Le dollar américain reste pratiquement inchangé par rapport à un panier de devises, reculant légèrement par rapport au franc suisse ; ce dernier a aussi augmenté dans une certaine mesure par rapport à l'euro. L’or a enregistré une hausse plus significative d’environ 8% en USD.

Pour les marchés financiers, la suite dépendra d’une éventuelle escalade du conflit et de l’apparition de perturbations majeures dans l’approvisionnement énergétique du Moyen-Orient vers le reste du monde. Nous nous attendons à ce que le conflit reste localisé, toutefois le risque d’escalade demeure élevé et nous continuons à suivre la situation de très près.

La diplomatie régionale, y compris le processus de normalisation des relations entre Israël et les États arabes et l’extension des accords d’Abraham, semble actuellement au point mort. Pour l’économie israélienne, les perturbations dans les dépenses de consommation, les échanges commerciaux et le marché du travail devraient entraîner une contraction d’environ 1 à 1,5% au quatrième trimestre[1]. Néanmoins, le pays peut maintenir la stabilité de son marché financier avec des réserves de change de 199 milliards d’USD, soit 38 % de son produit intérieur brut (PIB) nominal en 2022. La solidité de ses comptes extérieurs est le résultat de deux décennies d’excédents courants et d’une politique macroéconomique rigoureuse.

Les économies régionales et les marchés boursiers seront bien évidemment affectés par les événements sur le terrain. L’économie israélienne, d’une valeur de 490 milliards USD, pèse plus lourd que celles de ses voisins immédiats : en 2021, le PIB de l’Égypte était de 404 milliards USD, celui de la Jordanie de 45 milliards USD, celui du Liban de 23 milliards USD et celui de la Syrie de 11 milliards USD. Au cours des dernières décennies, la tragique histoire de la région, entre violence et conflits, a maintenu à distance le commerce mondial et les flux d’investissements étrangers, limitant ainsi son impact sur les marchés mondiaux. Du fait que la valeur en dollars américains des PIB combinés d’Israël, de l’Égypte, de la Jordanie, du Liban et de la Syrie se monte à quelque 1100 milliards USD, soit 4% environ de l’économie américaine, l’impact macroéconomique mondial devrait rester limité.

Scénarios pour le pétrole

Jusqu'à présent, avec une hausse d'environ 8%, l'impact sur les prix du pétrole a été plus direct que l'impact sur les actifs refuges. Selon notre scénario de base, le conflit ne devrait pas modifier le statu quo en matière de production pétrolière dans la région. Nous pensons que certaines pressions maintiendront les cours autour de 90 USD/baril durant les prochains mois, voire à un niveau légèrement plus élevé. En effet, l’offre mondiale est restreinte, les stocks faibles et la demande résiliente – avec le ralentissement dans les marchés développés compensé par la demande robuste des marchés émergents, y compris de la Chine.

Il existe néanmoins des scénarios dans lesquels la production de pétrole pourrait être affectée, avec notamment des baisses de production et/ou des embargos en guise de représailles de la part des pays producteurs de pétrole, comme en 1973. Ce scénario nous paraît peu probable. Ce genre de manœuvres indiquerait un remaniement de l’ordre stratégique dans la région. Plus important encore, un choc supplémentaire significatif du côté de l’offre de pétrole brut et de gaz naturel inciterait les producteurs américains de schiste à accroître leurs capacités et leurs parts de marché, ce qui pourrait ne compenser que partiellement le choc initial en termes de volume, tout en accélérant l'évolution de la demande mondiale vers les énergies renouvelables et les véhicules électriques.

Autre préoccupation potentielle, une surveillance accrue et des sanctions imposées par les États-Unis sur l’offre de pétrole iranien. En 2023, cette offre n’a cessé de croître pour excéder désormais les 3 millions de barils par jour (bpj). Les inquiétudes concernant cette source de pétrole sont probablement la principale raison de l’évolution à la hausse des courbes des contrats à terme sur le pétrole brut depuis le 6 octobre. Toutefois, même dans l’hypothèse où 0,5 à 1 million de barils par jour de brut iranien seraient retirés, nous pensons que l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis, qui ont une capacité de réserve d’environ 4 millions et 0,8 million bpj respectivement, combleront ce déficit, stabilisant ainsi les prix du pétrole et réduisant le risque d’un effondrement durable de la demande.

Une escalade aux enjeux plus élevés pourrait impliquer que l’Iran perturbe le passage par le détroit d’Ormuz, où transite un cinquième du pétrole mondial (environ 21 bpj), l’essentiel des exportations de brut de l’Arabie saoudite et un tiers du gaz naturel liquéfié (GNL) mondial. En 2019, des pétroliers ont été attaqués alors qu’ils traversaient l’étroit canal de 55 kilomètres séparant l’Iran du canal de la péninsule arabique, ce qui a accru les tensions et déclenché une envolée des prix.

Ce n’est pas le seul goulet d’étranglement logistique potentiel. La stabilité de l’Égypte pourrait être ébranlée lors des élections présidentielles prévues en décembre, par exemple si la crise des réfugiés à sa frontière devait prendre une tournure politique. Le canal de Suez, qui relie la mer Rouge à la Méditerranée et achemine environ 12% des volumes commerciaux de la planète et 30% du trafic mondial de conteneurs, reste vulnérable.

Le gaz naturel est un autre marché à surveiller. En 2022, le Moyen-Orient a fourni environ 18% du gaz naturel mondial, dont 6,3% pour l’Iran, 5% pour le Qatar et 0,5% pour Israël. La production a déjà connu quelques perturbations mineures : invoquant des raisons de sécurité, le gouvernement israélien a demandé à Chevron Corporation d’interrompre les opérations sur son champ gazier de Tamar, situé à 80 kilomètres de la côte israélienne. En 2022, ce champ a fourni environ 1,5 % du GNL mondial et sa fermeture prolongée réduirait l’approvisionnement de l’Europe du Nord-Ouest d’un peu moins de 3% au quatrième trimestre 2023. Cela aurait pour effet de rendre le marché du gaz plus vulnérable à un autre choc d’approvisionnement ou à un hiver plus froid que prévu en Europe.

Prudence face à l’augmentation de la volatilité géopolitique

Les risques géopolitiques ont indubitablement augmenté dans le sillage du conflit entre Israël et le Hamas. Ils s’ajoutent aux pressions exercées sur une économie mondiale où les chaînes d’approvisionnement et les blocs commerciaux ont déjà évolué afin de refléter les alliances stratégiques. D’une manière générale, ces actions tendent à réduire les gains d’efficience obtenus grâce à la mondialisation, accentuant ainsi les pressions inflationnistes. Nous continuons à surveiller ces risques et les événements au fur et à mesure qu’ils se déroulent.

Pour l’instant, et tant que le conflit reste localisé, nous maintenons notre stratégie d’investissement prudente. Nous privilégions les obligations de qualité, comme les bons du Trésor américain, et le dollar américain, tout en adoptant un positionnement neutre à l’égard des actions et de l’or.

[1] En glissement trimestriel, corrigé des variations saisonnières et annualisé

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Chef économiste, Lombard Odier

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