Willem H. Buiter – Finances publiques et normes comptables

Willem H. Buiter est conseiller économique indépendant. Il a été économiste en chef du Citygroup et membre de la Commission de politique monétaire de la Banque d’Angleterre.

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Par Willem H. Buiter Publié le 12 septembre 2023 à 4h30
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Willem H. Buiter – Finances publiques et normes comptables - © Economie Matin
60%Les règles de l'Union européenne fixent une dette maximum à 60% du PIB.

Dans la plupart des Etats-nations modernes, le secteur public est le premier acteur économique. En 2021, le taux des dépenses primaires rapportées au PIB des pays du G7 allait de 39,41% pour les USA à 57,66% pour la France. Les pays émergents en bonne santé économique sont sur la même voie (avec un taux de 24,93% pour l'Inde et de 31,8% pour la Chine). Dans ce contexte, la transparence des comptes publics et la confiance que l'on peut leur accorder sont des éléments essentiels à une bonne gouvernance et à une bonne gestion économique.

Un peu partout, l'Etat exige des entités privées qu'elles fournissent une comptabilité d'exercice conforme aux Normes internationales d'information financière (NIIF) et aux Principes comptables généralement reconnus (PCGR). Cela suppose la production d'un bilan audité qui inclut tous les actifs financiers et physiques et le passif qui définissent généralement la valeur nette d'une entreprise.

On pourrait croire que l'Etat respecte les mêmes normes et adopte notamment les normes comptables internationales pour le secteur public (IPSAS - International Public Sector Accounting Standards), un choix évident. Mais la plupart des pays sont loin de les respecter (seule la Nouvelle-Zélande utilise l'IPSAS dans le cadre de sa gestion financière).

Le secteur public publie des comptes portant essentiellement sur les flux de trésorerie à court et moyen terme (le déficit budgétaire des administrations publiques en est un excellent exemple) et sur une partie des engagements contractuels du secteur public, en général sa dette financière. Comme mes co-auteurs et moi-même le montrons dans un ouvrage à paraître, Public Net Worth: Accounting, Government, and Democracy, cette stratégie est profondément erronée - ce qui a des répercussions considérables sur la gestion économique.

L'Etat fonde généralement sa règle budgétaire sur des critères qui se limitent à la dette et au déficit. Ainsi les pays membres de l'Union européenne s'engagent à maintenir leur dette en dessous de 60 % de leur PIB, et leur déficit en dessous de 3 % de leur PIB.

Cela n'a guère de sens sur le plan économique. Il arrive fréquemment que le calcul de la dette ne prenne pas en compte la plupart des actifs (notamment les actifs commerciaux réels du secteur public) et certains passifs importants (notamment la valeur actualisée des prestations retraite du secteur public). Et le calcul du déficit ne fait pas la distinction entre les émissions de titres de dette qui servent à financer les dépenses courantes et les déficits liés à des projets d'investissement appelés à générer des revenus.

Les montants associés aux actifs et passifs manquants peuvent être considérables. Dans les 24 pays pour lesquels le FMI fournit les chiffres de 2021, les actifs du secteur public vont de 88 % à plus de 800 % du PIB (ce dernier taux reflète les ressources minérales et énergétiques de la Mongolie).

Mais ce sont des estimations, et non le résultat d'une méthode de comptabilité d'exercice. Les actifs fixes (essentiellement des infrastructures) représentent de 23 % à 188 % du PIB. Les actifs financiers peuvent être importants. En Norvège par exemple ils représentent approximativement 450 % du PIB du pays, car l'Etat a transformé une grande partie de ses richesses minérales et énergétiques en actifs financiers.

Bien que le Japon ait le ratio dette publique/PIB le plus élevé de l'échantillon du FMI (369,2 % en 2020), le ratio de ses actifs est encore plus élevé (378,2 % du PIB), ce qui lui permet d'afficher une valeur nette positive pour le secteur public. On ne peut pas en dire autant du Royaume-Uni, des USA et des autres pays du G7, à l'exception du Canada.

En outre, les chiffres du FMI sous-estiment probablement la valeur des terrains relevant du secteur public. La propriété est généralement la catégorie d'actifs la plus importante d'une économie, et l'Etat est souvent (avec une marge écrasante) le premier propriétaire immobilier d'un pays. Pourtant, de nombreux Etats déclarent des avoirs fonciers peu importants (voire nuls) ; parmi ceux qui déclarent des avoirs fonciers, leur valeur moyenne ne représente qu'environ 25 % de leur PIB.

Les actifs commerciaux publics (actifs qui peuvent générer un revenu s'ils sont gérés de manière professionnelle) sont eux aussi fréquemment sous-déclarés, voire pas du tout. Et ce qui est déclaré est susceptible d'être sous-évalué, car la gestion est souvent loin d'être professionnelle.

Aux USA, l'Etat fédéral possède près d'un tiers de l'ensemble des terres, plus de 260 millions d'hectares. Ainsi le ministère américain de la Défense administre 11 millions d'hectares, comprenant des bases militaires, des terrains d'entraînement, etc. Le corps des ingénieurs de l'armée américaine gère un quart de la capacité hydroélectrique du pays, et plus de 4 300 zones de loisirs, plages et systèmes locaux d'approvisionnement en eau et d'évacuation des eaux usées. Le bilan du gouvernement américain ne représente qu'une fraction des terres qu'il possède.

L'immobilier urbain public est un autre exemple de la richesse publique cachée et sous-évaluée. Dans chaque grande ville américaine, le secteur public est le principal propriétaire de biens immobiliers, contrôlant au moins la moitié du marché immobilier qui à sa juste valeur équivaut souvent à la production économique annuelle de la ville. Ne pas rendre compte de ces actifs et les gérer de manière non professionnelle peut nuire durablement à la capacité de l'Etat à remplir ses obligations envers les générations actuelles et futures, notamment en compromettant la politique climatique.

Dans l'échantillon du FMI, le passif du secteur public va de 80% à 370% du PIB. En moyenne, les titres de créance représentent quelques 60% du PIB (environ 34% du total du passif). Les obligations au titre du régime de retraite du secteur public représentent en moyenne 40% du PIB. 8 des 24 pays (dont 5 du G7) ont vu leur valeur nette baisser durant la période 2020-2021.

Les autorités budgétaires doivent commencer à produire un bilan conventionnel qui inclut une estimation fiable de la valeur nette conventionnelle qui peut s'avérer négative. Dans le cadre d'une gestion efficace de l'actif et du passif, elles devraient aussi produire un bilan global (les contraintes budgétaires intertemporelles) comportant la valeur actualisée des flux de revenus futurs anticipés non contractuels tels que les revenus fiscaux (actif implicite) et les dépenses telles que les prestations sociales (passif implicite).

Cela mettrait en évidence la valeur nette globale de l'Etat. Contrairement à la valeur nette conventionnelle, cette valeur globale ne doit pas être négative pour éviter le surendettement et le défaut de trésorerie. Ces risques ne sont pas négligeables : une étude du FMI datant de 2021 montrait que l'extrapolation des mesures actuelles relatives aux dépenses publiques et aux revenus fiscaux peut conduire à une valeur nette globale négative, souvent due au vieillissement de la population. Autrement dit, un Etat qui n'est pas disposé à réexaminer ses normes comptables risque d'en payer le prix fort.

© Project Syndicate 1995–2023

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Willem H. Buiter, ancien économiste en chef de Citibank et ancien membre du Comité de politique monétaire de la Banque d'Angleterre, conseiller économique indépendant.

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