En France après guerre, on acceptait tout, aujourd’hui on n’accepte plus rien, Pourquoi ?

Les périodes d’inflation ont été importantes en France depuis 1900. Il y en a eu trois très conséquentes : De 1915 à 1920 le taux est monté jusqu’à près de 40%, puis de 1923 à 1926 un pic à 31,7%, ensuite entre 1936 à 1952 avec un plus haut à près de 60% en 1948.

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Par Daniel Moinier Publié le 4 février 2023 à 10h02
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En France après guerre, on acceptait tout, aujourd’hui on n’accepte plus rien, Pourquoi ? - © Economie Matin
93%93% des actifs ne veulent pas du report de l'âge de la retraite.

Et pourtant pendant toutes ces périodes très difficiles à vivre, nos concitoyens subissaient, avec peu de réactions à l’encontre des gouvernants. Il est vrai que la situation de la France était très différente avec une part rurale très importante. C’est en 1935 que le taux entre ruraux et urbains s’est trouvé à l’équilibre.

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De 1962 à 1968 ce fût une période de grand exode rural, la France passant à 34,8 millions d’urbains contre 14,9 millions de ruraux. Cela a continué pour atteindre en 2020 un taux de 80,7 % de personnes vivants en espace urbain.

La façon de vivre en campagne était très différente à celle d’aujourd’hui, hors les paysans qui vivaient de leurs produits, les ouvriers et employés pour compléter leur faible salaire, avaient de grands jardins qui permettaient avec porcs, volaille, lapins,…, de vivre presque en autonomie. L’hiver ils allaient « faire » leur bois qui était le principal moyen de chauffage. C’est donc cette autonomie qui permettait de moins ressentir les effets inflationnistes pendant les périodes extrêmement élevées.

Il n’existait aucune aide sociale avant 1930, année de création des allocations familiales et c’est en 1938 qu’elles deviendront indépendantes du salaire et de l’entreprise.

En 1936, création de deux semaines de congés payés, suivie de la semaine de 40 heures adoptée dans de nombreux pays.

Les allocations chômage sont créées en 1958. Avant il n’y avait pas de chômage, il existait seulement des bourses du travail qui permettaient de changer d’emploi avec les offres déposées.

Depuis les 40 heures, les salariés pouvaient augmenter leur salaire avec les heures supplémentaires, puisque la moyenne d’après guerre avoisinait les 50 heures. Dans certaines professions ce niveau était largement dépassé. Personnellement, dans un grand groupe international, les horaires étaient de 55 heures pour tous, cadres ou pas. Il était possible dans les périodes de fortes commandes d’effectuer 2 à 3 heures de plus par jour.

Le pourquoi des retraites proportionnellement plus élevées. Autre élément c’était la durée d’activité, puisque beaucoup de jeunes commençaient à 14 ans et terminaient à 65 ans, soit 51 années de travail. Dans certaines entreprises travaillant en 2 ou 3 postes, il était possible d’effectuer « deux tournées » comme il se disait à cette époque soit 16 heures par jour sur une certaine durée. J’ai connu des intérimaires en travaux spéciaux d’été dépasser les 100 heures par semaine !! Impensable aujourd’hui ! De nombreuses lois ont « bridé » les temps de travail, accompagnés de « dispenses : pour travaux pénibles » en fonction des conditions de travail, en poste, etc…

Personne ne réclamait des conditions de travail différentes, des durées de travail moindre. Et pourtant vu d’aujourd’hui beaucoup de postes ne seraient pas du tout acceptables, bruit infernal, poussière, saleté, portage de charges lourdes, etc…

Même si cela était possible, aujourd’hui je pense que les employeurs ne trouveraient pas preneur. Une autre époque !

Il y avait bien eu de grands mouvements de grève, en 1936, 1944, 1947, 1953, 1963 qui n’ont pas changé l’état d’esprit des français.es. C’est la fameuse grève de 68 d’une durée de trois mois qui a tout bouleversé. En fait les années 60 à 70, furent une période qui a vu fleurir le phénomène contestataire. Pas seulement en France, de Berkeley à Woodstock, de Berlin à Londres, où s’est dessiné une aire de circulation des idées et des pratiques, une période d’émergence et de révolte de la jeunesse. Ce sont aussi des liens complexes entre la contestation culturelle et politique, à l’heure de la consommation de masse triomphante et critiquée avec des scènes décalées de la lutte tant étudiant qu’ouvrière.

Cette période a complètement changé les mentalités, la façon de vivre, de se vêtir, les relations femme/homme, voire des enfants.

Autre date qui a marqué la décennie, l’année 2000 avec ses 35 heures qui ont incité à encore moins travailler et à penser plus aux loisirs, aux temps libres.

Est-ce toutes ces baisses de travail et d’activité, ces modifications de penser, de vivre, toutes ces aides qui ont modifié les mentalités, rendant nos français.es moins soumis.es, plus critiques, plus rouspéteurs, moins tolérants ?

Plus les aides sociales se sont développées, plus les critiques, les réclamations ont augmentées, ce n’est jamais assez ! La France est arrivée à un tel niveau d’aides sociales et d’aides aux entreprises (diminution de charges) que cela compromet de plus en plus la solidité financière du pays et même son rayonnement international.

On arrive à un tel niveau, qu’énormément de personnes trouvent beaucoup de services de l’état très défaillants : La sécurité, la justice bien trop lente, la désertification des campagnes, moins de tout : médecins, spécialistes, transports, beaucoup moins d’entreprises, de magasins…

Tous ces changements, incompréhensions se sont encore amplifié avec le grand chamboulement dû à la transition écologique, énergétique. Il y a eu aussi la condition féminine, les rémunérations inférieures, les modifications face aux comportements masculins tel le mouvement MeToo, c’est aussi le "wokisme" qui s’attaque à la justice social, l’égalité raciale, la communauté LGBT qui est issu des « Black Lives Matter » aux Etas-Unis.

Il ne manquait plus que l’inflation pour déstabiliser le commerce local, régional, mondial. Les prix sont devenus très instables, modifiant toutes les règles économiques, avec des augmentations de prix de certains produits ou services, avec une pression sur les salaires. L’état n’entend plus les contestations, il essaie de les devancer, surtout depuis cette période des gilets jaunes qui ont révolutionné le pays et l’ont mis à feu et à sang.

Puis ce fût la période 2020-2023 et son Covid. La crise sanitaire a fait apparaître un autre syndrome durable de la société française, une autre façon de vivre, de consommer, de travailler en télé-travail, en valorisant le temps libre et la sphère privée : appelée « la grande flemme ».

Une enquête de l’IFOP de fin 2022, à la demande de la Fondation Jean Jaurès a déduit que 41% des français.es étaient plus fatigués, 37% moins motivés au travail et 30% moins passionnés dans leurs activités du quotidien. La société française est suspectée d’accorder trop de place aux temps libres, loisirs.

Alors sur quelle base pourrait-on objectiver l’idée d’un nouveau déclin de la valeur travail en France ?

La retraite à 65 puis 64 ans serait gagnée par une aggravation de son mal.

Que n’entend t-on pas dire des plus jeunes : Il ne nous sera pas possible d’arriver aux 64 ans, nous serons morts avant, ou tellement fatigués que l’on ne pourra pas profiter de la vie !

Ils rentrent dans l’emploi plus tard, terminent plus tôt que leurs ainés et se sentent déjà fatigués !

La faible appétence des Français pour le travail, notamment lorsque celui-ci est pénible, en serait-il la source ? L’absence d’objectivation ne nous permet pas d’évacuer pour autant ce ressenti bien palpable d’une démotivation dans les enquêtes et de considérer qu’il n’y a aucune conséquence sur le terrain.
Que savons-nous de ce syndrome ?

Sur quelle base pourrait-on objectiver l’idée d’un nouveau déclin de la valeur travail en France ? La crise sanitaire aurait laissé des traces et aurait encore accentué cet état de fait.

Depuis plusieurs décennies, il nous arrive de penser que rien ne tourne rond en France, c’est encore pire les jours de grève, mais pas seulement. C’est en pensant à cela, à ce dysfonctionnement que l’on s’en prend à l’état, à l’administration, aux élus, qui constituent d’excellents boucs émissaires. Mais aussi aux étrangers, émigrés qui ruinent la France, le covid, la guerre en Ukraine ont encore noirci le tableau. Il existe certainement une autre explication pourtant évidente, les Français travaillent de moins en moins.

Le philosophe Pascal Bruckner dans son dernier livre « Le sacre des pantoufles » indique qu’il existe en France depuis quelques décennies, une allergie à la valeur travail, qui serait une corvée aliénante et sa diminution irait de pair avec la liberté des citoyens. La simple idée de travailler deux ans de plus hérisse la plupart de nos compatriotes, c’est la triste exception française. En Europe, il y a deux types de pays, ceux comme l’Allemagne ou les Pays Scandinaves où l’on travaille beaucoup et les autres où l’épanouissement humain ne peut se passer qu’en dehors du travail, chez soi notamment. Le travail serait une sorte d’archaïsme et un état moderne devrait payer ses sujets à ne rien faire. C’est une tradition catholique qui voit dans le travail une malédiction, alors que pour les protestants, le travail est une activité divine. Les conquêtes ouvrières ont porté à juste titre sur la diminution du temps de travail sans proposer autre chose qu’une extension du loisir pour tous. Plus on monte dans la hiérarchie, plus on est fier de son travail et d’afficher un certain surmenage.

Travailler, c’est rester impliqué dans la société, avoir un outil sur le monde et les autres.

Selon lui changer la vie veut dire désormais, réduire la vie. Les écologistes ne nous proposent plus qu’un modèle négatif au nom de l’apocalypse imminente avec des extensions sans fin des interdits. Ce n’est qu’une série de rétrécissements de la vie.

L’OCDE a fait une grande enquête sur l’emploi en Europe. Elle a changé sa façon de calculer les temps d’emploi pour être plus proche de la réalité et avec des comparaisons internationales. 

A fin 2019, il y avait 41 milliards d’heures travaillées en France. Ce chiffre peut impressionner, mais par habitant cela ne fait que 610 heures, soit 3 mois et 16 jours. C’est un niveau bien plus faible que tous les pays européens : Belgique 625 heures, Italie 670, Danemark 684. Puis vient un groupe de trois à plus de 700 heures : Espagne, Allemagne, Norvège et plus haut encore : Grèce, Pays-Bas, Finlande, Autriche avec 750 heures et un groupe beaucoup plus haut entre 800 et 900 heures : Portugal, Suède, Irlande, Suisse, Royaume-Uni. Mais ce n’est pas tout, la France a plutôt eu une baisse de travail par habitant, alors que ses voisins ont vu leur temps de travail partir à la hausse. L’Allemagne qui était proche de nous en 2004, en augmentant son temps d’activité a gagné 88 heures par rapport à nous. Cette baisse a une forte incidence sur la productivité globale en passant de la 5ème place, puis 15ème, ensuite 24 ème et 29ème en 2019 !!!. Si cette tendance se confirme l’économie française va rapidement se trouver à la dérive et à la traîne de toutes les nations industrialisées. Sans suffisamment de temps travaillé collectivement, donc moins de revenu, de rentrées pour l’état, ce sont tous les commerçants, entreprises, services… qui vont péricliter. C’est se diriger vers moins d’avantages que l’on reçoit avec le travail des autres. On pourra toujours continuer à critiquer, rouspéter, crier, manifester, casser, l’état, sans finance ne pourra plus rien pour nous. Le seul secteur qui nous remonte un peu de ce « pétrin », c’est la très bonne tenue des startups et leur forte augmentation et aussi nos cadres, artisans, les non horaires qui sont à l’inverse en haut du tableau en nombre d’heures travaillées en Europe. A bien réfléchir.

www.danielmoinier.fr

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Daniel Moinier a travaillé 11 années chez Pechiney International, 16 années en recrutement chez BIS en France et Belgique, puis 28 ans comme chasseur de têtes, dont 17 années à son compte, au sein de son Cabinet D.M.C. Il est aussi l'auteur de six ouvrages, dont "En finir avec ce chômage", "La Crise, une Chance pour la Croissance et le Pouvoir d'achat", "L'Europe et surtout la France, malades de leurs "Vieux"". Et le dernier “Pourquoi la France est en déficit depuis 1975, Analyse-Solutions” chez Edilivre.

1 commentaire on «En France après guerre, on acceptait tout, aujourd’hui on n’accepte plus rien, Pourquoi ?»

  • WIEL

    Ce que je viens de lire est édifiant, la cause de tous les maux de notre pauvre pays. Je suis de la génération d’avant où le nombre d’heures travaillées était très important. Je crois que maintenant le petit bonheur éphémère prime sur la valeur travail

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